Crispations en kanaky à l’approche du référendum

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Le compromis historique réalisé par Michel Rocard à la sortie du drame de la grotte d’Ouvea, trouve aujourd’hui son épilogue. Voici une restitution de l’actuel décor, où le projet indépendantiste Kanak n’est pas marginal, à la veille du deuxième referendum d’autodétermination.

Lors du premier référendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, le 4 novembre 2018, le “non” l’avait emporté avec un score de 56,67%, bien inférieur aux prévisions des sondages. Le projet indépendantiste n’était donc pas aussi marginal qu’une partie des loyalistes le prétendait ! Personne en tous cas ne prend à la légère le second référendum qu’Édouard Philippe vient d’annoncer pour le 4 octobre 2020. De nombreux points de friction sont déjà apparus et la crise du Covid, ainsi que la récente remise en cause du code minier par la droite calédonienne, contribuent également à alourdir l’atmosphère…

Les accords de Nouméa prévoyaient la possibilité d’un deuxième référendum à condition qu’un tiers des membres du Congrès de la Nouvelle-Calédonie en fasse la demande, à compter du sixième mois suivant la consultation (en l’occurrence, à partir du 5 mai 2019) et à condition de l’organiser dans les deux ans après le premier référendum (soit avant le 4 novembre 2020). La première de ces deux dates butoirs coïncidait quasiment avec la date des élections provinciales du 12 mai 2019. Vu que le Congrès issu de ces élections allait devoir traiter assez rapidement la question référendaire, cette dernière est naturellement devenue l’un des thèmes centraux de la campagne électorale.

La droite locale, représentée par L’Avenir en Confiance (LR) et “opposée à toute nouvelle concession aux indépendantistes” a fait une campagne dure pour accélérer le processus et “en finir au plus vite avec ce tunnel de référendums”. À l’opposé, les centristes de Calédonie Ensemble (UDI) et les indépendantistes du FLNKS souhaitaient repousser la date au maximum. Pour les premiers, il s’agissait d’éviter la concomitance d’un éventuel troisième référendum avec les élections présidentielles françaises (le spectre du massacre de la grotte d’Ouvéa dans l’entre-deux-tours des élections de 1988 n’est pas encore tout à fait dissipé) ; pour les seconds, l’enjeu était de disposer de suffisamment de temps pour faire une campagne efficace.

Recomposition du camp loyaliste

Ces élections provinciales ont vu une légère progression des indépendantistes qui gagnent un siège mais, avec 26 élus sur 54, ils ne parviennent pas à remporter la majorité absolue. On retiendra surtout une recomposition du camp loyaliste qui se durcit au profit de la droite (+8 sièges), qui prend la tête du gouvernement. Quoiqu’il en soit, les indépendantistes ont pu dès le mois de juin convoquer un nouveau référendum.

Le Comité des Signataires des accords de Nouméa a donc été convoqué pour octobre 2019 afin d’en discuter les modalités.

Cette réunion a manqué de peu de se solder par un échec retentissant. Outre la question de la date, celle du corps électoral a créé une vraie ligne de fracture entre indépendantistes et loyalistes. Normalement, la “liste spéciale pour la consultation référendaire” (LESC) devait être la même que pour le premier référendum, mais les loyalistes souhaitaient que les jeunes parvenus à majorité entre 2018 et 2020 et relevant du statut commun soient inscrits d’office s’ils remplissaient les critères de la LESC, comme c’est le cas pour les jeunes relevant du statut coutumier. Hors de question pour les Kanaks qui n’ont pas oublié l’injonction du Premier ministre Pierre Messmer en 1972 à “faire du blanc” en Kanaky pour que “les communautés non-originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire”. Édouard Philippe a finalement accédé aux revendications des indépendantistes, tout en tentant de ménager la chèvre et le chou en fixant une date de référendum assez rapprochée, le 6 septembre. On peut mesurer la tension qui s’est installée aux propos du député Philippe Gomès (Calédonie Ensemble), d’ordinaire assez ouvert au dialogue avec les indépendantistes mais qui dénonce là “une discrimination inacceptable au sein même du peuple calédonien, entre Kanak et non Kanak, les uns ayant un privilège, les autres ne bénéficiant pas de ce privilège”. Cette promotion des “victimes de l’Histoire” à un statut de “privilégié” n’a bizarrement pas vraiment plu aux intéressés… À cause de la crise du Covid, la date du référendum vient finalement d’être repoussée au 4 octobre, une date assez consensuelle au sens où elle ne satisfait personne. Mais c’est désormais la gestion de la crise du Covid qui attise les tensions. Le FLNKS dénonce son instrumentalisation par le gouvernement de droite dont “la communication est à sens unique, confiscatoire et sans concertation avec les autres institutions du pays” et n’aurait pour but que de faire croire que la tutelle de la puissance coloniale est indispensable. Certains indépendantistes reprochent également à l’État français d’avoir “repris en main la politique sanitaire de la Nouvelle Calédonie, en violation des accords de Nouméa” qui stipulent que les transferts de compétences (et en particulier celles de santé publique et de contrôle sanitaire aux frontières) sont irréversibles. Ils reprochent aussi à la France d’avoir refusé de fermer les frontières de l’archipel pour le préserver de la pandémie et accusent certains représentants de l’État et des militaires d’avoir enfreint les règles sanitaires, “imposant ainsi aux Calédoniens, au nom d’une vision jacobine de la gestion de la crise, une solidarité virale et une continuité de contamination”.

Modification du code minier

Comme si cela ne suffisait pas, la droite calédonienne a suscité l’ire des indépendantistes et des associations environnementales en évoquant la possibilité de modifier le code minier pour permettre à deux groupes industriels (dont le brésilien Vale) d’exporter davantage de nickel afin d’éponger leur dette. Les indépendantistes rappellent que “le massif de Goro a été cédé gratuitement par la droite coloniale de l’époque […] L’Avenir en Confiance au mépris des intérêts de la Nouvelle-Calédonie, envisage de lever l’interdiction d’exportation à partir du site de Thiébaghi et Goro et gonfler ainsi la corbeille de la mariée Vale en cas de reprise par un autre opérateur”.

Voeu pieux

Dans ce contexte, la moindre futilité peut devenir une pomme de discorde majeure. Dernière en date, l’autorisation accordée par le gouvernement français aux loyalistes de déroger au code électoral et d’utiliser les couleurs Bleu Blanc Rouge dans leur communication électorale. “Nous sommes dans une discussion qui engage la sincérité du scrutin” dénonce un dirigeant du FLNKS, “on s’organisera pour aller au contentieux”. À vrai dire, la tournure que prend la campagne semble parfois déconcerter les acteurs eux-mêmes à l’instar d’un élu Calédonie Ensemble qui constate dans Le Monde : “on vient d’apprendre que le résultat sera contesté. C’est la conséquence d’une rupture du dialogue entre nous”. Louis Mapou, l’un des dirigeants du FLNKS s’inquiète quant à lui dans les colonnes de l’Humanité : “le premier référendum avait été salué pour son exemplarité, il doit en aller de même pour le deuxième”. Pour le moment, ça n’a pas l’air d’être davantage qu’un voeu pieux…

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