Le processus de résolution du conflit armé en Pays Basque est au point mort. L’absence de toute négociation, l’expulsion de la délégation d’ETA en Norvège, le poids redoublé de la répression, en disent long sur l’enlisement actuel.
Y aura-t-il un jour une négociation à caractère politique entre ETA et le gouvernement espagnol sur le rapprochement des preso, l’aménagement de leurs peines, leur amnistie, les conditions de retour des exilés, la remise de l’arsenal aux autorités étatiques, la dissolution d’ETA? Les Etats n’ont-ils pas intérêt au statu quo actuel, à une reddition à moindre coût?
Le 12 février, le gouvernement norvégien, évidemment en accord avec d’autres instances, a mis un terme au séjour de la délégation d’ETA présente sur son sol, sous protection diplomatique depuis octobre 2011, date de «l’arrêt définitif des activités armées» de l’organisation basque. Les trois dirigeants, Josu Urrutikoetxea, David Pla et Iratxe Sorzabal ont été proprement expulsés par la Norvège et renvoyés dans la clandestinité. Cette décision supprime le seul «point de contact» permettant aux parties en présence de se rencontrer, via éventuellement des intermédiaires. Elle clôt seize mois d’attente et constate un échec qu’ETA s’est empressé de signifier dans son communiqué du 4 avril 2013. Aucun dialogue n’a eu lieu entre délégués gouvernementaux espagnols et ETA, seules quelques rencontres se sont déroulées avec la Commission internationale de vérification du cessez-le-feu, instance dont l’Espagne conteste le rôle et la légitimité. Le gouvernement PP élu le 20 novembre 2011, n’a pas donné suite à une formule semble-t-il mise en place avec le pouvoir socialiste.
La seule évolution politique depuis le cessez-le-feu déclaré unilatéralement par ETA le 20 octobre 2011, a été la présence officieuse aux élections de membres de la gauche abertzale, d’abord juste tolérée dans la coalition Amaiur, puis la légalisation de Sortu le 20 juin 2012, nouveau parti d’un courant interdit depuis une dizaine d’années. Il a dû payer au prix fort la levée de l’interdiction avec une condamnation explicite d’ETA inscrite dans ses statuts. Pour le reste, l’heure est à la répression tous azimuts. Elle redouble de violence ces dernières semaines. Sans vouloir jouer les Cassandre, cela risque fort de durer quelques années.
Ingénierie juridique
Le 20 février, deux membres particulièrement recherchés d’ETA, Oier Ibarguren Sarasola et Kepa Arkauz Zubillaga, sont arrêtés par la police française à Moulins dans l’Allier. Le 13 mars, un dirigeant d’ETA, Garikoiz Aspiazu «Txeroki» et trois autres militants sont condamnés par la cour d’assises spéciale de Paris à 20 ans de prison chacun. Six autres Basques sont condamnés à des peines allant de 6 à 18 ans de prison.
Le 20 mars, la Cour européenne des droits de l’homme condamne l’Espagne et exige la libération de 70 détenus politiques basques victimes de la «doctrine Parot» : un artifice juridique inventé par le tribunal suprême espagnol permettant rétroactivement de prolonger de dix ans l’incarcération des militants basques sur le point d’être libérés. La Cour européenne rendra sur cette affaire un nouveau jugement dans les mois qui viennent. Si elle confirme, le ministre de l’Intérieur espagnol Jorge Fernandez Diaz annonce déjà que son Etat n’appliquera pas cette décision judiciaire en mettant en oeuvre une démarche «d’ingénierie juridique».
Le 2 avril, la France juge sept membres d’ETA,dont le fameux Mikel Carrera Sarrobe «Ata», pour leur implication dans la mort de deux gardes civils à Capbreton en 2007.
Le 4 avril, la France livre à l’Espagne Ekaitz Agirre et Juan Carlos Estevez Paz, membres présumés d’ETA. Le même jour, le ministre de l’Intérieur espagnol refuse l’accès à la «voie Nanclarés» dont bénéficiaient plusieurs preso dissidents d’ETA qui avaient accepté individuellement de se repentir. Tout permis de sortie partielle ou ponctuelle leur sera dénié. Ils sont moins d’une dizaine à s’être pliés à l’humiliante procédure du repentir exigée par Madrid. Non seulement, ils ont été expulsés du collectif des preso et de ETA, mais leur statut de prisonnier de l’Espagne n’a pas changé d’un pouce, contrairement à ce qu’elle leur avait promis.
Sortu sur la corde raide
Le 8 avril, huit jeunes du mouvement Segi sont condamnés à 6 ans de prison par le tribunal suprême. Toujours le 8 avril, cette cour alourdit de 7 ans de prison supplémentaires les condamnations prononcées à l’encontre des membres d’ETA Ibon Fernandez Iradi «Susper» et Ainhoa Garcia Montero. Enfin, quatre Basques sont inculpés pour le délit de «glorification du terrorisme» : ils ont publiquement installé des photos de prisonniers politiques.
Le 10 avril, Joseba Andoni Garaialde et Garbiñe Etxaburu sont jugés par l’Audiencia nacional pour avoir prononcé au nom d’ETA, des menaces de mort contre des policiers de la Ertzaintza.
Le 15 avril, le cercueil du dirigeant d’ETA Xabier Lopez Peña «Thierry», décédé dans une prison française, arrive à l’aéroport de Sondika où l’attendent 150 personnes. La garde civile arrête sur place un dirigeant de Sortu, Iker Rodrigo Basterretxea, pour «glorification du terrorisme», au prétexte que des cris en faveur d’ETA ont été poussés devant le corps du défunt. Le dirigeant indépendantiste sera relâché 48 heures plus tard, son passeport lui est retiré, il devra pointer tous les mois au commissariat. Mais son parti a dû se fendre d’un communiqué précisant que Sortu «n’a en aucun cas participé» à l’organisation de cette manifestation. Plusieurs dirigeants connus de la gauche abertzale étaient pourtant présents sur les lieux. L’alerte a été chaude. Carlos Urquijo, délégué du gouvernement espagnol dans la Communauté autonome n’a pas hésité à agiter la menace d’une «procédure d’illégalisation» contre EH Bildu et Sortu qui «sont sur la corde raide», dans la mesure où les autorités «accumulent les indices suffisants», pour agir contre eux «au moment opportun». La gauche abertzale est donc clairement en sursis, sous contrôle judiciaire. L’épée de Damoclés pend au bout du fil. Les temps ont bien changé depuis 1978, lorsque le corps du dirigeant d’ETA Argala, assassiné à Anglet par les services spéciaux espagnols, arriva sur la place d’Arrigorriaga en Biscaye, les policiers espagnols présents se mirent au garde à vous et firent le salut militaire…
Le 18 avril, deux cents policiers de la Ertzaintza délogent manu militari plusieurs centaines de jeunes installés depuis dix jours sur le Boulevard à Donostia : leur campement «Aske gunea» protégeait tel un rempart humain, les six membres de Segi condamnés par le tribunal suprême le 8 avril. Leur démarche est révélatrice des nouveaux moyens mis en œuvre par la gauche abertzale : l’heure est à la résistance civile et aux méthodes de la non-violence active.
Les temps ont bien changé depuis 1978,
lorsque le corps du dirigeant d’ETA Argala,
assassiné à Anglet par les services spéciaux espagnols,
arriva sur la place d’Arrigorriaga en Biscaye,
les policiers espagnols présents se mirent au garde à vous
et firent le salut militaire.
Concession devenue arme
Le message adressé par Madrid à Sortu et à ETA est parfaitement limpide. Tant qu’ETA n’aura pas rendu les armes et disparu du paysage, les choses resteront en l’état. Et «l’ingénierie juridique» espagnole n’a pas dit son dernier mot, elle est inépuisable. Le gouvernement espagnol qui, avec le gouvernement français, a mis en oeuvre cette camisole de force diplomatique, juridique et policière, peut maintenir le système en place durant des décennies: arrestations à répétition, prisonniers basques incarcérés ad vitam aeternam, foyer de rébellion circonscrit à une province, le Gipuzkoa dirigé par Sortu et parti politique indépendantiste à peine toléré, sous la menace permanente d’une interdiction. La légalisation de Sortu seul prix politique payé par les Espagnols, est devenu précisément l’arme qui permet la fin de la lutte armée. Le coût est très faible, la pression parfaitement gérable pour un Etat puissant. Quel intérêt l’Etat espagnol aurait-il pour que cela change? Le maintien d’une situation en l’état, la passivité, la stratégie de l’enlisement, les reports sine die, font partie des moyens à la disposition des Etats. (1) Pour les Espagnols, l’essentiel du conflit s’arrête donc là, le résultat principal est atteint. La gauche abertzale a-t-elle les moyens d’y changer quelque chose ? A-t-elle pris en compte cette donnée dans sa stratégie politique ? Voilà sans doute le principal défi auquel elle est confrontée. Aujourd’hui et demain
(1) Ho Chi Minh n’a jamais obtenu la mise en œuvre d’un référendum de réunification sur l’ensemble du Viet-Nam, convenu dans les accords signés par la France à Genève le 21 juillet 1954. Les Canaques attendent patiemment le référendum d’autodétermination, signé dans les accords Matignon le 26 juin 1988 et toujours reporté.
En complément de cet article,
lire en euskara l’article de Mario Zubiaga :
« Bergarako besarkadarik ez »