Depuis juin 2018, Pedro Sanchez tente de faire approuver son budget. Si les négociations aboutissent, ce sera chose faite fin décembre ou début janvier 2021.
Le premier ministre socialiste gouverne l’Espagne avec le budget du PP adopté il y a deux ans et demi. Après une première tentative avortée en février 2019, le 19 novembre prochain le parlement approuvera la première étape du vote du budget, grâce au soutien indispensable des partis basques et catalans. La décision a été précédée d’intenses négociations qui vont se durcir durant les semaines qui viennent, avec la bataille des amendements. Rien n’est encore joué, mais une porte s’ouvre.
La minorité PSOE-Podemos a impérativement besoin d’autres partenaires et Pedro Sanchez ne doit son élection qu’au bon vouloir des indépendantistes catalans et basques. Depuis des mois, il essaie d’obtenir le soutien de Ciudadanos, mais les élus des «petites nations» refusent de joindre leurs voix à ce parti purement centraliste (1). Les difficultés colossales générées par la crise sanitaire ont bouleversé le calendrier politique et son contenu, ont à peine permis d’arrondir les angles in extremis. Pour convaincre ses partenaires, le gouvernement espagnol a donc préparé le terrain.
Par la barbichette
Une mesure de grâce à l’égard de la dizaine de dirigeants catalans incarcérés ou inculpés est en cours d’instruction. La réforme du délit de sédition dans le code pénal est dans les tuyaux. Le rapprochement et l’amélioration du régime pénitentiaire des preso basques est sur la table. Les demandes d’EH Bildu se font très pressantes. L’enjeu est d’importance, pour la première fois de leur histoire, les souverainistes basques sont disposés à voter le budget de l’État espagnol, ils ne vont pas se décider pour un plat de lentilles. La droite espagnole se déchaîne, le sens de la nuance n’étant pas son point fort : les «pro-ETArra» dirigent le pays! D’autant qu’en Navarre aussi, les négociations entre le gouvernement PSOE et EH Bildu sont en bonne voie pour l’approbation du budget.
Le PNV veut aboutir au transfert partiel de la gestion du système de sécurité sociale. Il est en passe d’obtenir l’octroi de la compétence sur les prisons —prévu pour le printemps 2021— ce qui est bien différent de la politique pénitentiaire qui demeurera aux mains de l’État. Il ferraille sur d’autres chapitres : la gestion des fonds d’aide européens, le financement de l’accès du TGV dans les villes. Le PNV refuse une augmentation de la taxe sur le diesel que les socialistes veulent instaurer. Entre les impératifs écologiques ou de santé publique et le lobby des transporteurs, il a choisi.
Les députés catalans d’ERC et de Junts sont divisés. ERC est favorable à l’approbation du budget pour prolonger dans la durée les chances d’une négociation sur le fond, c’est-à-dire des changements institutionnels. Junts, le parti de Carles Puigdemont, se montre beaucoup plus pressé, dans la mesure où le temps joue contre l’avenir de son leader exilé. Il s’opposera à ce budget. Mais le groupe parlementaire de Junts a scissionné, la tendance PDeCAT votera aux côtés d’ERC. La situation catalane est complexe, les deux principaux partis abertzale sont en rivalité à l’approche des élections régionales qui auront lieu à la mi-février 2021.
Dans cette affaire, tous les partenaires se tiennent par la barbichette. Les socialistes ont besoin des Basques et des Catalans pour diriger l’Espagne, ces deux derniers maintiennent les socialistes au pouvoir comme la corde tient le pendu. Mais ils n’ont guère le choix, ils savent ce que signifiera le retour de la droite pour l’avenir de leurs projets. Entre deux maux…
Un paradoxe marque les négociations. Elles portent pour l’essentiel, soit sur l’annulation de mesures répressives mises en œuvre par l’État à un moment de conflit aigu avec les nations périphériques; soit sur l’application concrète d’une loi adoptée par l’Espagne il y a… plus de 40 ans. Décidément, la route est longue. Nous sommes à mi-mandat, les choses avancent avec une désespérante lenteur sur des thèmes situés loin des questions fondamentales: la modification de la structure même de l’État central. Ce dernier joue la montre. Le débat essentiel est évité, repoussé sine die. Maintenir le statu quo, c’est toujours ça de gagné pour Madrid.
Preso basques et tensions
Les chiffres varient quelque peu selon les sources. On peut dire que sur 197 Basques prisonniers en Espagne, 143 subissent le régime le plus dur appelé premier degré, 42 bénéficient du régime dit du deuxième degré et 49 seulement de quelques aspects de ce régime. Ils sont dispersés dans 44 centres pénitentiaires différents. 16 preso ont fait l’objet d’un rapprochement en ou à proximité du Pays Basque, parmi lesquels une douzaine seulement jouissent de la semi-liberté. C’est dire combien du chemin reste à parcourir. Toutes les mesures répressives prises hors du droit normal, furent mises en œuvre et justifiées hier du fait du «terrorisme». Alors que la lutte armée a cessé depuis près d’une décennie, cet acharnement «judiciaire» est toujours en vigueur.
L’impatience est grande dans la gauche abertzale pour que cesse cette situation scandaleuse. Iñaki Bilbao fait partie de la dizaine de presos opposés à l’abandon de la lutte armée. Il a entamé le 9 septembre une grève de la faim et serait dans un état gravissime. Jets de pierre et graffiti «Eta hau gustoko duzun, faxista», apparaissent à Amurrio, sur la devanture d’un magasin de vêtements saccagé en 1999. Il est tenu par la mère de Santiago Abascal, leader de Vox, le parti d’extrême droite. Sortu refuse d’apporter son soutien à la lutte d’Iñaki Bilbao, car «dépourvue de sens» et n’ayant «rien à voir avec la stratégie actuelle de la gauche abertzale». EH Bildu qualifie «d’inadmissibles» les graffitis d’Amurrio. Malgré la pression du gouvernement et des associations de victimes, la gauche abertzale maintient les hommages rendus publiquement aux preso lors de leur élargissement. Le dernier a eu lieu en septembre à Bilbao, pour la libération de Ibon Gogeaskoetxea. Sortir du jusqu’au boutisme, emprunter les voies politiques et négociées toujours en partie décevantes, n’est jamais simple.
(1) Ciudadanos met deux conditions à son approbation du budget : il faut que les socialistes modifient la loi sur l’éducation. Celle-ci doit imposer l’espagnol comme langue véhiculaire de l’enseignement sur l’ensemble de l’État. Ciudadanos ne supporte pas le système d’enseignement en immersion. Par ailleurs, Pedro Sanchez doit s’engager à s’opposer à l’organisation de tout référendum sécessionniste.