EPPK, collectif des prisonniers politiques basques, propose à chacun de ses membres d’engager les démarches individuelles qu’exige le gouvernement espagnol pour sortir de prison. Sans pour autant aller jusqu’au repentir et à la délation. Ce pas en avant devrait contribuer à sortir du blocage actuel.
Après des mois de discussions, le collectif des prisonniers politiques basques qui rassemble 350 personnes a décidé d’assouplir ses positions. Dans un document rendu public le 27 décembre 2016, la direction d’EPPK ouvre le débat et propose à chacun de ses membres d’utiliser ou non toutes les procédures prévues par la loi espagnole : rachat, affectation, changement de statut, permission, rapprochement, liberté conditionnelle, etc. Une ligne rouge à ne pas franchir subsiste: le refus du repentir et de la délation, tels qu’ils sont exigés dans la “voie Nanclares”, cadre très humiliant de réinsertion et de rapprochement mis en place depuis des années par l’Espagne et qui n’a rencontré que peu d’écho. Si la décision est approuvée par les preso, le collectif apportera son soutien à tous ceux qui entreprendront ce type de démarche. EPPK s’engage à faire preuve d’une “très grande flexibilité” pour aplanir les difficultés et propose un renouvellement de ses représentants par un vote démocratique — un preso/une voix— et non plus semi-désigné, comme c’était le cas auparavant. Plus de 600 ex-preso d’ETA ont manifesté le 8 janvier à Usurbil leur désir de voir les Basques incarcérés accepter la formule des démarches individuelles. Deux semaines après la déclaration d’EPPK, la manifestation annuelle en faveur des preso a eu lieu le 14 janvier à Bilbao, elle a rassemblé 78.000 personnes. La veuve d’un sergent de la Erzaintza tué par ETA, la fille du dirigeant de Herri Batasuna Santi Brouard tué par le GAL, la veuve du preso Igor Mikel Angulo suicidé en prison, plus un aréopage de personnalités et de dirigeants indépendantistes, tous au coude à coude, ouvraient le défilé.
Aplanir les tensions internes
Une telle proposition faite par EPPK, historiquement très lié à ETA, marque un tournant. Elle tient compte du principe de réalité, d’un rapport de force défavorable et offre une porte de sortie. Ce choix est le fruit d’une assez longue évolution. Il y a près d’un an, le collectif avait accepté que les preso entament les démarches légales de réinsertion. Mais il s’agissait d’une démarche collective, chacun envoyant à l’administration pénitentiaire une lettre type…. à laquelle les autorités n’ont pas donné suite. Le 13 mars 2016, plusieurs centaines d’ex-preso d’ETA réunis à Usurbil affirmaient publiquement accepter “les démarches individuelles sur la base de décisions collectives”. Trente cinq dirigeants de la gauche abertzale ouvraient la voie le 12 janvier 2016 en acceptant la transaction pénale proposée par l’Audiencia Nacional et les parties civiles. Ils reconnaissaient leurs liens avec ETA, renonçaient à l’usage de la violence et contribuaient ainsi à la réparation des dommages et souffrances causés aux victimes du “terrorisme”. Tout cela permit d’éviter la prison à plusieurs dizaines de dirigeants indépendantistes, dont Aurore Martin bien connue en Iparralde (cf Enbata n°2306). En fonction du contenu de son dossier et des actes qui lui sont reprochés, demain, chaque preso pourra négocier individuellement l’assouplissement de son statut, son rapprochement ou sa liberté conditionnelle. Par souci d’efficacité, la gauche abertzale et son noyau dur font le deuil d’une négociation bilatérale et globale autour de l’amnistie ou d’un rapprochement généralisés. C’en est fini d’un collectif unitaire et cohérent dans une logique de front de lutte, chargé d’arracher une amnistie globale, dans le cadre d’une négociation politique. La lutte armée est terminée, la disparition formelle d’ETA est proche, l’Espagne refuse de se présenter comme interlocuteur à une table de négociation, la logique de confrontation pure et dure qui animait le front des prisons, n’a donc plus de sens. C’est ce dont prend acte le document rendu public par EPPK.
ETA lâche la bride
Ne nous voilons pas la face. Il s’agit d’un prix à payer pour faire baisser le nombre de prisonniers politiques basques qui a déjà diminué de moitié en quelques années (plus de 700 en 2009). Cette formule difficile et courageuse a aussi l’avantage de préserver l’unité du mouvement et de l’arrimer à l’ensemble de la gauche abertzale. EPPK soutient le projet indépendantiste “sans être soumis à une organisation ou un organisme”, en d’autres termes à ETA qui ainsi lâche la bride. Nous sommes ici dans une étape importante de la recomposition de la gauche abertzale: l’organisation armée perd la place tutélaire qui fut toujours la sienne. Du coup, cela coupe l’herbe sous les pieds au mouvement ATA (Amnistia Ta Askatasuna) qui rejette en bloc la légalité pénitentiaire, toutes démarches individuelles et ne prône que l’amnistie. Cette position qui a montré ses limites par l’absence de tout résultat depuis plus de trente ans, est prônée en solidarité avec les militants les plus lourdement condamnés, certains pour plusieurs siècles. Ces dissidents tentent de lancer un nouveau parti politique, Askatasunaren bidean, créé le 21 mai 2016. Mais le succès de la manifestation du 14 janvier ne laisse augurer rien de très bon pour eux. L’espace politique d’ATA paraît bien réduit et la gauche abertzale semble à même de marginaliser ses contestataires (1). (…) Suite et fin de l’article dans la News Letter Enbata.Info du 27 février.
(1) Voir l’article « Tensions dans la gauche abertzale », Enbata de mai 2016.
Les chiffres de la dispersion
Les 349 prisonniers politiques basques se répartissent comme suit: 267 en Espagne, 76 en France, 1 en Angleterre, 1 au Portugal et 1 en Suisse. 3 sont incarcérés en Pays Basque et 98 se trouvent en Andalousie, à plus de 800 km de chez eux. Alors que le nombre de preso a diminué de moitié en quelques années, le nombre des prisons où ils se trouvent et donc leur éparpillement, a été maintenu par l’administration pénitentiaire.
(*) L’expression “aller à Canossa”, employée pour la première fois par Bismarck, est une formule idiomatique pour désigner le fait de s’agenouiller devant son ennemi. Elle fait référence à un épisode historique: en 1077, l’empereur du Saint-Empire romain germanique Henri IV vint à Canossa pour s’agenouiller devant le pape Grégoire VII afin que ce dernier lève l’excommunication qui le frappait.