Des élections pour quoi faire ?

Du 28 avril au 26 mai, quatre élections importantes auront lieu dans l’État espagnol: législatives, européennes, autonomiques et municipales dans la plupart des nationalités. La parole rendue aux électeurs dans un contexte politique inédit devrait permettre de jeter les bases d’une nouvelle donne. Mais les peuples, leur Etat et leurs institutions ne mutent pas si facilement.

Trois séismes secouent la vie politique d’un pays en pleine campagne électorale : la revendication indépendantiste catalane et le méga procès de ses dirigeants, les affaires de corruption qui continuent à éclater plus que jamais, enfin la recomposition de la carte des partis politiques. Sa fragmentation culmine avec cinq formations principales, toutes agitées par des dissensions.

C’est évidemment du jamais vu dans un pays d’Europe de l’ouest : depuis le 12 février, une douzaine de dirigeants politiques incarcérés, ainsi que nombre de cadres politiques et administratifs, sont traînés devant une haute cour, pour avoir voulu organiser en 2017 un référendum refusé par l’État central. Au fil des audiences qui, jusqu’à la fin mai, verront défiler prévenus, ministres, dirigeants du PP et hauts fonctionnaires au pouvoir à l’époque, la Catalogne et l’Espagne revivent un an et demi après, le combat ou le psychodrame d’une revendication indépendantiste catalane portée par ses institutions.

L’Espagne ne pouvait pas trouver mieux pour raviver ses plaies, les Catalans de plus belle tribune pour mobiliser leurs électeurs. Le spectacle de la domination, de la dépendance, rien de tel pour nourrir l’abertzalisme.

Le 16 mars, 120.000 indépendantistes défilent dans les rues de Madrid et clament leur solidarité. Sans doute ce procès était-il insuffisant pour durcir l’affrontement de deux nations. Les Espagnols en rajoutent plusieurs couches : un nouveau procès va bientôt s’ouvrir. Le 25 mars, la cour des comptes remet au procureur général de l’Etat un épais rapport de 500 pages dans le but d’inculper à nouveau les dirigeants catalans. Ils ont utilisé de l’argent public entre 2011 et 2017 (7,3 millions d’euros), afin de faire la promotion de l’indépendance du pays à l’étranger.

Censure sous couvert de neutralité

Tous les bâtiments institutionnels catalans (mairies, députations, gouvernement régional, etc.) portent sur leurs façades des banderoles en solidarité avec les dirigeants incarcérés et exilés, ainsi que le drapeau indépendantiste porteur d’une étoile, la “estelada”. Au nom de la neutralité des institutions publiques, la commission électorale espagnole lance le 12 mars un ultimatum au président catalan Quim Torra. Il a 48 heures pour enlever tous ces symboles. Après onze jours de bataille juridique et politique, menacé des foudres “judiciaires” espagnoles, le président de la Generalitat accepte de se soumettre. Banderoles et drapeaux sont enlevés… et aussitôt remplacés par d’autres réclamant la “Llibertat d’opinió i d’expressió”.

Le 28 mars, la commission électorale de la province de Barcelone interdit à la télévision TV3 (l’équivalent d’EiTB) et à Catalunya Radió, l’usage des termes “prisonniers politiques” et “exilés”, au nom du “pluralisme politique et de la neutralité de l’information”.

En plein procès, les indépendantistes catalans reçoivent le soutien de 41 sénateurs français : dans une tribune publiée le 25 mars, ces parlementaires dénoncent “la répression d’élus légitimes, représentants politiques de la Generalitat de Catalogne, emprisonnés ou forcés à l’exil pour leurs opinions dans l’exercice des mandats que leur ont confiés les électeurs”. Constatant “une véritable atteinte aux droits et aux libertés démocratiques”, ils demandent à la France et aux pays de l’Union européenne d’intervenir “pour rétablir les conditions du dialogue afin de trouver des solutions politiques à un problème politique”. Les sénateurs signataires appartiennent à la plupart des partis, treize d’entre eux sont socialistes, d’autres font partie de La république en marche, des groupes communistes, centristes et républicains.

Nathalie Loiseau, ministre française des Affaires européennes, a désavoué cette déclaration. L’ex-candidat socialiste à la présidentielle Benoît Hamon, aujourd’hui leader de Génération-s, annonce qu’il rendra visite entre le 1er et le 2 avril à plusieurs leaders catalans incarcérés.

Puigdemont et Oriol Junqueras candidats

L’ex-président Carles Puigdemont, toujours exilé en Belgique, conduira la liste des députés que sa formation PDeCAT présente aux Cortés. Pour les élections européennes, il dirige également une liste et compte bien siéger, fort de son immunité de parlementaire européen. Avec lui, figurent en bonne place plusieurs dirigeants incarcérés. PDeCat ne fera pas liste commune avec le PNV, après 15 ans de compagnonnage. Le parti basque a préféré divorcer à l’amiable, au regard des différences de stratégie qui animent les deux formations. Mais un accord post-électoral ayant pour objectif la défense des intérêts d’Euskadi et de la Catalogne, est prévu. Malgré cette décision, le PNV devrait conserver son élue au parlement européen, Izaskun Bilbao. En revanche, EH Bildu et ERC font liste commune. Oriol Junqueras, ex-vice président catalan incarcéré, conduit les listes aux européennes et aux législatives. CUP, le petit parti indépendantiste le plus radical, ne participera ni aux élections européennes, ni aux législatives. Une absence qui n’est pas un signe de bonne santé politique. Les sondages donnent un avantage à ERC qui prendrait une nette avance sur PDeCAT, ce dernier voit son affaiblissement se poursuivre au fil des scrutins.

Bernard-Henri Lévy au secours de Valls

La candidature de Manuel Valls aux élections municipales de Barcelone peine à embrayer. L’intellectuel médiatique Bernard-Henri Lévy est venu à Barcelone le 25 mars pour soutenir l’ex-premier ministre français, au nom de la lutte contre le nationalisme et le populisme. BHL s’était fendu le 10 janvier d’un tweet où il qualifiait “Quim Torra, président de Catalogne, de nationaliste autoritaire, admirateur de Milosevic et Mussolini”.

Rien n’est simple pour les cinq partis politiques espagnols qui s’affrontent dans cette série de scrutins. A droite, le projet d’alliance entre les trois formations PP, Ciudadanos et Vox pose problème, s’ils veulent constituer une majorité, comme ils viennent de le faire en Andalousie.

Vox présente des candidats qui effraient la droite libérale et font désordre : anciens généraux, prédateurs sexuels, homophobe et antisémite négationniste vite passé à la trappe, etc. Le parti d’extrême droite crédité de 10% des voix doit faire face à une inscription massive d’adhérents, arrivistes et opportunistes de tous poils ; il est obligé de mettre en oeuvre un filtrage serré des candidatures pour éviter tout dérapage.

Longtemps invisible, l’Espagne noire se réveille et fait des vagues.

Corruption, la vérole sur le bas-clergé

Ciudadanos qui espérait renouveler la droite en passant devant le PP, voit son influence s’éroder.

Le parti des libéraux ultra-centralistes proches de le République en marche d’Emmanuel Macron, exclut aujourd’hui toute alliance avec le PSOE, y compris dans le cadre d’un soutien passif. Comme Vox, il s’agit d’un parti jeune qui manque de cadres aguerris et disciplinés. Son système de désignation des candidats via des primaires, suscite des guerres intestines dévastatrices, en particulier en Cantabrie et en Castilla-Léon.

Le PP peine lui aussi à la manoeuvre. Les affaires de corruption retentissantes qui lui ont coûté le pouvoir l’an dernier, continuent d’éclater aux quatre coins de la péninsule ibérique : Melilla, Zamora, Almeria, Asturies… Eduardo Zaplana, ex-ministre PP, est poursuivi pour évasion fiscale. L’ex-étoile montante des “Populaires” à Madrid, Cristina Cifuentes comparaît devant les tribunaux pour avoir menti sur ses diplômes universitaires. En pleine campagne électorale, la tornade des affaires continue de s’abattre sur ce parti de droite, comme la vérole sur le bas-clergé: “Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés…

A gauche, Podemos vit des moments difficiles, à quelques semaines de scrutins décisifs. Il s’agit là aussi d’une formation jeune qui reste encore un conglomérat de plusieurs groupes fédérés. Conflits sur les alliances à nouer au lendemain des élections, querelles d’egos, le parti est livré aux vieux démons sur lesquels il prétendait tirer un trait. A Valence, sa cohésion est mise à mal, en Galice, il implose. Podemos tente de sauver les meubles à Madrid en ménageant Iñigo Erejón, le numéro 2 dissident du parti qui a fait alliance avec la maire sortante. En Catalogne, le parti n’existe quasiment plus, seule la maire de Barcelone Ada Colau tient encore le coup, mais pour combien de temps? Le parti a grandi trop vite, il lui est difficile de durer. L’affaiblissement de Podemos est regrettable pour les partis catalans et basques : il s’agit de la seule formation espagnole relativement ouverte à nos revendications institutionnelles. Elle seule fragilise l’unanimisme, l’union sacrée qui bloquent les institutions de l’Etat.

30.000 emplois publics, 200 casernes rurales

Et le PSOE dans tout ça? Il ne rencontre des difficultés qu’en Andalousie. Pedro Sanchez a du mal à renouveler les candidatures dans ce qui fut son fief historique. Les vieux briscards résistent face à la jeune génération.

Le premier ministre socialiste profite de ses dernières semaines au pouvoir, pour faire passer par décrets-lois une batterie de mesures à caractère social : protection pour limiter les expulsions de logements, extension du congé de paternité, salaire minimum pour les jeunes chercheurs, etc. 30.000 emplois publics seront créés.

Le conseil des ministres annonce le 28 mars la mise en place de 70 mesures pour lutter contre la désertification qui affecte le centre de l’Espagne : aides économiques, mais aussi implantation de 200 petites casernes de l’armée dans des cités vieillissantes, bientôt vidées de leurs habitants. Les socialistes soignent les électeurs ruraux qui eux, font l’effort d’aller voter.

Les sondages donnent le PSOE en tête,
il gagne du terrain sur Podemos.
Mais cela demeure un ré-équilibrage interne à la gauche.
L’addition des partis de gauche disposerait
d’une légère avance sur celles des partis de droite,
sans toutefois atteindre la majorité absolue.

Le PSOE se livre au grand écart. Il cajole les électeurs attirés par Ciudadanos et tente d’attirer les transfuges de Podemos. Le PNV réclame à cor et à cri le transfert de sept compétences, avant l’échéance du 28 avril. Elles portent sur les produits pharmaceutiques, les assurances scolaires, les aides en faveur des salariés proches de la retraite affectés par un licenciement, les transports ferroviaires de proximité sur les voies étroites, l’innovation technologique, un centre d’étude et d’expérimentation des travaux publics, les voyages et échanges scolaires. Nous sommes bien loin des pouvoirs régaliens sur lequel un Etat s’arc-boute… Pourtant, Pedro Sanchez fait la sourde oreille.

Se passer des trublions périphériques

Les sondages donnent le PSOE en tête, il gagne du terrain sur Podemos. Mais cela demeure un ré-équilibrage interne à la gauche. L’addition des partis de gauche disposerait d’une légère avance sur celles des partis de droite, sans toutefois atteindre la majorité absolue. Ils auront donc besoin des partis dits “périphériques” s’ils veulent exercer le pouvoir. Sauf grosse surprise, le scrutin du 28 avril risque d’aboutir à un remake, l’Espagne demeurera difficile à gouverner durablement. On voit mal comment un pouvoir faible pourrait engager des transformations institutionnelles fortes, une modification de la Constitution par exemple.

Le retour de la droite au pouvoir serait pour les Catalans et les Basques un désastre. Sa division s’est faite au profit de formations hyper-centralistes qui veulent revenir sur le difficile équilibre construit lors de la Transition, celui de l’État des autonomies.

Après avoir longtemps surfé sur la lutte anti-ETA, la droite fait ses choux gras sur la montée en puissance du nationalisme espagnol anti-catalan. Un bon bouc émissaire, rien de tel pour galvaniser les troupes. Autre scénario possible : que les partis de droite et de gauche espagnols, fatigués de dépendre de majorités construites avec l’appoint des partis “périphériques”, se mettent d’accord pour modifier la loi électorale. Avec pour seul objectif de se passer de ces trublions qui remettent en cause l’unité nationale et sèment la chienlit. Cette hypothèse permettrait de verrouiller l’Etat-nation espagnol. Elle serait catastrophique pour les abertzale.

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