Dans sa longue marche vers l’indépendance, l’Ecosse, en votant contre le Brexit se trouve piégée par la majorité anglaise. Exclue de l’Europe elle peut du même coup rebondir, plus unie, pour un nouveau referendum, obligeant l’europe à mieux l’entendre.
Que ceux qui doutent encore de la spécificité de la société écossaise au sein du Royaume-Uni jettent un coup d’oeil à la carte des résultats du référendum sur le Brexit: alors que le leave l’emporte avec 51,9% des voix sur l’ensemble du territoire britannique, le remain triomphe en Ecosse avec 62% et à l’unanimité de toutes les collectivités locales.
Malgré ce positionnement sans ambiguïté, l’Ecosse se voit contrainte de se plier à la décision du Royaume-Uni et devra donc quitter l’Union Européenne. A moins bien sûr qu’elle ne quitte le Royaume-Uni, une option qui semble de plus en plus probable… Les nationalistes écossais du SNP, qui venaient de remporter les élections autonomes de mai dernier sous la houlette de leur dirigeante et premier ministre Nicola Sturgeon, s’étaient montrés relativement discrets lors de la campagne référendaire sur le Brexit.
S’il ne faisaient guère de doute que le remain allait l’emporter en Ecosse, c’est dans les rangs du SNP que cette option faisait le plus débat. Lors du référendum d’indépendance de 2014, une grande partie des troupes travaillistes n’avait pas suivi la position unioniste de leurs dirigeants, et Sturgeon semblait redouter un scénario similaire. Heureusement pour elle, l’ampleur de la victoire du remain en Ecosse est telle que personne ne viendra aujourd’hui lui contester sa légitimité à défendre âprement la décision du peuple écossais.
Vers un second referendum
Le Brexit a également permis de réconcilier le camp des “impatients” avec celui des “prudents” au sein du SNP. Les premiers, emmenés par l’ancien premier ministre Alex Salmond souhaitaient la tenue d’un second référendum d’indépendance dans les plus brefs délais, alors que les seconds, autour de Nicola Sturgeon, préféraient se donner le temps pour s’assurer que la deuxième tentative serait un succès.
Le manifeste de Holyrood, rédigé pour les élections de mai dernier, est le fruit d’un compromis entre ces deux tendances : “Nous pensons que le Parlement écossais devrait avoir le droit d’organiser un nouveau référendum s’il est prouvé de manière claire et constante que l’indépendance est devenue l’option préférée par une majorité du peuple écossais – ou s’il y a un changement concret et significatif des circonstances qui prévalaient en 2014, comme par exemple que l’Ecosse doive quitter l’UE contre notre volonté”.
Le Brexit s’inscrit de manière si évidente dans le deuxième cas de figure prévu par le manifeste que Nicola Sturgeon a aussitôt rallié le camp des “impatients” en déclarant que “l’option d’un second référendum d’indépendance est sur la table”, et que son gouvernement allait immédiatement en commencer les préparatifs. “Le Royaume-Uni avec lequel l’Ecosse avait choisi de rester en 2014 n’existe plus” insistet- elle, en rappelant que l’argument principal du camp unioniste était qu’il fallait que l’Ecosse reste au sein du RU pour être sûre d’avoir sa place dans l’UE.
Bien entendu, Nicola Sturgeon pousse son avantage en focalisant les débats sur la thématique européenne et va jusqu’à menacer de bloquer le processus législatif au niveau du Royaume-Uni pour empêcher le Brexit.
Et quand on lui fait observer que cela soulèverait la colère des Anglais qui ont voté majoritairement pour la sortie de l’UE, elle rétorque “que c’est une colère peut-être similaire à celle que ressentent actuellement de nombreuses personnes en Ecosse à l’idée de devoir quitter l’UE contre leur volonté”.
Nicola Sturgeon pousse son avantage
en focalisant les débats
sur la thématique européenne
et va jusqu’à menacer de bloquer
le processus législatif
au niveau du Royaume-Uni
pour empêcher le Brexit.
Cycle de discussions
En pratique, l’Ecosse n’a pas le pouvoir de bloquer le Brexit, mais l’argument vaut par ses vertus pédagogiques. Et de fait, le camp des partisans de l’indépendance se renforce à grande vitesse. Les Verts écossais ont fait savoir qu’ils accorderaient leurs six voix au Parlement écossais pour que Sturgeon ait la majorité absolue pour convoquer un nouveau référendum, et même le Scottish Labour n’exclue plus l’option indépendantiste et se déclare “ouvert à toutes les options”.
De même, plusieurs titres de presse écossais, unionistes en 2014, soutiennent désormais Sturgeon. C’est en fait la cohorte des “I[ndependence]-curious” —pas opposés à l’indépendance mais sceptiques sur certaines aspects comme la monnaie ou la viabilité économique— que le Brexit pousse dans les rang indépendantistes.
L’option unioniste l’avait emporté en 2014 sur un score de 55%-45% ; selon plusieurs sondages, le résultat serait au moins inversé aujourd’hui. La route est encore longue, bien entendu, et Nicola Sturgeon entame un délicat cycle de discussions avec les instances européennes. Elle y défendra bien sûr le principe d’un nouveau référendum, mais afin de préserver son aura “pro-EU” et de priver ses adversaires de marge de manoeuvre, elle devra aussi explorer la possibilité d’un statut de membre associé à l’UE tout en restant au sein du Royaume-Uni.
L’exemple du Danemark montre en effet qu’il est possible qu’une partie d’un Etat soit membre de l’UE, alors qu’une autre, bien que géographiquement européenne, soit en dehors (en l’occurrence le Groenland et les îles Féroé). Lorsque les indépendantistes écossais avaient tenté de négocier avec l’UE à l’approche du référendum d’indépendance de 2014, ils avaient été accueillis, dans le meilleur des cas, avec une morgue glaciale. Gageons qu’ils seront aujourd’hui bien mieux reçus : l’UE, complètement déliquescente, ferait une bonne opération de com en accueillant un nouveau membre aussi dynamique et enthousiaste que l’Ecosse…