Txomin Heguy, artisan culturel retraité
En tant que membre du collège consommateur de la Société Coopérative d’Intérêt Collectif fournisseur d’électricité ENARGIA, j’ai assisté samedi dernier à l’Assemblée Générale pour le moins animée de la société que nous avons rejointe avec mon épouse par conviction depuis sa création en 2018. Une Assemblée Générale précédée de celle d’I-ENER, la société de production d’énergie citoyenne en Pays basque par le développement des énergies renouvelables. Comme beaucoup d’autres sans doute, j’y ai assisté en présentiel pour la première fois (j’ai toujours participé aux AG précédentes de ENARGIA en votant en ligne), interrogé par les remous au sein de ENARGIA relatés ces dernières semaines dans la presse locale.
Jusqu’à avoir vent de ces soubresauts, et je ne suis sans doute pas le seul, je me suis intéressé de très loin à la situation, à l’implantation, au développement de ENARGIA, faisant entièrement confiance aux responsables de cette structure –hitza hitz-, et étant tout à fait satisfait des services rendus par ENARGIA en terme de prestation. Certes, j’ai toujours humblement suivi et soutenu depuis plus de quarante ans toutes les actions allant dans le sens d’une prise en charge de notre destin, de l’ikastola, en passant par le Groupement Foncier Agricole, la Korrika, Herri Urrats, le Conseil de Développement du Pays basque, Euskal Herriko Laborantza Ganbara, la SCI Xuriatea et d’autres…Mais, étant plus particulièrement engagé pendant tout ce temps dans le domaine artistique et culturel de ce pays en tant qu’amateur et professionnel –domaine d’ailleurs dont plus personne ne parle aujourd’hui et qui a été et est toujours un lieu de formation, d’émancipation, d’apprentissage de la chose collective pour bon nombre de personnes ayant ensuite mis en œuvre leur talent et compétence dans bien d’autres domaines tels le syndicalisme, le social, l’économie…-, je n’ai pas eu le temps, ni l’énergie, ni la compétence d’accompagner de près toutes les initiatives concrètes visant à construire un Pays basque plus solidaire et souverain. Et puis, les temps ont changé. De l’extraordinaire bricolage militant des débuts, on est passé pour le meilleur et parfois pour le moins bon, à des organisations plus structurées, plus diversifiées, plus professionnelles. Des évolutions nécessaires qui ont permis à beaucoup de trouver un emploi ici, ce qui par définition n’est pas rien, de faire leurs preuves dans leur domaine respectif, mais aussi d’y acquérir une certaine reconnaissance et aussi un certain pouvoir. Ce n’est pas nouveau et c’est humain.
Et c’est là que ce qui s’est passé samedi, notamment lors de L’Assemblée Générale de ENARGIA est révélateur à plus d’un titre et je l’espère fondateur pour poursuivre dans cette quête d’un Pays basques solidaire, acteur de son avenir. En continuant autant que possible sur les valeurs originelles qui ont fait la force de ce mouvement pluriel de prise en charge depuis les années 1970 à savoir la coopération, l’implication de la société civile, le sens du collectif, le lien entre militantisme et professionnalisme, le lien entre culture associative et culture entrepreneuriale, la bataille essentielle pour l’avenir de l’euskara. Si l’on perd de vue cette boussole-là, ce sera assurément l’échec.
Il m’a semblé que tout cela a été mis en scène lors de cette assemblée cathartique de samedi dernier. Ce que j’en retiens d’abord, malgré quelque rares vociférations, c’est la dignité et la teneur des débats malgré la complexité et l’âpreté de la situation. Je ne sais pas s’il y a eu beaucoup d’Assemblées Générales de société coopérative, rassemblant autant de monde ayant pu assister pendant près d’une heure, un peu médusé il est vrai mais avec beaucoup d’écoute, aux prises de paroles directes des parties en conflit, en l’occurrence celle des membres du Conseil d’Administration et celle de l’équipe salariale. Ceci étant, un sentiment désagréable m’a parfois traversé : en tant que novice de la situation actuelle de ENARGIA et au-delà de Herrikoa, de Herkide… pour les raisons évoquées précédemment, qui mène quoi ? Qui manipule qui ? Ne suis-je pas moi-même manipulé à l’insu de mon plein gré comme dirait l’autre ?… Car entre nous aussi, dans notre monde coopératif et créatif basque ou du Pays basque, nous ne sommes pas de toute évidence épargnés par ces travers…
Alors pour éclairer ma lanterne, après avoir tout écouté samedi dernier, après avoir relu non pas en diagonale mais très attentivement notamment les analyses fouillées de Txex Etcheverry et Gisèle Lougarot sur ENBATA où je n’ai relevé aucune expression de lynchage à contrario de ce qu’affirmait les salarié.es de l’équipe de ENARGIA samedi dernier, rétroactivement j’aurai bien voulu poser quatre questions précises à Patxi Bergara, actuellement toujours directeur administratif et financier de ENARGIA :
- Est-il exact malgré le souhait exprimé publiquement lors de l’Assemblée Générale par lui-même et ses collaboratrices de quitter l’entreprise ENARGIA (rupture conventionnelle en cours de négociation) qu’à ce jour, jamais aucune procédure de licenciement n’a été lancée contre lui-même et son équipe par le Conseil
d’Administration de ENARGIA ? Car personnellement, en toute innocence et incompétence, je pensais que Patxi Bergara avait purement et simplement été exclus de l’entreprise, alors qu’il n’a été révoqué que de son mandat bénévole de directeur général ; - Est-il exact que la convention collective qu’a mise en place Patxi Bergara au sein de ENARGIA est la convention nationale des entreprises du négoce et de distribution de combustibles solides, liquides, gazeux et produits pétroliers !? Convention qui permet des écarts de salaires de 1 à 9 d’après ce que j’ai entendu, bien loin des salaires de 1 à 3 en cours dans le monde coopératif… Et puis, convention étonnante pour une coopérative qui se veut fournisseuse d’électricité d’origine renouvelable…
- Est-il exact comme cela nous a été présenté lors de l’AG de ENARGIA qu’il a été attribué une prime à l’intéressement d’environ 30 000€ en 2023 pour l’équipe professionnelle de ENARGIA ? Et que dans le même temps, Patxi Bergara réclame près de 100 000€ de rattrapage de salaires en revendiquant l’application de la convention collective de l’entreprise citée plus haut ?
- Est-il exact que, dans le même temps, les ingénieurs de I-ENER dont Patxi Bergara a été le président sont toujours rémunérés au SMIC ? Ceci est-il un salaire correspondant à leur compétence ? Si tel est le cas, cela me rassure, on peut trouver encore de jeunes ingénieurs compétents, avant tout épris de leur pays et encore bien militants… De toute évidence, deux politiques salariales entre ENARGIA et I-ENER, pourtant liées me semble-t-il par un destin commun, celui d’œuvrer pour la maîtrise d’un circuit court territorial de l’énergie en Pays basque.
On me rétorquera que mes interrogations sont à charge contre le toujours directeur administrateur et financier de ENARGIA. Soit. Cependant, moi qui ait fréquenté durant près de trente ans le monde culturel professionnel, en tant que directeur de l’institut culturel basque durant sept ans , puis en tant qu’artiste émargeant à l’intermittence du spectacle durant un peu plus de vingt ans, j’avoue que les chiffres énoncés plus haut, s’ils sont exacts, me laissent pantois. Mais, pour reprendre les termes de la conclusion de la tribune libre de Patxi Bergara lui-même sur Enbata le 17 juin 2024, je demande les « faits. Rien que les faits… » Car, si la réponse à ces questions s’avère positive, alors, étant toujours attaché aux valeurs éthiques que j’ai rappelées précédemment, je ne peux approuver de telles dérives. En tant que personne ayant une responsabilité aux conséquences publiques, même agissant dans un cadre d’entreprise privée, à fortiori à vocation coopérative d’intérêt collectif, engageant le soutien de tant de personnes, on se doit non pas d’être exemplaire –personne ne peut prétendre à une telle arrogance- mais d’assumer ses choix et ses actes. N’en déplaise à Claire Lacave(1) qui a ardemment défendu Patxi Bergara lors de l’AG de samedi, ce qui est son droit le plus strict, un abertzale, aussi engagé et militant soit-il, peut faire des erreurs. Et dans un pays où l’on confond allégrement la critique de l’action avec le jugement moral porté à l’actrice ou l’acteur, loin de moi l’idée d’exprimer une quelconque appréciation sur la personne de Patxi Bergara que je respecte et que je ne connais pas.
On me rétorquera que le Conseil d’Administration de ENARGIA n’est sans doute pas exempt de tout reproche dans la crise actuelle. Soit. Entre les deux Assemblée Générales de ENARGIA et I-ENER, la très grande majorité des personnes présentes s’est clairement prononcée en faveur d’une réflexion approfondie sur les questions essentielles de refonte des statuts de ces deux entités, de gouvernance, d’harmonisation des salaires etc…
J’attends de voir. Je ne participerai pas directement à ces réflexions, étant encore pas mal engagé sur d’autres chantiers, mais en tant que citoyen de base, je serai attentif à leurs évolutions et leurs résultats. Car en effet, cette crise met en exergue la nécessité de réfléchir sur le fond à la réalité des outils que nous avons créés dans ce pays, leur ancrage dans les valeurs fondamentales qui ont guidé leur création, leur transmission, leur pérennité, leur nécessaire évolution. Tout cela dans un contexte de crise internationale profonde d’un capitalisme condescendant et obscène, l’accaparation éhontée de la richesse planétaire par une infime minorité, la destruction de notre Terre commune et la résurgence d’idées nauséabondes à nouveau aux portes du pouvoir ou déjà à l’œuvre dans le monde occidental.
(1) Claire Lacave, administratrice de la SCIC ENARGIA de 2018 à 2022, co-fondatrice avec Patxi Bergara du fonds de dotation GEROA, autrice d’un courriel envoyé aux sociétaires de ENARGIA deux jours avant l’AG de samedi dernier, où l’on peut notamment lire : « Si un abertzale pense que son premier ennemi est un autre abertzale, c’est qu’il n’a rien compris ! »