« Jugement acrobatique », c’est ainsi que l’avocat Patrick Baudouin, président de la Ligue des Droits de l’Homme a qualifié la décision prise ce 15 mai 2024 par le tribunal de Paris concernant Béatrice Molle Haran et Txetx Etcheverry poursuivis pour l’opération de désarmement réalisée à Luhuso le 16 décembre 2016. Ils ont été reconnus coupables mais dispensés de peine et n’auront pas d’inscription au fichier anti-terroriste, le fameux FIJAIT.
C’est sans conteste une victoire politique pour les Artisans de la paix qui ont comparu la tête haute les 3 et 4 avril dernier devant la XVIème chambre antiterroriste en assumant leurs actes et en répétant à plusieurs reprises que si c’était à refaire, ils le referaient sans l’ombre d’une hésitation. La décision prononcée par le tribunal de Paris, à savoir la reconnaissance de culpabilité des prévenus – qui revendiquaient les faits qui leur étaient reprochés – assortie d’une dispense de peine et sans inscription au fichier anti-terroriste, est interprétée comme une volonté d’apaisement dans ce dossier. Avec le recul, on ne peut s’empêcher de penser que l’État français a commis une belle erreur en ne déclarant pas un non-lieu dans l’affaire Luhuso. Il aura offert une sacrée tribune aux Artisans de la paix qui ont pu longuement livrer le récit de ce qui s’est déroulé pendant cette séquence comprise entre le 16 décembre 2016 et le 8 avril 2017. Ce récit a été corroboré au plus haut niveau puisque le préfet et le ministre de l’Intérieur de l’époque, Messieurs Eric Morvan et Mathias Fekl sont venus à la barre valider les versions de Txetx Etcheverry et de Béatrice Molle Haran, et souligner la contribution à la paix qu’aura constitué l’acte collectif de Louhossoa. Le premier ministre de l’époque confirmera quant à lui le récit des inculpés auprès du quotidien Sud-Ouest.
Provocations déjouées
Le Parquet national anti-terroriste lui même viendra confirmer ce qui était en jeu et qu’a empêché l’action de Luhuso. Les deux États espéraient jouer au chat et à la souris plusieurs années de plus, en tentant de démanteler les caches les unes après les autres quel que soit le temps que cela prendrait, et en arrêtant le maximum possible de membres ou de collaborateurs d’ETA. La volonté était de prolonger une longue et humiliante agonie de l’ennemi et de construire un récit de déroute totale, quitte à prendre tous les risques pour la paix, quitte à semer les germes d’une irrésistible volonté de revanche. Le PNAT ne démentira même pas la tentative espagnole de saborder le désarmement total en tentant une opération policière quelques jours avant le 8 avril 2017, visant à démanteler deux caches, dont l’une se trouvait dans une maison habitée, ce qui aurait donc entraîné de nouvelles arrestations. Le gouvernement français a empêché cette initiative qui aurait pu risquer de remettre en cause le démantèlement final de l’arsenal d’ETA par les Artisans de la paix.
Continuer le travail
La représentante du PNAT ne commentera pas non plus les accusations portées à son encontre par les prévenus de ne montrer aucun intérêt ni volonté d’élucider la cinquantaine d’assassinats commis en Pays Basque Nord, donc sur le « territoire français » relevant théoriquement de sa responsabilité, tout au long de la guerre sale menée par les diverses succursales barbouzardes et les polices parallèles créées et financées par l’État espagnol. Béatrice Molle Haran et Txetx Etcheverry ont exprimé leur satisfaction devant cette décision et ont appelé à construire les conditions d’une paix juste et durable, en demandant notamment le retour dans leurs maisons de tous les prisonniers et exilés basques, la reconnaissance de toutes les victimes et un travail sur les racines mêmes du conflit armé.