Enbata et écologie politique (3/3)

La une du n° 1559 du 7 janvier 1999 sur le combat de LEIA contre l’autoroute bas-navarraise.
La une du n° 1559 du 7 janvier 1999 sur le combat de LEIA contre l’autoroute bas-navarraise.

ENBATAk 60 urte

Notre mouvement soulève des questions écologiques dès la fin des années 60, avant même que l’écologie ne s’organise en groupes politiques. Ces combats seront revisités en 1975 par les premiers «écolos» d’Iparralde qui ne s’appellent pas encore «Verts». Beaucoup de militants abertzale, proches d’Enbata, mais aussi d’autres mouvements, feront le lien entre défense de l’environnement, modèle de développement et de société que cela suppose et construction nationale basque. Voici un survol non exhaustif de cet engagement durant les quatre premières décennies de notre journal. Suite de la partie (2/3).

Contre la MIACA

Le circuit des points chauds de l’aménagement du Pays Basque fait l’objet d’une annonce et d’un compte rendu enthousiaste dans notre numéro du 8 mai 1975. Organisé par Jeunes et Nature, il effectue un périple passant par Guéthary, le chemin de halage bayonnais menacé de suppression, la Chambre d’amour à Anglet, le Port-Vieux biarrot, l’Untxin à Socoa et le lac d’holdy. Beaucoup  de projets d’aménagement touristique du Pays Basque ont le soutien non seulement des notables, mais surtout de la MIACA, dirigée par l’ancien administrateur colonial, Emile Biasini (cf Enbata n° 1913 du 29 janvier 2006  http://articles-enbata.over-blog.com/article-biasini-95220014.html )

Les campagnes d’opposition à l’urbanisation de la Côte et d’autres luttes écologistes de l’époque sont portées par les groupes abertzale, au fur et à mesure de leur apparition, puis de leur essoufflement: Mende Berri (proche de Jeunes et Nature), EHAS, Izan, Collectif des femmes d’Euskadi, Jazar, MAT, Herri Taldeak, Iparretarrak, EMA, Hordago, Euskal Batasuna, etc. relayés par le journal Enbata. Au-delà du caractère relativement éphémère des mouvements qui se succèdent au fil des décennies, la constance de la sensibilité écologiste qui traverse leurs projets et leurs combats est frappante. L’écologie devient ainsi une des expressions, une des facettes majeure de la revendication abertzale.

En janvier 1979, la mobilisation abertzale s’illustre par des protestations contre la construction à des fins touristiques du VVF Omordia à Sara, soutenue par la MIACA et le maire PS de Pau, André Labarrère qui prononcera le jour de l’inauguration cette phrase historique: Omordia «est un moyen d’échapper au centralisme jacobin et de redonner aux ethnies le nouvel élan culturel qu’elles réclament». Elea dario ardiari pikorra bezala !

L’écologie organisée se présente alors sous la bannière de Pays Basque écologie qui multiplie les prises de positions, par exemple en faveur de l’usage des deux roues, en particulier sur l’axe du BAB particulièrement dangereux; ou encore avec une campagne de récupération de bouteilles en verre en juin 1978. Cette action reçoit le soutien de nombreuses associations de la mouvance abertzale : Auñamendi, EDB (Euskal Dantzarien Biltzarra), Gure kondaira, Lauburu, Mendigoizaleak. Par la suite, une nouvelle génération provenant souvent de l’extrême gauche, reprend le flambeau de l’écologie, avec Ortzadar, les Verts ou encore Les amis de la terre.

Les combats sur la qualité de l’environnement ou l’aménagement/déménagement du Pays Basque mobilisent beaucoup les militants abertzale durant la décennie des années 90 et Enbata en est le reflet, parfois même ses rédacteurs en sont les acteurs. Une vague de projets bétonnant la Côte basque refait alors surface, non plus conduite par la MIACA, mais par des promoteurs immobiliers, des banques et des municipalités complaisantes. Ce sont par exemple la construction d’une marina et d’un port de plaisance à la Barre d’Anglet, l’aménagement d’Ilbarritz-Mouriscot, de Sokoburu à Hendaye et de l’Untxin à Socoa, les ravages de la SOCAE à Bassussarry, le port de plaisance de Lahonce (http://articles-enbata.over-blog.com/article-lahoce-menace-95219198.html), la prolifération des golfs si gourmands en eau. Leurs étendues vertes n’ont rien de naturel et sont le prétexte à une spéculation effrénée qui voit l’extension considérable de quartiers entiers où règnent les maisons individuelles dévoreuses d’espace.

N° 1409 du 11 janvier 1996, dossier sur l’annulation du projet des Hauts d’Ilbarritz à Bidart grâce au combat de l’association dirigée par Jean Espilondo.
N° 1409 du 11 janvier 1996, dossier sur l’annulation du projet des Hauts d’Ilbarritz à Bidart grâce au combat de l’association dirigée par Jean Espilondo.

Comme hier, le journal Enbata et les abertzale de tous bords montent au créneau —avec d’autres— pour les combattre. Ils sont le fer de lance de ces luttes, avec leur lot de succès et d’échecs, car ce fut toujours le pot de terre contre le pot de fer. Colette Pince aujourd’hui bien oubliée (5) ou encore Jean Espilondo, se battent de façon héroïque contre des puissances d’argent et des pouvoirs politiques infiniment supérieurs. Les deux obtiendront gain de cause, pour la première grâce à un arrêt inespéré du Conseil d’État qui nous fera titrer avec plaisir en une du n°1436: «Port Chiberta, c’est fini».

La une du n° 1436 titre joyeusement sur la victoire de Colette Pince et son association contre un projet de marina à la Barre d’Anglet
La une du n° 1436 titre joyeusement sur la victoire de Colette Pince et son association contre un projet de marina à la Barre d’Anglet

Biarritze bestelakoa ouvre le bal

La crise municipale de Biarritz en 1991 qui voit l’éviction du député-maire RPR Bernard Marie, a pour origine et en toile de fond la bétonisation du front de mer. Le leader Vert de l’époque, Antoine Waechter, vient à Ilbarritz-Mouriscot, soutenir le candidat Jakes Abeberry et sa liste Biarritze bestelakoa qui s’opposent à la création de 8000 lits. Sur ce site commun entre Biarritz et Bidart, le candidat des Verts aux élections européennes Gérard Onesta, est déjà venu soutenir en 1990 le combat mené par l’abertzale Jean Espilondo et son association. Le compagnonnage avec les Verts démarra dès 1988 lorsque nous avons soutenu pour les élections européennes la liste écologiste conduite par Antoine Waechter où figuraient Max Simeoni et un des tous premiers militants d’Enbata, Ramuntxo Camblong. Ce  type d’alliance  se poursuivit en 1995 avec notre soutien à la candidature de Dominique Voynet à l’élection présidentielle. Sur la Charte européenne des langues, la revendication institutionnelle ou la solidarité à l’égard de preso, les points d’accord ne manquent pas. Et il faut reconnaître aux Verts un courage politique indéniable : comme hier le PSU, c’est le seul parti hexagonal qui accepte un compagnonnage avec les abertzale dont certains ne désavouent pas alors l’usage de la violence politique.

Souvent sous la plume acérée de l’écrivain Christian Laborde, Enbata soutient au début des années 90, le combat de «l’Aspache» ou l’Indien de la vallée d’Aspe, Eric Pétetin, en lutte contre un tunnel et un projet autoroutier destructeur de l’écosystème pyrénéen. Il en est de même à propos d’une construction identique sur le site gipuzkoan de Leitzaran où, n’en déplaise à certains, les attentats d’ETA seront déterminants pour obtenir un nouveau tracé qui épargne une vallée mythique et ses deux énormes menhirs naturels verrouillant son entrée, Bi ahizpak.

Les résidences secondaires luziennes, avec 180 mobil-homes d’Erromardie dépourvus de permis de construire, seront à cette époque pourfendues dans nos colonnes et la mauvaise qualité des eaux de baignades au Sud comme au Nord, fait l’objet d’articles et de dossiers, souvent à partir des enquêtes approfondies menées par Ortzadar et mises en lumière par Victor Pachon (n° 1231 et 1243).

Des essais nucléaires en Polynésie à la porcherie de Barthélémy  Aguerre

A la fin du XXe siècle, Enbata demeure fidèle à sa ligne en faveur de la défense de l’environnement. En 1995, nous soutenons les efforts de l’association luzienne Itsas Geroa conduite par notre ami Robert Alvarez: elle lutte en faveur des pêcheurs pour la préservation de la ressource dans le golfe de Bizkaia et s’insurge contre l’usage des filets pélagiques qui ravagent la ressource (n°1395). En septembre de la même année, nous appelons aux côtés d’Abertzaleen Batasuna à une manifestation au sommet de la Rhune pour l’arrêt des essais nucléaires à Moruroa. Le traitement scandaleux de ses déchets par le BAB qui s’en débarrasse à Hazketa (Hazparne) est évoqué dans nos colonnes où nous dénonçons «France-déchets qui fait son beurre» sur le dos des riverains (n°1372 et 1420). Une situation qui rappelle le scandale révélé ces jours-ci à Zaldibar en Bizkaia où une société privée  gère n’importe comment un site de déchets, sans oublier d’en tirer profit.

En septembre 1995, la une du n° 1391, contre les essais nucléaires de Moruroa.
En septembre 1995, la une du n° 1391, contre les essais nucléaires de Moruroa.

Le massif de la Rhune est victime d’un nouveau projet d’aménagement concocté par Andde Luberriaga et quelques élus. Il suscite inquiétude, colère et manifestations en 1996 et 1997 de la part des abertzale locaux montés en association (n° 1419, 1427, 1482, 1484, etc.). Aucune victoire n’est définitive et ce combat se poursuit aujourd’hui grâce à Larrun ez hunki qui vient d’obtenir l’abandon d’un nième projet, mais exige des engagements précis pour la préservation de ce site emblématique.

N° 1420 du 26 mars 1996, coup de projecteur sur le combat de Miren Amestoy et l’association Hazketa, contre la décharge de Hazparne.
N° 1420 du 26 mars 1996, coup de projecteur sur le combat de Miren Amestoy et l’association Hazketa, contre la décharge de Hazparne.

La construction d’une ligne LGV génère les premières interrogations. Celle de la «deux fois deux voies» qui va balafrer la Basse-Navarre va entraîner une intense mobilisation dans la province durant les dernières années du millénaire. Cette affaire sera bien entendu suivie par Enbata qui fait écho aux mobilisations de LEIA.

La une du n° 1559 du 7 janvier 1999 sur le combat de LEIA contre l’autoroute bas-navarraise.
La une du n° 1559 du 7 janvier 1999 sur le combat de LEIA contre l’autoroute bas-navarraise.

Le «revers de la médaille» de la construction de l’acierie Ucin sur le rive droite de l’Adour, l’action d’Elordoi zain en Amikuze, ou encore la pollution de la porcherie de Barthélémy Aguerre, comme la dénonciation de son omnipotence en tant qu’agro-industriel, font l’objet de notre part de coups de projecteurs, bien avant la révélation de l’affaire des lasagnes qui enflamma l’Europe entière. Sans doute la première manifestation en deux roues pour l’usage du vélo et la construction de pistes cyclabes à Bayonne est annoncée dans nos pages en septembre 1999. Elle est le fait de l’équipe qui entoure la candidature de Xabi Larralde, à l’occasion d’une élection cantonale partielle. Un important dossier sur «les points noirs de l’assainissement» bayonnais va suivre.

N° 1594 du 23 septembre 1999, Enbata annonce une des premières manifestations  en deux roues, en faveur des pistes cyclabes à Bayonne.
N° 1594 du 23 septembre 1999, Enbata annonce une des premières manifestations en deux roues, en faveur des pistes cyclabes à Bayonne.

De Senpereko gure lurrak à Bizi !

Réalisée à l’initiative de Jacques Battesti, l’exposition photographique du Musée Basque «Pays basque aitzin/gero» présentait l’an dernier les changements qui ont affecté de nombreux sites en Iparralde. Leur état actuel ou leur relative préservation ne doivent rien au hasard. L’exposition restait silencieuse sur les combats titanesques qui ont mobilisé une minorité active pour préserver notre pays. Contre la passivité et le fatalisme, contre l’idéologie dominante de la croissance et du progrès, contre la complaisance de notables parfois corrompus, contre des Basques mus par l’appât du gain. Il se poursuit en 2020.  Nous avons en partie échappé à une évolution de type Costa del Sol en Catalogne et Pays Valencien. Cette histoire reste à écrire.

Enbata n’a pas inventé l’écologie, comme il n’a pas inventé l’abertzalisme…  Mais il a pris fait et cause, a relayé dans ses colonnes les tout premiers combats écologistes de notre pays, à une époque où l’écho de ces idées était faible et ses militants rares (6). L’écologie suscitait alors le scepticisme et la risée, au nom de la religion du progrès et ses lendemains qui chantent. Ce n’étaient que de doux rêveurs moitié hippies, des attardés, prônant disait-on, le «retour à la bougie» ! En réalité, ils avaient une longueur d’avance et voyaient un peu plus loin que le bout de leur nez et de leur porte-monnaie. Les choses ont bien changé depuis. Lorsque le 4 février, on apprend qu’un projet de terres maraîchères avec la création de la ferme Kattalinenea est à l’œuvre à Ilbarritz, entre Biarritz et Bidart, sur des hectares qui firent hier l’objet de tant de convoitises et de combats homériques… on se frotte les yeux. Les esprits ont évolué dans le bon sens, tout n’est pas gagné, mais nous avons changé d’ère.

L’écologie pour les abertzale est partie intégrante de notre lutte identitaire. Notre démarche rejoint pleinement les analyses du théoricien américain Kirkpatrick Sale dont l’ouvrage L’art d’habiter la terre, la vision biorégionale vient de paraître en français (7). Il y fustige la révolution scientifique qui a «dé-divinisé» le monde avec l’appui d’un Etat centralisé destructeur et liberticide. Il prône un retour à la «biorégion» —un lieu de vie défini par son «biote» et ses traditions—, seule manière, selon Sale, d’épouser l’auto-organisation et la diversité du vivant, sans hiérarchie. Cette région «gouvernée par la nature et non par la législation», jouirait d’une économie et d’une politique à taille restreinte, culturellement homogènes, autosuffisantes et non capitalistes.

Grâce à «l’indignation» chère à Stéphane Hessel, nos combats d’hier, qu’ils aient été gagnés ou non, entrent en résonance et légitiment ceux de demain. Aujourd’hui, c’est avec un enthousiasme intact qu’Enbata suit Bizi! Ses alternatives et ses projets se situent dans le droit fil de cet engagement, de cette fidélité.

Gatu horrek bazuen beste buztanik

L’évolution de Pierre Lebaillif est assez décevante et se déroule pour l’essentiel à Paris. Directeur de la fondation Espaces pour demain, il est vice-président du Comité d’action pour le solaire dont les liens avec EDF font qu’il ne rejette pas l’énergie nucléaire… Il deveint finalement responsable du service de l’économie sociale et de la vie associative de la Caisse des dépôts et s’occupe de la restauration du théâtre des Champs-Elysées, avant de mourir à 32 ans en 1989. Pierre Lebaillif se présente en 1980 à une élection cantonale partielle, dans le canton d’Espelette. Se plaçant sous l’égide de Raymond Barre, celui qui a troqué la casquette des écologistes intransigeants pour celle plus confortable des Jeunes Giscardiens, «possède déjà à 23 ans tous les tics d’un vieux routier de l’électoralisme» (Edito d’Enbata n°630). Il est largement battu et retourne à Paris fréquenter les couloirs de l’exécutif. Gatu horrek bazuen beste buztanik.

 

(5) Le projet d’aménagement de la Barre d’Anglet contre lequel elle mena le combat faisait de ce site une immense marina semblable à celle de La Grande Motte dans l’Hérault, au bord de la Méditerranée. Son architecte François Spoerry était le même.

(6) Il en est de même pour l’émergence du nationalisme corse où la pollution des boues rouges au large du Cap corse par la société Montedisson, joua un rôle mobilisateur en 1972 avec l’action déterminante d’Edmond Simeoni.

(7) Kirkpatrick Sale, L’art d’habiter la terre, la vision biorégionale, postface de Sébastien Marot, Wildproject, «Domaine sauvage», 276 p., 22 euskos.

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