L’Edito du mensuel Enbata écrit avant le 2è tour des élections en Corse :
Avec 45,36% des suffrages exprimés, la liste des nationalistes corses confirme et amplifie la marche démocratique de la Corse vers son destin singulier. Les 6,69% de la liste nationaliste radicale dissidente empêche une victoire dès le premier tour. La déroute de toutes les autres familles politiques de l’île empêchera la constitution d’un front anti-nationaliste, un temps espéré, au second tour. Seule ombre à ce tableau presque idyllique, une faible participation, 52,18%, à ce scrutin particulier à la Corse, puisqu’il s’agissait de mettre en place une ancienne revendication nationaliste, prévue par la loi NOTRe, une assemblée unique territoriale par la disparition des deux départements.
Cette victoire des abertzale corses est chargée de signification. D’abord, elle valide la qualité de leur gestion depuis leur prise de pouvoir aux élections régionales de 2015. Dieu sait pourtant si leur “radicalisme” annoncé et dénoncé a été mis à l’épreuve: discours inaugural en langue corse, votes “ identitaires” sur la co-officialité du corse avec le français, du statut de résident, accompagnement du rachat de la compagnie maritime SNCM par des sociétés corses, rapprochement des prisonniers politiques …
Loin du déclin et de l’isolement, cette gestion fut celle de l’augmentation du PIB et des investissements avec, hélas, son cortège d’inégalités.
Cette victoire est surtout le fruit de l’union des abertzale corses qui ont présenté, pour la première fois, une liste unique regroupant les autonomistes de Gilles Simeoni et les indépendantistes de Jean-Guy Talamoni jusqu’ici compétiteurs séparés et toujours minoritaires, sauf en 2015 où, ayant fait liste commune au second tour, avaient conquis le pouvoir.
Cette union n’est pas un simple accord électoral mais porte une vision commune du destin corse pour les dix ou quinze ans prochains, afin de parvenir à un statut d’autonomie législatif.
Ainsi, vient de s’ouvrir un dialogue institutionnel direct et public avec Paris où la Corse apaisée, ayant tourné la page dramatique de la lutte armée, parlera enfin d’une même voix.
Cette victoire, enfin, doit désormais affronter un accroissement rapide de la population par l’installation massive de continentaux. Alors que le solde naturel des naissances est en recul, la population de l’île a bondi de 17% entre 2008 et 2013 pour atteindre aujourd’hui 324.000 habitants. Des communes de la périphérie de Bastia et d’Ajaccio ont doublé, faisant décrire par les “natios” le phénomène de “colonisation de peuplement programmant la disparition du peuple corse”. Dans une Europe de libre circulation et d’installation, il y là un beau défi démocratique à relever.
A la même heure, le Premier ministre de la France prépare la Nouvelle-Calédonie au référendum d’indépendance avec un statut de résident pour les métropolitains et le gel du corps électoral prévu par les accords Matignon de Michel Rocard.
Les Corses ont compris que même dans une France jacobine, la volonté politique peut rendre possible ce qui ne devrait pas l’être. Que de chemin parcouru depuis Aleria!
Pour nous Basques d’Iparralde, ces élections corses sont hautement significatives. Avec une population identique, aux flux venant d’ailleurs, confrontés aux mêmes institutions françaises, il nous faut construire une communauté de destin. La société basque, comme celle de Corse, partage de plus en plus un attachement à sa langue par ses multiples associations, ses écoles bilingues ou d’immersion et ses médias. Nos élus ont fait un large bout de chemin vers une institution spécifique, votant l’intercommunalité unique et s’emparant du sort des presos et du désarmement d’ETA. Batera peut toujours mobiliser nos élus pour s’inscrire dans la conférence nationale des territoires qui se réunit tous les six mois afin de reprendre la revendication institutionnelle spécifique. La victoire corse nous y invite.