Mathieu Castaings, expert comptable et cofondateur de Finacoop, première coopérative d’intérêt collectif d’expertise comptable française, passe en revue divers enjeux de l’Economie sociale et solidaire en Iparralde, voyant dans sa plus grande structuration et mutualisation un défi important pour le Pays Basque.
Notre modèle économique actuel doit changer pour faire face aux crises (sanitaire, économique, climatique et sociale). Notre identité, notre héritage écologique et social doit être la boussole de ce changement et refléter notre manière d’entreprendre. L’Economie sociale et solidaire (ESS) peut-elle apporter une réponse aux enjeux du Pays Basque Nord ?
L’essence de l’ESS est triple : utilité sociale, gouvernance démocratique et lucrativité limitée. A côté des formes historiques (association, coopérative), l’ESS s’ouvre aux sociétés commerciales (SAS, SARL). D’abord présente dans le secteur agricole (40% des structures de l’agroalimentaire(1)) elle s’est développé au dans d’autres secteurs (Alki : meubles ; Herrikoa : finance).
Une nouvelle ère de l’ESS à l’image de l’histoire d’Euskal Herria
Notre identité est liée à celle de l’ESS. En Hegoalde, l’ancrage culturel fort et la puissance des coopératives ne sont plus à démontrer. En Iparralde, les coopératives se sont développées dans les années 70, sur la base de pratiques coutumières d’entraide et de réciprocité, parallèlement à l’institutionnalisation de la gouvernance. Elles n’ont pas pu se développer face à la pression du capitalisme à partir des années 90. Aujourd’hui, nous avons le choix entre laisser notre territoire glisser vers une économie basée sur le service, poussée par le tourisme et le numérique ou y faire face en honorant notre héritage et notre identité.
Nous appelons la société basque à amplifier les dynamiques socio-économiques pour répondre aux enjeux du territoire. L’ESS permettrait de réduire la précarisation de l’engagement associatif, attirer des talents et tisser des liens avec la diaspora qui aspire à rester connectée avec son territoire. Investie au sein du Conseil de développement, l’association Du Pays Basque aux Grandes Écoles (DPBGE) est un exemple d’initiatives d’ampleur nationale.
Comment ? La transformation ou l’hybridation de certaines associations sur le modèle coopératif, à l’image du mouvement opéré dans le secteur culturel et immobilier (Etxalde, Half, éco/tiers-lieux) permettrait de les structurer.
La coopération transfrontalière, au coeur de la stratégie à horizon 2030 de la Communauté d’Agglomération du Pays Basque (CAPB), pourrait être complétée par les “pèlerinages coopératifs” des années 70 pour bénéficier du savoir-faire de Mondragon. Cet échange pourrait aboutir à des coopératives puissantes, présentes entre les deux territoires.
Le lien entre ESS, RSE, développement durable et impact
Les entreprises, ESS ou non, dont le coeur de métier n’est pas lié au développement durable, peuvent par le biais de la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises (RSE), contribuer aux objectifs du Millénaire. C’est ce que propose Lantegiak avec l’“entreprise territoriale” et sa charte RSE, ou encore Hemen Elkartea avec la notion d’“entreprise engagée”. Les acteurs de l’ESS, rompus aux enjeux sociaux et environnementaux pourraient apporter leurs ressources (financières, humaines, matérielles) aux entreprises souhaitant mettre en place une démarche RSE, et vice-versa.
Le territoire est riche de structures d’accompagnement de l’ESS. L’association Hemen est pionnière avec notamment comme projets Xedebat (financement participatif) ou encore Etxekoop (coopératives d’habitants). La Maison de l’ESS du Pays Basque (Kabia) a comme objectif de renforcer le groupement d’emplois ESS, pour permettre à certains acteurs de l’ESS de sortir des emplois précaires. Elle ambitionne de répondre à la problématique du financement et de l’immobilier de l’ESS, à travers un fond de dotation et à terme une fondation territoriale. Or, depuis trois ans, Geroa a initié la création d’un fonds de dotation en préfiguration d’une future fondation reconnue publique (FRUP) pour le Pays Basque permettant de mutualiser l’effort de mécénat, et de jouir d’une grande capacité juridique (gestion de biens immobiliers), d’atouts fiscaux maximums et d’une image forte. La formation se structure également, avec la future école de l’ESS à Hendaye. Nous appelons les universités et les entreprises à développer des partenariats avec cette école. Elles pourraient s’appuyer sur la création d’un Pôle Territorial de Coopération Économique (PTCE) à l’image du PTCE Pôle Sud-Aquitaine.
Notre histoire, notre identité et notre culture reposent sur la volonté de mettre en place une économie loin de l’accumulation sans fin de richesses. Les acteurs de la société civile ont toujours été au service de ces valeurs et sont internationalement reconnus pour leur modèle (coopératif : Mondragon, associatif : Bizi, Alternatiba, Euskal Moneta). Comment ne pas rêver d’une Région européenne et mondiale de la coopération et de l’Économie sociale et solidaire (ESS) en Pays Basque? Nous devons nous réapproprier notre histoire collective pour réinventer notre imaginaire commun et reconquérir notre capacité d’oeuvrer collectivement pour le bien-être de tous.
(1) Observatoire national de l’ESS