Le rendez-vous des Ecossais avec la création d’un Etat indépendant avait tourné court en raison de la victoire du non au référendum d’autodétermination du 18 septembre 2014. Mais est-ce la perspective d’une longue traversée du désert qui attend les tenants de la souveraineté écossaise, à l’instar de ce qui se passe au Québec depuis l’échec du référendum du 30 octobre 1995? Rien n’est moins sûr.
“Pensez-vous que l’Ecosse devrait être un pays indépendant ?”. Les électeurs écossais répondirent non à 55% le 18 septembre 2014, il y a tout juste un an. A la suite de ce vote, Alex Salmond, le leader du Scottish National Party (SNP), principal parti du camp du “oui”, démissionnait de son poste de Premier ministre d’Ecosse. C’est Nicola Sturgeon qui reprit les rênes du SNP et du gouvernement à la suite de l’échec du référendum.
Mais peut-on vraiment parler d’échec ? Quand David Cameron, premier ministre du Royaume-Uni, avait annoncé en 2012 qu’il acceptait la tenue d’un référendum d’indépendance en Ecosse, l’option indépendantiste stagnait aux alentours de 30% des intentions de vote. Le score réalisé témoigne donc d’une progression spectaculaire durant la campagne et les trois partis du camp unioniste (Travaillistes, Conservateurs et Libéraux Démocrates) ne s’y étaient d’ailleurs pas trompés en s’engageant, à 48 heures seulement du vote, à accorder à l’Ecosse d’importants transferts de compétences. Un an plus tard, cette promesse (“the vow” en anglais) est restée lettre morte.
Mais il ne faut pas y voir là le signe d’une éventuelle désorganisation du camp indépendantiste. Bien au contraire, le SNP n’a jamais été aussi fort, l’idée de l’indépendance s’est ancrée dans la société et, inversement, l’Union est plongée dans une crise profonde. Un an à peine après la victoire du non, on se demande déjà quand aura lieu le second référendum…
La question du West Lothian
On se souvient que c’est en 1998, sous Tony Blair, que le nouveau parlement d’Ecosse avait été convoqué après avoir été suspendu en 1707. En 2007, le SNP remporta les élections autonomiques et Alex Salmond fut appelé à former un gouvernement minoritaire ; il remporta ensuite les élections de 2011 avec une majorité absolue et se lança alors sur la route référendaire. Cette montée en puissance du SNP s’est appuyée sur une politique social-démocrate qui contrastait avec la politique néo-libérale des travaillistes anglais et des conservateurs qui leur ont succédé en 2010. Inévitablement, le sentiment de “payer pour les Ecossais” s’est répandu en Angleterre, et avec lui l’acuité de la question dite du “West Lothian” qui peut se résumer ainsi : il n’est pas normal que les députés écossais puissent intervenir à Westminster sur des sujets qui ne concernent pas l’Ecosse alors qu’aucun élu anglais n’a le pouvoir d’intervenir sur les affaires écossaises dont la gestion a été transférée au Parlement autonome. Cette question du “West Lothian” s’avère être une arme redoutable pour diviser le camp unioniste…
Conservateurs et Travaillistes ne partagent en effet pas la même position sur le sujet. Les premiers souhaitent interdire aux députés écossais de voter sur des questions “purement anglaises”. On peut les comprendre : sur le contingent de 59 députés que l’Ecosse envoie à Westminster, il n’y a jamais eu plus d’un Tory depuis 1997 ! Le projet de loi EVEL (English Votes for English Laws) que le gouvernement de David Cameron tente de faire passer aurait donc pour conséquence d’ancrer Westminster à droite.
Bien entendu, le Labour et les Lib Dem soient vent debout contre ce projet… C’est en partie à cause de ces divisions que “the vow”, cette promesse d’importants transferts de compétences faite à 48h du référendum, n’a pas été tenue. Cameron souhaite en effet contrebalancer cette autonomie accrue en l’associant au vote de la loi EVEL.
Attendre pourrait être risqué :
le transfert des compétences fiscales
promis par Londres pourrait être
à double tranchant en période de crise
et de faible coût du pétrole,
principale source de revenus de l’Ecosse.
Position indépendantiste renforcée
Ces divisions, le camp unioniste les a payées très cher. Il a en effet quasiment disparu de la carte politique écossaise lors des élections générales de mai dernier où le SNP a triomphé en remportant 56 des 59 sièges à pourvoir. Les électeurs écossais ont donc voté massivement à gauche, mais doivent subir la politique d’un gouvernement conservateur qui n’a qu’un seul élu en Ecosse. La position indépendantiste s’en trouve renforcée et, comme l’explique Nicola Sturgeon, “réduire l’Etat social et les dépenses publiques, renouveler Trident [un programme nucléaire] et sortir le Royaume-Uni de l’UE contre la volonté des électeurs Ecossais pourrait construire [une] majorité pour l’indépendance”.
Pas étonnant donc qu’à l’instar de Salmond, de nombreux militants du SNP réclament l’organisation rapide d’un second référendum. Il faut selon eux profiter de cette conjoncture favorable, d’autant plus que les travaillistes, principaux opposants du SNP, sont à terre depuis les élections de mai. Inversement, attendre pourrait être risqué : le transfert des compétences fiscales promis par Londres pourrait être à double tranchant en période de crise et de faible coût du pétrole, principale source de revenus de l’Ecosse. De même, l’élection surprise de Jeremy Corbyrn, estampillé à gauche, à la tête des travaillistes britanniques pourrait redonner du souffle au Labour écossais.
Mais Nicola Sturgeon se montre prudente : “Il n’y a pas de raccourcis. L’indépendance ne viendra pas juste parce que ses partisans seront plus impatients”. La première ministre préfère donc attendre quelques années avant d’organiser un second référendum, mais elle ne l’exclut nullement. Et c’est un autre référendum qui risque de lui offrir l’occasion idéale. Le gouvernement de Cameron a en effet promis d’organiser une consultation sur le maintien ou pas du Royaume-Uni au sein de l’UE. Pour Sturgeon, “si l’Ecosse devait se trouver face à une sortie de l’UE pour laquelle elle n’a pas voté, la demande pour un second référendum d’indépendance pourrait bien être irrésistible”. Pour l’heure, une chose est certaine : en 10 ans à peine, l’option indépendantiste est passée de marginale à quasi inéluctable. C’est déjà une bien belle victoire !