La question d’un référendum pour la réunification de l’Irlande est d’actualité, à la faveur d’un Brexit douloureux, des dernières élections législatives et du blocage institutionnel qui en découle.
“La victoire du Sinn Fein ravive les craintes d’une Irlande unifiée” s’est ému le très conservateur quotidien britannique The Daily Telegraph après la victoire des républicains aux élections nord-irlandaises du 5 mai dernier.
La présidente du Sinn Fein, Mary Lou McDonald, avait pourtant enjoint le camp unioniste de “ne pas avoir peur car l’avenir [serait] radieux pour tous”. Mais cet avenir passe bien par l’unification de l’Irlande, qui constitue selon elle “le meilleur plan, la plus grande opportunité pour tous ceux qui vivent sur cette île”. Dans un contexte où les institutions nord-irlandaises sont décrédibilisées par l’attitude du principal parti unioniste qui, malgré sa défaite, refuse de laisser le poste de Premier ministre au Sinn Fein (lire aussi ma chronique dans Enbata 2382), il est assez probable que les partisans d’une unification avec la République d’Irlande soient de plus en plus nombreux.
Pour autant, l’espoir formulé par Mary Lou McDonald qu’un référendum de réunification se tienne “dans un délai de 5 ans” est-il réaliste ?
Pencher la balance
Suite aux dernières élections, les partis favorables à la réunification (les républicains du Sinn Fein, les nationalistes du SDLP et les trotskistes de People before profit) devancent les partis unionistes d’une courte tête avec 354.432 votes contre 349.099. Avec ses 116.681 suffrages, le parti centriste Alliance, qui adopte une position neutre sur la question, est arrivé en troisième position et peut donc faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre.
Cela fait dire au ministre des Affaires Étrangères de la République d’Irlande que même si les républicains ont remporté une victoire historique, l’équilibre des forces entre nationalistes et unionistes “n’a pas radicalement changé”. C’est vrai, mais le résultat des élections confirme une tendance assez nette. Selon un sondage qui ausculte chaque année les opinions des habitants des six comtés, le soutien à un maintien de l’Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni a baissé significativement depuis l’an dernier (de 54% à 48%) et si un référendum de réunification se tenait demain, la réunification serait certes rejetée mais avec un écart significativement moindre que l’an dernier (14% contre 23%). Les effets du Brexit et du sabotage par Boris Johnson du “protocole irlandais”, dont j’avais parlé le mois dernier, se font certainement sentir…
Modalités d’un référendum
Il n’est pas déraisonnable d’extrapoler cette tendance en se disant qu’une partie au moins des électeurs d’Alliance finiront par penser que la réunification est préférable au blocage institutionnel actuel. Il faut donc dès maintenant commencer à réfléchir aux modalités d’un référendum. Selon les termes des accords de paix du vendredi saint de 1998, ce ne sont pas les partis politiques nord-irlandais qui peuvent le convoquer mais le secrétaire d’État britannique à l’Irlande du Nord, “s’il lui apparaissait qu’une majorité d’électeurs se prononcerait pour quitter le Royaume-Uni et former une Irlande unie”. C’est un peu vague, et la présidente du Sinn Fein, Michelle O’Neill demande d’ailleurs des clarifications : “nous devrions savoir quelles sont les circonstances qui entraineraient la tenue d’un référendum”. Un rapport de 250 pages publié l’an dernier par un groupe de constitutionalistes de l’University College London (UCL), suggère six critères pour juger de la pertinence d’une telle consultation : nombres de votes aux élections, sièges remportés, vote de l’Assemblée d’Irlande du Nord, sondages, données démographiques et éléments qualitatifs émanant de différentes composantes de la communauté.
Scénarios de réunification
Bien entendu, avant de convoquer un référendum, il faut aussi s’entendre sur les modalités d’une éventuelle réunification.
Le rapport de l’UCL étudie quatre scénarios :
• Le maintien des institutions nord irlandaises mais avec un transfert de souveraineté de Londres à Dublin.
• Un État unitaire avec un unique parlement et un seul gouvernement.
• Un État fédéral dont l’Irlande du Nord pourrait constituer l’un des éléments.
• Une confédération, l’Irlande du Nord devenant alors un État souverain indépendant.
Personne ne conteste que ces choix doivent être débattus en profondeur. C’est pourquoi le Sinn Fein a réagi assez fraichement à la suggestion de l’ancien Premier ministre de la République d’Irlande, Leo Varadkar, que l’assemblée nord-irlandaise pourrait jouer un rôle pour déclencher le processus référendaire.
Pour Michelle O’Neill, “Leo Varadkar ferait mieux de concentrer ses efforts sur la mise en place d’une assemblée des citoyens de toute l’île pour être sûr que les gens aient l’occasion de parler des choses qui sont importantes pour eux, des systèmes de santé et d’éducation qu’ils souhaiteraient”.
Convaincre les indécis
Le Sinn Fein ne veut donc pas mette la charrue avant les bœufs et semble confiant en sa capacité à convaincre les indécis. Le référendum de 2018 en République d’Irlande sur la levée de l’interdiction de l’avortement lui sert certainement de modèle. Une assemblée citoyenne représentant toutes les opinions avait alors été mise en place et après un long processus de dialogue et de débat, elle avait fait la recommandation de légaliser l’avortement. Sur cette question très délicate dans l’Irlande catholique et malgré la visite du Pape, une majorité écrasante des deux tiers avait choisi de suivre la recommandation de l’assemblée citoyenne et le résultat ne fut pas contesté.
Le Sinn Fein ne veut pas mette la charrue avant les bœufs
et semble confiant en sa capacité à convaincre les indécis.
Le référendum de 2018 en République d’Irlande sur la levée de l’interdiction de l’avortement
lui sert certainement de modèle.
Sur cette question très délicate dans l’Irlande catholique,
une majorité écrasante des deux tiers
avait choisi de suivre la recommandation de l’assemblée citoyenne.
Inversement, le Brexit montre qu’un référendum mal préparé peut avoir des conséquences non souhaitées, même en cas de victoire. Et la réunification de l’Irlande pourrait bien en faire partie.