« Imbroglio » ressasse la presse française, en évoquant l’arrestation, vendredi soir, de cinq personnes en présence d’un stock d’armes de l’ETA. C’en est presque réjouissant. Non que cette unanimité traduise la complexité d’une affaire, fort simple au demeurant, mais plutôt qu’elle permette de mesurer une complication inattendue dans l’esprit de journalistes toujours enclins à une rassurante simplification. Sur le bandeau d’iTÉLÉ, au delà des 38 caractères nécessaires à l’annonce de « 5 membres de l’ETA arrêtés à Louhossoa », tout devient imbroglio.
Les faits se posent pourtant de manière limpide. Trois personnalités basques, au dessus de tout soupçon, connues notamment pour leur engagement non-violent, ont entrepris de détruire une partie du stock d’armes de l’ETA pour faire évoluer une situation politique bloquée à ce stade et enclencher un processus de paix que refuse l’Etat espagnol. La France s’aligne depuis cinq ans sur la position espagnole qui prône une victoire policière totale et rancunière en interdisant du même coup une résolution en profondeur du conflit basque. C’est plus qu’un bandeau iTélé pour le dire mais déjà bien loin d’un imbroglio.
De cette simplicité désarmante découle tout le reste. 4.000 personnes réunies à Bayonne dès le lendemain de l’arrestation pour réclamer la libération des « faiseurs de paix », des élus de tous bords, députés, sénateurs, députés européens, pour certains engagés de longue date dans ce processus de paix qui peine à trouver un interlocuteur depuis la conférence pour la paix d’Aiete, en 2011. Une pluie de communiqués de soutien provenant d’organisations syndicales, économiques, paysannes, écologiques…
Guerre de communication
Du reste, il n’y a bien que la presse française pour trouver ce dossier alambiqué. Même si les journaux espagnols forcent le trait, en évoquant « un commando légal de l’ETA », la plupart des analystes ibériques s’accordent finalement sur la vision de la présidente de Bake Bidea, Anaiz Funozas, qui lançait, lors d’une prise de parole clôturant la manifestation bayonnaise : « il ne s’agit pas d’une opération contre l’ETA mais d’une attaque contre le processus de paix ».
A la nuance près que les médias espagnols réfutent globalement toute idée de négociation avec l’ETA et se réjouissent de cette intervention policière, derrière le ministre de l’intérieur, Juan Ignacio Zoido, qui assure qu’il ne permettra pas à l’ETA de « piloter une fin dans laquelle ils ne veulent pas reconnaître qu’ils ont été vaincus par l’Etat de droit ». La guerre continue dans la communication.
Victime collatérale de ces bombardements habituels de communiqués, le nouveau ministre français de l’intérieur, Bruno Leroux, s’est d’abord réjouit d’« un nouveau coup dur porté à ETA », lorsque ses prédécesseurs préféraient le silence. Puis il a été contraint de se justifier pour clarifier ce fameux imbroglio en estimant que « en matière de terrorisme, toutes les preuves doivent pouvoir concourir à la justice. Personne n’a le droit de se proclamer destructeur d’armes et éventuellement de preuves ».
Que fait la police ?
Dans un pays producteur d’armes, on peut comprendre sa crainte. Pour le reste, il faut s’interroger sur la nature des preuves que peuvent apporter des armes qui ont éventuellement servi à faire des attentats revendiqués. D’autant plus si ces destructions d’armes n’étaient que des « neutralisations », comme l’a précisé l’avocat de ces bricoleurs improvisés, armés, il est vrai, de perceuses à colonne pour trouer les flingots. Mais surtout, si nul ne peut « se proclamer destructeur d’armes », on peut se demander ce que fait la police.
Car enfin, laisser des militants pacifiques désarmer une organisation militaire est au mieux une ironie, au pire une immoralité. Ce que dénonce notamment le maire centriste de Bayonne, Jean-René Etchegaray, en estimant que « l’Etat, absent du processus de paix initié à Aiete, répond avec cynisme par une opération policière douteuse et frappe des artisans de paix. »
Dans les règles de l’art de la résolution des conflits, les médiateurs du Groupe international de contact (GIC), à l’origine de la conférence de paix d’Aiete, ont, en vain, tenté de convaincre le gouvernement français de créer les conditions du désarmement de l’ETA, en organisant cette remise de l’arsenal. Il s’agissait justement de permettre à des intermédiaires de récupérer les armes en toute sécurité. Cette commission de désarmement a fini par jeter l’éponge face à la mauvaise volonté française (et à la fureur espagnole). Et les armes sont restées dans la nature. En attendant peut-être que les frustrations accumulées ne recréent des velléités.
L’arme à gauche
Ou pire encore si cette nature est, en quelque sorte, maîtrisée. Car « l’opération policière douteuse » dont parle le premier magistrat bayonnais a été fulgurante. Ces militants de la paix, dont certains vaquaient le matin même à leurs préoccupations habituelles, n’ont guère eu le temps de permettre à l’ETA de passer l’arme à gauche dans les conditions espérées. On ne peut blâmer cette célérité mais on peut en soupçonner les rouages. En suivant, au choix, la route des armes ou le parcours de militants pacifistes. A Biarritz en mai 2015, une autre tentative de restitution des armes avait connu le même dénouement. De quoi s’interroger, à l’exemple du député Jean Lassalle qui demandait samedi « l’ouverture d’une enquête parlementaire » en plus de la libération des prévenus. Si les armes sont déjà repérées, a quelle fin policière ne les saisit-on pas ? Dans quel but politique conserve t-on cette pression sur la société basque et cette situation de blocage, en réclamant d’un côté le désarmement et en interdisant son processus ?
D’autant plus s’il s’agit d’embastiller ce genre de poisson. Michel Bergouignan, connu pour avoir dirigé les caves d’Irulegi et milité au sein d’Abertzaleen Batasuna. Michel Berhocoirigoin, co-fondateur de la confédération paysanne et de Laborantza ganbara (et collaborateur du présent journal). Txetx Etcheverry, syndicaliste, chantre de l’action non-violente et à l’origine de dizaine de projets créatifs au Pays Basque et bien au-delà (et collaborateur du présent journal). Le parquet antiterroriste a ouvert une enquête préliminaire vendredi pour « association de malfaiteurs et infractions sur la législation sur les armes et les explosifs en bande organisée, le tout en relation avec une entreprise terroriste ». Dans l’Etat d’urgence, il y a urgence. Le président d’honneur de la ligue des droits de l’Homme, Michel Tubiana, s’est solidarisé de cette action en expliquant qu’il aurait dû y participer. Il comparaîtra devant la justice antiterroriste du parquet de Paris en qualité de témoin.
A leurs côtés, le journaliste Stéphane Etchegaray, devait capter les images pour témoigner de cette action et la journaliste de Médiabask, Béatrice Molle, louait une dépendance de sa maison sans en connaître la finalité, affirment ses avocats. Les cinq prévenus, menottés, ont été transférés à Paris ce lundi matin et seront présentés mardi devant le parquet de Paris.
Aux armes, citoyens
Si la relation avec une bande armée organisée ne passe pas au Pays Basque, c’est bien sûr, d’abord, en raison de ces personnalités, connues pour avoir enclenché des dynamiques payantes de résistances civiles ou d’actions non-violentes. Mais c’est aussi la forme de leur action qui engage simultanément un nouveau processus et les blanchit aux yeux de la population. Pour la première fois, la société civile prend la main, même si celle-ci est bien vite menottée. Cet acte sacrificiel porte les germes de l’action non-violente, bien au-delà du symbole de destruction des armes. On est dans l’interdit légitime, dans la revendication à visage découvert quand la police finit par incarner la violence et l’image sombre de la suspicion encagoulée. L’utilisation de la force de l’ennemi, quand sa charge devient grotesque, son action une dérision.
La restitution et la « neutralisation » de ces armes devaient donc être filmées. Les courriers avec ETA ont été publiés. L’engagement et l’intention étaient assumés. Et les ennuis qui en ont découlés sans doute prévus. On imagine sans mal le sac et la brosse à dent prêts pour la garde-à-vue. Et l’idée de donner l’initiative à cette société basque comprimée dans ce conflit depuis trop longtemps, comme une bouffée d’air salvatrice. Non pas pour que les citoyens se mettent à désarmer à tout va, mais pour créer cette troisième colonne, cette force d’interposition capable de faire pression sur un gouvernement et permettre le dialogue impossible. Un détonateur qui trouve sa charge. En 24h, la pétition pour demander la libération des cinq « artisans de la paix » a recueilli près de 20.000 signatures. Les mobilisations se poursuivent. Un sacré imbroglio est attendu dans les médias. Réjouissant. En tout cas, désarmant.