ENBATAk 60 urte
Le Pays Basque nord n’a plus aujourd’hui, « une simple existence sentimentale », et c’est sans aucun doute grâce au travail acharné des abertzale sur le terrain politique. Un travail nourri et renforcé par tous les combats engagés sur de nombreux terrains. C’est le Enbata n°510, du 1er juin 1978 qui parlait de ce simple « sentiment » : « Encore faut-il commencer par le commencement, c’est à dire donner à ce pays, dont la personnalité est si forte qu’on en oublie qu’il n’a qu’une simple existence sentimentale, un cadre juridique et administratif », dans un éditorial non signé mais qu’on peut attribuer, je pense, à Jakes Abeberri.
Cinquante-sept ans après la création d’Enbata, et 39 ans après la publication de cet éditorial, le 1er janvier 2017 avec la création d’Euskal Hirigune Elkargoa ce cadre juridique et administratif voyait le jour.
Dans le champ politique, la principale victoire abertzale a été celle-là : imposer un cadre politique de gestion au niveau d’Iparralde. Qu’on parle voirie, transport, eau, culture, loisirs… les aménagements doivent se penser à l’échelle des trois provinces depuis la création de la CAPB. Un acquis propre à étonner ceux qui menaient ce pays il y a 60 ans, puisque remonter le temps, c’est l’exercice demandé à ceux qui déroulent le fil des colonnes d’Enbata, ces dernières semaines. Et qui ne coule pas de source, tant les oppositions ont été fortes, jusqu’au dernier moment.
La représentation, le poids politique de tout ce mouvement qu’il faut mesurer à un instant précis, a été un travail patient de mise en place. Les élections ont souvent cristallisé sur une courte campagne de quelques semaines, des débats menés sur le temps long, pendant des années. La reconquête de l’euskara passé d’un reflet de la nostalgie passéiste, à un objet de fierté et un atout socio-économique ; la lutte pour une agriculture vivante, avec de nombreuses fermes et producteurs, directement branchée sur l’agro-alimentaire et le consommateur ; un tourisme respectueux de ceux qui vivent sur le terrain les douze mois de l’année ; un pays qui parvient à loger tous ses jeunes… Autant de revendications mises en avant au moment des élections mais qui se sont forgées en dehors des rendez-vous électoraux.
Tisser patiemment sa toile
Les législatives sont les élections les plus difficiles pour les abertzale, mais elles sont les seules où on peut juger du poids des idées plutôt que de l’influence ou la popularité d’un candidat, elles sont à ce titre un prisme intéressant pour rendre compte de la progression des idées abertzale. Il y a 60 ans, en 1962, la V° République est dans les langes et on parle plus d’Algérie que de Pays Basque ; si Michel Labèguerie est élu député, il ne le doit certainement pas à sa sympathie pour les euskaltzale. En 1967, avant même qu’un mouvement politique organisé ne tisse patiemment sa toile en Iparralde, Christiane Etchalus et Ximun Haran portent les premiers l’idée de l’autonomie. Ils récoltent 5.035 voix (4,63%) sur les 136.139 inscrits de l’époque(*). Il faudra attendre vingt ans, et les élections de 1988 pour que les abertzale reviennent à un score similaires en se présentant unis. Jakes Aurnague, Piarres Charriton, et Richard Irazusta obtiennent alors 6.757 voix (5,67%).
En vingt ans, la droite est toujours majoritaire en cette fin des années 1980, mais elle ne règne plus en maître. Plus d’élection triomphale au premier tour, mais la gauche hexagonale est privée de majorité par les abertzale. Michel Inchauspé est obligé de bâcler un projet des 3B (Basque, Béarn, Bigorre) pour contrer la revendication autonomiste abertzale, Michèle Alliot-Marie de rajouter des paragraphes en euskara dans son programme, et Alain Lamassoure fait sensation, en employant les mots « Pays Basque nord » et « Iparralde » au cours des débats.
« Shadow Cabinet »
La gauche abertzale prouve alors qu’elle devient un allié indispensable pour prendre le pouvoir ou former une majorité dans beaucoup d’assemblées du Pays Basque. Sans mouvement abertzale structuré capable de fournir des interlocuteurs, sans preuve de son poids politique, pas de Conseil de Développement, pas de Conseil des Élus, qui vont fonctionner comme un véritable « shadow cabinet », un cabinet fantôme avec des axes programmatiques que le département, la région, l’État mettrons en œuvre parfois avec intérêt (à défaut d’enthousiasme), parfois à leur corps défendant.
C’est la dernière fois que le mouvement abertzale, de gauche à droite, se présente uni, mais des années 1990 à aujourd’hui, on peut suivre la lente progression de la gauche abertzale à travers Abertzaleen Batasuna, puis EH Bai. 6.739 voix (5,48%) en 1993 7.573 voix (6,45%) en 1997 ; 7579 voix (5,92%) en 2002 quand la gauche abertzale devient la troisième force politique en Pays Basque nord, derrière l’UMP et le PS.
Force d’appoint puis opposant
En 2007, EH Bai qui fait son apparition, passe le cap symbolique des dix mille bulletins avec 10.663 voix (8,11%) ; en 2012, la gauche abertzale est à 11.409 voix (8,81%) ; en 2017 à 12.592 (10,40%). Par comparaison pendant la même période, le centre et la droite sont passés de 1.140 voix (1,09%) avec EA en 1993 à 2.144 (1,77%) avec le PNB en 2017.
De boite à idées, le mouvement abertzale est passé au statut de force d’appoint, puis d’opposant. L’élection de députés voire de sénateurs signifierait alors que, comme en Corse, ils ont franchi le cap de la prise de pouvoir, et de la gestion de ce pays.
(*) tous les résultats donnés dans cet article sont calculés à l’échelle des 158 communes d’Iparralde.
Quel bonheur de retrouver son pays soixante après, libéré du notabilisme et du cléricalisme.
Je reste admiratif du chemin parcouru par Enbata en 60 ans depuis la consultation du 14 mars 2010,
jusqu’à sa reconnaissance institutionnelle actuelle. Pourtant, Il y en a eu des projets fumeux , des refus
méprisants, des attitudes hostiles, des arguments biaisés ou temporisateurs .
Merci donc à Jakes, J.Bortayrou, J.L.Davant , M.Bidegain, E.Duny-Petré , et tous les autres pour leurs
engagements et leurs analyses.
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Merci d’avoir fait tout ce travail. Maintenant cet outil est dans les mains de la droite localiste, qui va bie s’en occuper.