Corse, on négocie

Corse, on négocie1

L’Edito du mensuel Enbata

« C’est une occasion manquée” déclare Gilles Simeoni, président de la Collectivité corse, suite à la visite officielle sur l’île, les 6 et 7 février, du président Macron.

Certes ce dernier qui, candidat, avait à Furiani le 7 avril 2017 ouvert une avancée possible à la revendication insulaire, était cette fois-ci revêtu des habits du chef de l’Etat pour organiser le dialogue sur un rapport de force entre deux légitimités démocratiques, la sienne pour la France et celle, tout aussi récente, des élus nationalistes corses pour leur territoire.

La posture de Macron a donc assumé à la fois celle du pouvoir central, traditionnellement tutélaire, voire provocatrice, mais aussi celle du politique devant gérer au mieux la “question corse” à peine sortie d’une lutte armée.

D’abord dans le choix des lieux et des interlocuteurs, par exemple, déroulant son discours non pas à l’Assemblée territoriale, mais dans un centre culturel de Bastia. En amenant dans ses bagages l’ancien ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement qui nomma et soutint le préfet Bonnet spécialiste du terrorisme d’Etat et organisateur de la vague de quarante arrestations, toutes ayant débouché sur des non-lieux après des mois de prison et d’interrogatoires musclées du super flic Marion de triste mémoire. Blessant aussi dans son propos sur la place publique en hommage au préfet Erignac assassiné par des nationalistes corses, “un tel acte ne se plaide pas” distillé face à Gilles Simeoni, avocat d’Ivan Colonna condamné pour ce crime.

Mais au-delà de cet environnement détestable pour les Corses, le contenu du propos politique doit, lui, être plus sereinement analysé.

Macron s’en est pris à des revendications, certes emblématiques pour les abertzale, mais irréalistes si l’on plaide, non pour l’indépendance, mais pour une autonomie au sein de la République. Le statut de résident serait tout aussi légitime sur l’île de Ré et pourquoi pas au Pays Basque. Mais il s’oppose à la libre installation de tous les citoyens, Corses compris, sur quelque lieu du territoire. Il est de plus contraire au droit européen. Il en va de même de la co-officialité du Corse et du Français, impraticable pour les fonctionnaires de l’Etat, qui répond mal à la légitime reconnaissance de la langue corse qui, évidemment, a besoin d’une officialisation et d’un statut de plein droit, outils ayant permis au Catalan d’être la langue obligatoire d’enseignement et majoritairement parlée.

Reste une voie ouverte par Macron, essentielle, celle des institutions de la Corse au sein de la République “Je suis favorable à ce que la Corse soit mentionnée dans la constitution”.

Poudre de perlimpinpin ou avancée fondamentale  ? Pour le moins, une négociation est ouverte. Dès le 13 février, une fois par semaine, une délégation d’une quinzaine d’élus corses, de toutes sensibilités, rencontre la ministre chargée du dossier Corse, Jacqueline Gourault, à Paris ou sur l’île, pour définir cette “mention constitutionnelle”.

La force de cette délégation est de représenter l’ensemble du peuple corse en allant au-delà des élus nationalistes pour sortir de l’opposition caricaturale pouvoir central / irrédentistes rebelles. Ils ont jusqu’à la mi-mars pour faire leurs propositions au Conseil d’Etat en vue de la révision constitutionnelle que Macron a programmée au printemps. “Nous allons jouer le jeu à fond” dit à présent Gilles Simeoni, dépassant son premier ressenti négatif de “l’occasion manquée” lors de la visite de Macron.

Le président voulait que la Corse soit “la pointe avancée de la politique de la France en Méditerranée”. Elle pourra donc largement s’inspirer des divers statuts d’autonomie de ses îles: Baléares, Sardaigne, Sicile ou plus loin encore des indépendances de Malte et de Chypre. La maturité politique des nationalistes corses saura sûrement tirer profit du premier dialogue direct avec un président de la République française que la quasi-unanimité de la classe politique voudrait voir échouer sur ce thème.

Ceci doit amener Iparralde à ne pas abandonner sa quête d’une institution spécifique élue au suffrage universel. Si la création de l’agglomération, regroupant les 158 communes de nos trois provinces, a enfin doté le Pays Basque d’une personnalité juridique, d’une entité administrative et financière, il lui est hélas constitutionnellement impossible d’être issue du suffrage universel uniquement réservé aux collectivités territoriales: communes, départements, régions, collectivités à statut particulier et collectivités d’outre-mer. Il nous faut donc organiser notre présence à la Conférence nationale des territoires. De quoi, pour les abertzale, occuper cet espace politique.

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