Lors de l’examen de la proposition de loi relative à la défense et à la valorisation des langues dites régionales, l’intervention à l’Assemblée Nationale le 8 avril 2021 du Député de la France Insoumise Bastien Lachaud a été un morceau d’anthologie. Avec ce genre de défense du plurilinguisme, les 75 langues auxquelles aurait pu s’appliquer la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (selon le rapport « Les langues de la France » établi à la demande du gouvernement de Lionel Jospin en 1999) peuvent se rhabiller.
M. le président. La parole est à M. Bastien Lachaud.
M. Bastien Lachaud. Le plurilinguisme est une richesse. La diversité des langues parlées et des cultures qu’elles appellent est une richesse. La protection de la diversité linguistique doit faire partie des politiques publiques et l’enseignement des langues dans l’enseignement public être développé. Il faut que les élèves de nos écoles puissent accéder à des enseignements linguistiques divers, qu’ils aient donc le choix.
Mais, de l’école primaire à l’université, la diversité linguistique est menacée par une politique du tout-anglais. Or il faut au contraire protéger la diversité de l’enseignement des langues. Une pluralité de langues vivantes doit être proposée aux élèves. De même, l’enseignement des langues anciennes, le latin et le grec ancien, devrait être encouragé au lieu d’être toujours plus réduit. Parmi ces langues proposées par l’enseignement public, les langues régionales de l’hexagone et d’outre-mer, oui, mais il en faut aussi bien d’autres. Pour cela, il faut ouvrir des places aux concours de la fonction publique pour l’enseignement des langues.
Or la présente proposition de loi, sous couvert de la nécessaire protection de la diversité linguistique, cherche en réalité à imposer l’apprentissage des langues régionales, au détriment des autres.
M. Fabien Di Filippo. Mais non !
M. Bastien Lachaud. Elle cherche à limiter la capacité des élèves à choisir l’apprentissage d’une langue (Protestations continues sur les bancs du groupe LR), lesquels ne se décideront plus selon leurs goûts, leurs aspirations personnelles, mais devront le faire selon leur région d’origine. Elle cherche à marchandiser l’apprentissage des langues régionales et à faire financer, par l’argent public, des écoles privées, sous prétexte d’enseignement de ces langues. Cela n’est pas acceptable. (Exclamations continues sur les bancs du groupe LR.) Et ceux qui s’y opposent sont immédiatement repeints en pourfendeurs de la diversité linguistique, en thuriféraires du monolinguisme strict, en assassins des cultures régionales. Il n’en est rien.
Nous voulons un enseignement public d’une pluralité de langues, dont le choix ne serait pas imposé mais reviendrait à l’élève et à sa famille. Ainsi, nous nous opposons à l’article qui voudrait imposer par convention régionale l’apprentissage des langues régionales aux élèves. En effet, le temps scolaire n’est pas extensible. Cela se ferait nécessairement au détriment des autres langues vivantes ou anciennes qui ne seraient plus proposées. Ces enseignements doivent évidemment exister, mais rester facultatifs en tant qu’options. Un jeune qui se passionnerait pour les mangas et souhaiterait approfondir sa connaissance de la culture japonaise devrait pouvoir choisir le japonais. (Exclamations continues sur les bancs du groupe LR.) On ne doit pas lui imposer une langue régionale à la place. Un jeune qui voudrait renouer avec une langue d’origine de sa famille, l’italien, le portugais, l’espagnol, l’allemand, le polonais, le chinois, l’arabe, le grec, entre autres,…
M. Raphaël Schellenberger. L’internationale socialiste a encore de beaux jours devant elle ! Trotskiste !
M. Bastien Lachaud. …devrait pouvoir la choisir comme option facultative sans qu’on lui impose une langue régionale à la place. La liberté est dans le plurilinguisme, pas dans l’imposition d’une langue spécifique, fût-elle régionale.
Le texte proposait également – la disposition a été supprimée en commission mais le rapporteur veut y revenir –, l’extension de la loi tendant à garantir la parité de financement entre les écoles élémentaires publiques et privées sous contrat d’association lorsqu’elles accueillent des élèves scolarisés hors de leur commune de résidence, dite loi Carle, ce qui reviendrait à imposer aux communes le financement d’écoles privées qui proposeraient un enseignement en langue régionale. À l’heure actuelle, il est possible mais dépend de la délibération de la commune. On voudrait donc le leur imposer. Je ne suis pas d’accord pour qu’on dépouille de leurs élèves les écoles publiques de nos villages ni pour qu’on force les communes à financer les écoles privées. L’argent public doit aller à l’école publique.
Enfin, la proposition de loi prévoit d’ouvrir la possibilité d’enseigner principalement en langue régionale dans des écoles publiques où l’enseignement en langue française serait dès lors minoritaire. Je ne suis pas d’accord.
M. Erwan Balanant. Vous auriez dû écouter ce que disait hier Mme Panot !
M. Bastien Lachaud. L’enseignement bilingue en langue régionale est possible à l’école publique, mais il n’est pas question d’y effacer l’apprentissage du français. L’article 2 ter précise que l’apprentissage principal d’une langue régionale se ferait « sans préjudice de l’objectif d’une bonne connaissance de la langue française », ce qui est, vous le reconnaîtrez, particulièrement flou. Le français n’est pas une « langue dominante », comme le disent les rédacteurs, c’est la langue commune de la République. Or la disposition envisagée est contraire à la Constitution,…
Plusieurs députés du groupe LR. C’est faux !
M. Bastien Lachaud. …ce que soulignait bien le Conseil constitutionnel en 2011 : « […] l’usage d’une langue autre que le français ne peut être imposé aux élèves des établissements de l’enseignement public ni dans la vie de l’établissement, ni dans l’enseignement des disciplines autres que celles de la langue considérée. » Il ne peut donc pas être question d’imposer l’apprentissage d’une langue régionale à l’école publique à la place des enseignements du français et en français.
Car défendre le plurilinguisme, c’est aussi défendre la francophonie. Et défendre la francophonie, c’est promouvoir activement le plurilinguisme face à l’hégémonie de l’anglais. C’est refuser la carte d’identité française avec des inscriptions en anglais. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.) C’est défendre le plurilinguisme à l’université, soit le contraire de ce que fait le Gouvernement qui veut imposer des certifications en anglais par des organismes à but lucratif pour l’obtention de diplômes, dans une approche purement utilitariste. Promouvoir la francophonie et montrer que le français est une langue internationale, que nous avons en partage avec des millions de locuteurs dans le monde, on ne peut le faire qu’en apprenant à nos enfants une pluralité de langues, y compris les langues régionales, mais pas qu’elles.