L’Ecosse vit des moments historiques : le référendum du 18 septembre 2014 donne en effet la parole au peuple écossais, pour décider si oui ou non la nation écossaise doit retrouver son indépendance, et donc quitter le Royaume-Uni. Ce royaume s’était en effet formé en 1707 : le parlement écossais disparaissait, tandis que l’Ecosse envoyait désormais ses représentants à Westminster. Mais le référendum n’est pas la première résurgence de cette histoire.
Le grand évènement est d’abord bien celui, dans le cadre de la dévolution (une décentralisation à la britannique), du retour du parlement d’Ecosse (et du gouvernement en émanant), en 1999. On sait que malgré l’union des parlements de 1707, l’Ecosse avait conservé, en partie ou pleinement, son propre système législatif, ses institutions éducatives, son Eglise officielle, et même le droit à ses banques d’émettre ses propres billets en livres Sterling. Outre ses pouvoirs législatifs (cependant harmonisée avec le droit britannique et les réglementations européennes), la renaissance du parlement offre en plus aux Ecossais de mener eux-mêmes leur propre politique dans les domaines les plus divers, comme la santé, la gestion des collectivités locales, l’aménagement du territoire avec le logement, l’urbanisme et le transport, la défense civile, la police et la justice, ou encore l’environnement, le tourisme et la culture.
Mais si parlement et gouvernement écossais sont responsables de leurs dépenses, ils ne peuvent lever taxes et impôts et dépendent encore et toujours d’un transfert de fonds, produit des impôts britanniques, que leur accorde le Parlement de Westminster (selon la complexe formule dite de Barnett). Bien évidemment encore, la monnaie, la défense du Royaume-Uni, les relations internationales, mais aussi les ressources énergétiques (le gaz et le pétrole donc) ou la gestion de la télévision publique restent domaines réservés du gouvernement de Londres.
Evolution de la dévolution
Ce gouvernement britannique, prenant peur de l’arrivée du Scottish National Party au pouvoir en Ecosse en 2007, commandite un rapport publié par la commission Calman en 2009, permettant de faire évoluer la dévolution existante, en proposant à l’Ecosse de prélever directement 35% de ses recettes. Le décret a été voté par Westminster en 2012, pour une application en 2015. Mais le Parti d’Alex Salmond a toujours choisi l’indépendance, même s’il gère la dévolution de manière irréprochable et à la satisfaction des populations concernées.
La victoire éclatante du SNP aux élections au Parlement d’Holyrood (Edimbourg) en mai 2011 ouvre donc la voie au référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, que le premier ministre britannique David Cameron a bien été forcé d’accepter aux conditions des indépendantistes dans la foulée. La date du 18 septembre 2014 a été soigneusement choisie par Alex Salmond et ses amis, loin du jubilée de la Reine ou des jeux olympiques de Londres, devançant les élections législatives britanniques de 2015, sans doute difficiles pour les conservateurs et les libéraux actuellement au pouvoir, lesquels ne sont pas particulièrement plébiscités en Ecosse, l’année du référendum coïncide avec les jeux du Commonwealth et du Home Coming, évènement qui verra la diaspora écossaise se rassembler au pays, mais aussi anniversaire des 700 ans de la bataille de Bannockburn, laquelle précède la déclaration d’Arbroath de 1320, date de la création de l’Ecosse libre et indépendante.
La question posée aux Ecossais le 18 septembre 2014 sera donc : “l’Ecosse doit-elle devenir un pays indépendant ?”. Depuis 2011, les sondages se succèdent. Se baser sur leurs résultats bruts pourrait être déprimant pour les indépendantistes. A l’heure où nous écrivons, 39% des électeurs voteraient en faveur de l’indépendance, 48% contre, laissant 13% d’indécis, selon un institut de sondage (TNS Survey Found). Mais ce qu’il faut interpréter, ce sont les grandes tendances. En effet, plus on se rapproche de la date fatidique, plus les indépendantistes gagnent du terrain. Les unionistes, sous la bannière de “Better Together” (mieux ensemble), se sont longtemps rassurés de résultats rejetant l’indépendance à des scores de 56 à 60%. Or ceux qui militent pour le statu quo d’un Royaume-Uni gardant l’Ecosse dans son giron, doivent revenir à la modestie, puisque depuis un certain temps, ils plafonnent bien en dessous des 50%.
Menaces et mauvaise foi
En effet, leur campagne contre l’indépendance est bien souvent considérée comme négative par les médias qui pourtant soutiennent les “pro-union” dans leur grande majorité. Constamment ils menacent et n’entrevoit que les difficultés auxquelles l’Ecosse aurait à faire face : garder la livre sterling, comme le souhaite le gouvernement d’Alex Salmond, du moins dans un premier temps, renégocier l’entrée de l’Ecosse dans l’Union Européenne, dans l’OTAN ou à l’ONU. Mais cela est-il vraiment insurmontable ? D’autres prétendent que l’Ecosse, trop petite, ne pèserait pas lourd dans le concert des nations. Que dire alors de la Nouvelle-Zélande, aux antipodes du monde occidental, et qui se débrouille très bien, ou encore tout simplement de nombreux pays européens comme l’Irlande, l’Estonie ou le Luxembourg, aux populations et aux territoires moins importants en nombre et en surface que l’Ecosse ? Les derniers craignent que l’économie et le social régressent dans le pays, et annoncent la fin des ressources pétrolières de la Mer du Nord que les indépendantistes revendiquent depuis leur découverte.
Mais l’objectif premier des gouvernants actuels de l’Ecosse est de confirmer sa capacité à gérer le pays avec l’idée de rapprocher le citoyen des décisions qui le concernent. L’Ecosse ne veut plus être gouvernée à distance par Westminster. Elle ne supporte plus, et particulièrement ces derniers temps pendant cette campagne du référendum, de recevoir des leçons des Anglais, de l’extérieur donc. Et pourtant, Alex Salmond le souligne bien : une Ecosse indépendante aura bien l’Angleterre pour principal partenaire, et pas seulement commercial et financier ou sur le plan d’une défense commune qu’il faudra renégocier. Salmond le sait bien, si 70% environ de la production de la bière et du whisky constituent les exportations de l’Ecosse actuelle (on ne compte donc pas encore le pétrole et le gaz), les trois quarts des relations commerciales de l’Ecosse se font avec le reste du Royaume-Uni.
Rassurant et pragmatique
Ce qu’il faudra résoudre si l’Ecosse devient indépendante, le gouvernement d’Alex Salmond le détaille dans un copieux document de près de 600 pages intitulé “Scotland’s Future, Your Guide to an Independent Scotland” (L’avenir de l’Ecosse, votre guide pour une Ecosse indépendante). Ce guide très concret paru en novembre 2013 et distribué gratuitement à tous les Ecossais qui en faisaient la demande, se veut rassurant et très pragmatique. Ce document est trop important pour en décliner ne serait-ce que les grandes lignes ici. Mais il traite aussi bien de l’après référendum, que son résultat soit en faveur ou non de l’indépendance, et évoque la politique à mener dans tous les domaines concernant les Ecossais, de la santé aux relations internationales, des pensions d’Etat à la gestion du monde rural, de la citoyenneté à la constitution du futur Etat-Nation, etc. Retenons en particulier que l’épuisement possible des ressources de pétrole et de gaz de la Mer du Nord, et donc de la transition énergétique ne sont pas éludés.
D’ores et déjà, et quel que soit le résultat du référendum, on peut cependant déjà annoncer que l’Ecosse a gagné ! En effet, ou les Ecossais vote majoritairement pour l’indépendance et l’affaire est entendue. Ou le non l’emporte et l’Ecosse reste dans l’Union, mais on peut le prédire, avec un score des plus honorables des indépendantistes. Dans ce dernier cas, a minima, les propositions de la commission Calman votées par le Parlement de Westminster et érigées en décret en 2012 s’appliqueront.
Mais même les opposants à l’indépendance se sont engagés à aller plus loin dans la dévolution. Celle que l’on appelle la “dévolution plus”, avec une étape ultérieure la “dévolution max”, conduira l’Ecosse à collecter ses propres impôts et taxes, laissant la gestion des pensions, de la défense et des affaires étrangères au niveau du Royaume-Uni. Ce que l’on appelle déjà l’indépendance “light”…