Il est possible que les prochaines années voient le Pays Basque devenir un des laboratoires en pointe du combat non-violent, de la confrontation démocratique, de la désobéissance civile et des alternatives constructives, portées à des niveaux rarement atteints en Europe occidentale. Ce ne serait pas le paradoxe le moins intéressant.
Ondarroa, 8838 habitants, ce mercredi 15 mai 2013: des centaines de personnes constituent depuis près de 5 jours et 4 nuits un rempart humain pour protéger Urtza Alkorta, condamnée à cinq ans de prison et contre laquelle a été délivré un mandat d’arrêt. Hommes et femmes, jeunes et vieux, beaucoup d’entre eux ont passé la nuit dehors, sur un pont, sous la pluie car depuis la veille au soir les bruits courent que ça y est, c’est cette nuit que la police va passer à l’action. Ils entourent la militante basque dans un climat d’émotion et de tension à nul autre pareil.
Finalement c’est vers 6h du matin que la sirène retentit, appelant à la rescousse les habitants d’Ondarroa. 30 à 40 fourgons de police ont débarqué. Les officiers demandent aux journalistes présents de s’identifier et de s’éloigner du “mur humain”. Puis, une fois le tri effectué, l’opération de démontage du rempart vivant, qui occupe tout un pont d’Ondarroa, au milieu duquel se trouve Urtza, va pouvoir commencer.
Discipline collective sans ambiguïté
Une à une, les personnes sont délogées, parfois violemment (il y aura plusieurs blessés et même certaines personnes âgées sont molestées) mais le plus souvent avec une force contenue par peur des images. Elles sont embarquées loin du mur humain par la police. Les tweets se multiplient, appelant les gens à venir renforcer le mur, diffusant les photos des agissements policiers.
Grâce à ces tweets, on peut suivre en direct, minute après minute, la résistance non violente et déterminée des centaines de personnes solidaires d’Urtza. On découvre également comment ce rempart humain n’a rien de spontané et est formidablement organisé, avec une discipline collective sans ambiguïté, comme en témoignent les consignes diffusées en même temps que les appels aux renforts: “celui qui insulte, provoque ou menace la police n’est pas des nôtres et il devra être expulsé du mur humain!” ou encore plus fort “Il est signalé que toute personne faisant acte de violence dans le mur populaire sera considéré comme un policier infiltré et en sera expulsé”.
La police mettra plus de trois heures avant d’arriver à ses fins et d’arrêter Urtza Alkorta. Celle-ci déclare “aujourd’hui, c’est nous qui avons gagné”.
“Nous avons gagné”
L’affirmation semble paradoxale, car certains n’hésiteront pas à ruminer dès les heures qui suivent : “vous voyez bien ce qui se passe depuis le cessez-le-feu d’ETA, l’ennemi s’en donne à cœur joie, les arrestations et provocations se multiplient, et nous, nous encaissons sans même pouvoir nous défendre”.
Et pourtant Urtza a entièrement raison. Ce rempart humain est le troisième du genre en Pays Basque. Le premier fut expérimenté à Bayonne et avait réussi à empêcher l’arrestation d’Aurore Martin. Le second s’est construit à Donostia au mois d’avril pour protéger des jeunes condamnés pour avoir milité à Segi. Il n’a pas empêché leur arrestation mais a permis une médiatisation sans précédent de leur cas, vrai scandale démocratique.
Fierté retrouvée
Le mur populaire d’Ondarroa, lui non plus, n’aura pas empêché l’incarcération d’Urtza. Au cours des vingt dernières années, quelle barricade violente a empêché ne serait qu’une seule arrestation? Par contre, il a placé au centre du débat politique le scandale de ces arrestations qui continuent malgré le processus de paix.
Si l’on ne compte que les personnes poursuivies pour leur militantisme politique dans des organisations publiques, qui n’ont jamais pratiqué la lutte armée, ce sont aujourd’hui 200 personnes (dont 125 sont déjà incarcérées) dans ce petit pays de 3 millions d’habitants qui sont aujourd’hui dans l’attente d’un procès ou d’un verdict pouvant se compter en de multiples années de prison!
Les murs humains de Baiona, Donostia et Ondarroa sont également en train de transformer radicalement les rôles. Les violents d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier, la légitimité et la sympathie changent peu à peu de camp. Et une évidence marquait la résistance non-violente de ce mur populaire, c’était cette fierté retrouvée qui animait ses participants et ceux qui les encourageaient de tous côtés. Urtza a raison: ce 15 mai 2013, c’est enfin le camp indépendantiste qui a gagné.
Incroyable potentiel
Pour conclure, le mur humain construit sur le pont d’Ondarroa nous révèle autre chose. Le passage résolu de la quasi totalité du mouvement de libération basque à la non-violence active et à la désobéissance civile, avec en parallèle l’arrêt définitif des armes et de la violence organisée (tout au moins côté indépendantisme basque, car on voit bien qu’il n’est pas question de trêve du côté de Paris et de Madrid) crée une situation jamais vécue en Pays Basque, est forte d’un incroyable potentiel dont Baiona, Donostia et Ondarroa ne sont que les prémisses.
Si cette dynamique continue ainsi, il est possible que les prochaines années voient le Pays Basque devenir un des laboratoires en pointe du combat non-violent, de la confrontation démocratique, de la désobéissance civile et du programme constructif non-violent, portés à des niveaux rarement atteints en Europe occidentale. Ce ne serait pas le paradoxe le moins intéressant. La cause basque a tout à y gagner et aurait dans un tel cas de figure de beaux jours devant elle.
Plus d’informations en Euskara sur le même thème (interview, musique et bertso sur les « remparts humains ») :
Gurean Gaur saioaren elkarrizketa atalean, Txerra Bolinaga eta Zigor Olabarria Eleak mugimenduko kideak izan ditugu. Donostia eta Ondarruko herri harresiak eta Aske Gunearen ekarpenaz aritu gara. Bestalde, Eleak mugimenduak (http://eleakmugimendua.info)epaiketa politikoen kontra duen konpromisoa ere izan dugu hizpide.
Alde batean lagun pila bat
daude puntarikan punta,
beste aldean ertzain pila bat
bi egunean okupa;
Lege bat bada ta lege horrek
dio nik dudala kulpa,
justizian hasten baldin bada
eta justizian buka,
kunplitzaileak zergatik datoz
aurpegia tapatuta?
Zakarra dute begiratua
ta latza dute azala,
eta jefeak agindu dio
besotik heldu nazala;
banaramate badagokit eta
hainbeste urteko itzala,
baina 300-400 herritar
ta alferrik dabiltzala,
gu gainetik pasako gara
ura azpitik bezala.
Herri harresi honi hots egin
nahi diote deskalabru,
ez dute esatean santurik denik
baina bai zenbait deabru;
sartu naute hor furgonetan
ni balizko erruen kargu
agur lagunak aita ta ama
eta adio Ondarru
ez egin negar itzuliko naiz
hiruzpalau urte barru.
(Amets Arzallus, Zallan, 17/05/2013)