Pollueur = payeur
L’écotaxe ne devait représenter en Bretagne que 42 millions de ponction (à comparer avec les 20 milliards annuels de chiffre d’affaire du seul secteur agro-alimentaire) mais permettait à la même Bretagne de récupérer 135 millions d’euros chaque année pour l’amélioration de ses infrastructures de transport. Le contribuable moyen est en fait lésé non par l’écotaxe mais par sa suspension ! Ce sont en effet ses impôts qui vont continuer à payer plein pot l’usure des routes engendrée par les poids lourds (un seul poids lourd génère autant d’usure que des milliers de voitures) en lieu et place des bénéfices des entreprises de transport routier, et de leurs donneurs d’ordre (grande distribution, agro-alimentaire…). Contrairement au train qui règle à RFF un péage pour l’utilisation des rails, le transport routier ne paie quasiment rien (la taxe à l’essieu est insignifiante) pour l’utilisation des routes nationales et départementales, et rien pour les autres nuisances (sonores, particules fines, dérèglement climatique…) qu’il provoque. Il bénéficie ainsi d’un avantage de compétitivité totalement injustifié au yeux des enjeux actuels et à venir, qui a des conséquences très concrètes et particulièrement regrettables. La part du fret non routier et non aérien est passé à 11% en France contre 14% en 2006 pendant que les alternatives au transport routier représentent 30% dans l’Allemagne voisine.
Comment finance-t-on ce que l’on veut ?
En fait de ras-le-bol fiscal, les défauts les plus décriés de l’écotaxe sont justement liés à la faiblesse de la pression fiscale sur les plus riches. L’Etat n’a même plus les moyens de financer lui même les investissements requis par la perception de cette redevance et doit passer par un Partenariat Public Privé constitué dans des conditions douteuses. La même situation des finances publiques l’empêche de mettre en place les alternatives au transport routier avant le lancement d’une telle redevance, qui était également censée financer le développement de ces alternatives. C’est le cas par exemple en Suisse, où elle est appliquée depuis 2001 et rapporte 1,2 milliard d’euros dans ce petit pays de 8 millions d’habitants. Elle n’a pas eu peur d’en généraliser l’usage à toutes les routes du pays, simplifiant d’ailleurs ainsi sa perception, et réduisant donc ainsi ses coûts. Le premier impact de l’écotaxe est avant tout l’optimisation du transport routier (baisse de la distance moyenne parcourue par tonne de marchandise : le nombre de poids lourds circulant sur les routes suisses a chuté de 16 % sur les cinq premières années de mise en place de la redevance poids lourds, pensons aux 40 % des camions roulant à vide en Bretagne !). Le report modal vient plus tard, quand les recettes ainsi dégagées ont permis de construire les infrastructures nécessaires.
Ras-le-bol fiscal : ne pas se faire avoir
La suspension de l’écotaxe -qui était censée rapporter 1,2 milliard de recettes annuelles- est d’autant plus une mauvaise nouvelle pour les citoyens lambda qu’elle avait été précédée par l’octroi d’au moins 800 millions annuels de cadeaux aux lobbies routiers : l’autorisation du passage à 44 tonnes de charge possible contre 40 (qui génère à elle seule un surcoût de 400 millions d’euros dans l’entretien des routes), 50 millions de réduction de la taxe à l’essieu, 150 millions d’exonération de la fraction régionale de la TICPE, augmentation du dégrèvement des taxes sur le gasoil, etc. On voit bien ce que signifie une fois de plus le slogan du ras-le-bol fiscal : faire payer à l’ensemble de la population —et donc aux plus pauvres également— ce qu’aurait dû payer les bénéfices des grandes entreprises et les impôts des plus riches. Salariés, petits paysans, petits artisans ou commerçants ne doivent pas confondre le ras-le-bol de l’injustice fiscale avec le mot d’ordre du ras-le-bol fiscal, qui profite toujours aux revenus les plus riches, aux grandes entreprises, aux rentiers et autres actionnaires. Pour un Bonnet Rouge de base, demander aujourd’hui la suppression de l’écotaxe signifie concrètement demander à payer plus d’impôts. C’est d’ailleurs le cas depuis ce 1er janvier 2014 : la TVA sur les transports publics, moyen de déplacement des plus pauvres, est passée de 5,5% en 2011 à 10%.