EPPK, collectif des prisonniers politiques basques, propose à chacun de ses membres d’engager les démarches individuelles qu’exige le gouvernement espagnol pour sortir de prison. Sans pour autant aller jusqu’au repentir et à la délation. Ce pas en avant devrait contribuer à sortir du blocage actuel. Suite et fin de l’article de la News Letter Enbata.Info du 20 février.
La “voie Nanclares”
L’avenir dira si les nouvelles dispositions d’EPPK permettront à un nombre significatif de preso d’être rapprochés du Pays Basque ou d’être élargis. Pour l’instant, le ministère de l’Intérieur espagnol fait de la disparition d’ETA un préalable et exige toujours la demande de pardon et la collaboration avec la justice. Il s’agit de deux clauses figurant dans ce que l’on appelle la “voie Nanclares”, nom d’une prison située près de Gasteiz, où ont séjourné seulement une vingtaine de preso rapprochés. Au prix de leur expulsion du collectif, ils ont accepté les clauses suivantes: s’éloigner de l’environnement indépendantiste, accepter la politique pénitentiaire, quitter le collectif EPPK, renoncer publiquement à ETA et à l’usage de la violence, demander pardon aux victimes et s’engager à les indemniser en acceptant d’être civilement responsables et enfin, collaborer avec la justice pour lutter contre le terrorisme. Il s’agit d’une démarche par étapes dont les premiers pas sont symboliques. Accepter le système carcéral, refuser de participer aux protestation lancées par EPPK dans les prisons, nouer des relations normales avec les détenus de droit commun, constituent pour l’administration pénitentiaire les premiers signes démontrant que le preso en question s’éloigne d’ETA. Rompre avec le collectif et refuser de rencontrer ses avocats constitue l’étape suivante. Ces ruptures doivent ensuite faire l’objet d’une lettre adressée à la direction du centre pénitentiaire. Le preso sera alors transféré dans une prison située à la périphérie du Pays Basque et non plus en Andalousie ou sur le continent africain. Troisième étape: la rédaction d’un dossier contenant la demande de pardon, la démission des rangs d’ETA et le renoncement à la violence. Si les rapports réalisés par l’administration pénitentiaire sont favorables, les démarches en vue de la réinsertion seront mises en oeuvre. En clair, il s’agit d’appliquer l’article 100.2 du règlement pénitentiaire.
Les preso sont classés en trois catégories ou degrés: le premier concerne les personnes considérées comme les plus dangereuses, elles font l’objet d’un suivi particulier. Le second correspond au statut normal. La mise en oeuvre de l’article 100.2 permet au preso de passer du deuxième au troisième degré, sans que l’accession à ce dernier soit définitive. Seule l’obtention du troisième degré permet d’obtenir un allègement des conditions de détention assorti “d’entretiens thérapeutiques”, de séminaires et autres activités. Cela débouche sur de brèves permissions de sorties, une autorisation de travailler ou de suivre des études à l’extérieur de la prison. Le détenu peut être seulement obligé de dormir en prison toutes les nuits ou le week-end. Cette formule n’est applicable que pour les détenus ayant accompli la moitié de leur peine. Mais on se souvient que certains hauts responsables du GAL passés par la case prison sont parvenus au 3ème degré en quelques semaines, par une voie express. Ils relèvent d’une ingénierie juridique aussi savante qu’injuste. Ces rapprochements relatifs ou ces allègements des conditions de peine sont soumis à l’appréciation des juges, avec toute la dimension subjective et donc l’arbitraire que cela suppose. L’évolution du preso est évaluée à partir de l’observation de sa conduite, de l’écoute de ses conversations téléphoniques et de la lecture de ses courriers. Le magistrat manie la carotte et le bâton, soumet le détenu au chantage, par l’octroi ou le retrait des mesures d’allègement de peine, en fonction de son bon plaisir. Nous sommes bien là au coeur de l’arbitraire et d’une “justice” politique, émanant d’un tribunal d’exception créé dans ce but en 1977 (1). Tout un système carcéral qu’illustre l’appréciation de Michel Foucault : “Les lois sont faites par des gens auxquelles elles ne sont pas destinées, mais pour être appliquées à ceux qui ne les ont pas faites”. A plus forte raison lorsque la question nationale s’en mêle.
L’avenir dira si les nouvelles dispositions d’EPPK
permettront à un nombre significatif de preso
d’être rapprochés du Pays Basque ou d’être élargis.
Pour l’instant, le ministère de l’Intérieur espagnol
fait de la disparition d’ETA un préalable
et exige toujours la demande de pardon
et la collaboration avec la justice.
Mystères de l’Etat de droit
Depuis 2009, seuls 23 militants basques ont accepté de s’y soumettre. Hormis un seul d’entre eux qui a accepté formellement par écrit de “se repentir”(2), les autres se contentent de reconnaître les torts causés aux victimes ou de demander pardon, autant de nuances et d’euphémismes qui apparaissent comme dérisoires. Aucun n’a accepté sa responsabilité civile ou de collaborer avec la justice. Mise en place il y a plus de 28 ans, la politique de dispersion et d’éloignement n’a pas eu les résultats escomptés. Le gouvernement PP a reconnu que la “voie Nanclares” mise en oeuvre par les socialistes, était un échec. Dans un univers carcéral hyper réglementé (LOGP, règlement pénitentiaire, Instructions, arrêtés, circulaires, notes de services, directives de directeurs, etc.), la “voie Nanclares” ne fait l’objet d’aucun document juridique. Même José Ramon Lopez, président le l’ACAIP (syndicat des fonctionnaires de prison), —un personnage peu suspect de bascophilie— s’en est étonné dans un récent colloque universitaire. C’est en somme “le fait du Prince”. Les mystères de l’Etat de droit sont insondables.
Contrairement à ce que disent ses détracteurs, la formule proposée par EPPK se situe fort loin de ce que l’on appelle “voie Nanclares« ” rejetée à juste titre. Mais baisser la garde n’est jamais simple, il s’agit d’une révision déchirante, qui forcément laisse un goût amer au fond de la gorge. Il faut sortir du cul de sac et il n’y a guère d’alternative. Toute adaptation, toute évolution est un signe de bonne santé politique, et les yeux toujours tournées vers le passé ne mènent à rien. Peu importent les contorsions, les simagrées, les tartuferies et autres palinodies auxquelles nos adversaires vont soumettre les prisonniers politiques basques. Ces humiliations ne seront demain qu’un mauvais souvenir. L’essentiel est le retour rapide dans notre communauté nationale de plusieurs centaines d’abertzale. Au-delà des erreurs ou des horreurs qu’ils ont commises, les preso basques doivent revenir parmi nous et reçus pour ce qu’ils n’ont jamais cessé d’être: des résistants, des combattants, des gudari. Sous d’autres formes, leur combat, notre combat continue.
(1) Créée par un décret-loi royal le 4 janvier 1977, l’audiencia nacional remplaçait le Tribunal d’ordre public franquiste, dissous le même jour.
(2) Il s’agit du fameux “Txelis”, Alvarez Santa Cristina, intellectuel brillant dont la dérive mystico-philosophique ne laisse pas de surprendre. Elle est largement utilisée par les médias espagnols.
Punir, une passion contemporaine
L’excellent livre de l’anthropologue Didier Fassin décrypte les logiques et les présupposés de la répression et du châtiment à l’oeuvre dans les tribunaux et les prisons. Au travers de trois questions, Qu’est-ce que punir? Pourquoi punit-on? Qui punit-on ?, il révèle les fondements du châtiment dans nos sociétés, les profondes inégalités qui le traversent, au-delà des logiques rationnelles mises en avant.
L’auteur n’évoque pas notre situation particulière, mais il révèle une dimension qui frise la caricature dans ce que nous connaissons en Pays Basque. Par exemple, que “l’affirmation de la responsabilité individuelle dans la commission d’infractions va de pair avec le déni de sa dimension sociale; elle s’impose à mesure que les inégalités s’accroissent. Plus les logiques sociales se font prégnantes dans la production du crime et la dispensation du châtiment, moins elles sont reconnues par les magistrats, les politiques et, au-delà, par la société”.
Punir apparaît alors comme une manifestation crue de la violence politique à l’oeuvre dans nos sociétés inégalitaires.
On connaît le poids des associations de victimes du “terrorisme” dans le débat politique espagnol. Financés sur fonds publics, elles exercent sur les partis et les tribunaux une énorme pression. Avec les corps constitués, —Guardia Civil et armée— elles contribuent au blocage politique actuel. Dans son livre, Didier Fassin évoque un de leurs moteurs dont on parle rarement: “L’approche rationnelle (…) laisse inexplorée une double dimension à la fois émotionnelle et pulsionnelle: l’indignation devant l’infraction et la jouissance dans l’administration de la sanction constituent la part occultée du châtiment”. En quelque sorte, “la part maudite” de ce châtiment, pour reprendre l’expression de Georges Bataille qui nomme ainsi ce qui est toujours en excès de ce qui est censé être. Ni les justifications, ni les interprétations ne rendent vraiment compte de cette “part maudite” enfouie et niée.
Punir, c’est-à-dire infliger une souffrance, ne va pas de soi. Certaines sociétés ont inventé d’autres formes de réparation qui s’éloignent d’une sanction proche de la vengeance, empreinte d’une cruauté archaïque, de cette “pulsion plus ou moins refoulée dont la société délègue les effets à certaines institutions et professions”.
Ça déborde. Les prisons aussi.
Didier Fassin: Punir, une passion contemporaine, janvier 2017, Seuil, 203 p., 17€.
(*) L’expression “aller à Canossa”, employée pour la première fois par Bismarck, est une formule idiomatique pour désigner le fait de s’agenouiller devant son ennemi. Elle fait référence à un épisode historique: en 1077, l’empereur du Saint-Empire romain germanique Henri IV vint à Canossa pour s’agenouiller devant le pape Grégoire VII afin que ce dernier lève l’excommunication qui le frappait.