C’est la phrase la plus mécaniquement répétée ces derniers jours et nous l’avons tous et toutes plus ou moins entendue au boulot, en famille, dans la rue. Elle tourne la mauvaise page des intempéries récentes, elle est prometteuse de plaisirs simples attendus chaque année avec impatience, elle est synonyme de vacances, elle redonne le moral : enfin c’est l’été !
Comme les médailles, chaque phrase a aussi son revers, celui qu’inconsciemment on tente d’ignorer, celui qui se cache derrière cette pulsion libératoire dont nous avons tant besoin.
C’est l’été et nous en arrivons à oublier que cette année il a frappé plus tôt que d’habitude, que malgré des aléas climatiques compliqués, l’élévation sournoise de la température est bien réelle et qu’elle n’apporte pas avec elle que de bonnes nouvelles.
Mais c’est l’été et il nous envahit avec son cortège d’images où il y a le ciel, le soleil et la mer, blanc le goéland, le bateau blanc qui danse sous un soleil de plomb.
Ces mots nous les avons au fond de nous et la saison qui commence est sûrement celle qui nourrit le plus de fantasmes.
Au point de nous faire oublier que les bateaux de la Méditerranée ne sont pas cette année de ceux qui blancs dansent sous un soleil de plomb ? Ils transportent notre mauvaise conscience, ils n’ont pas de ports où accoster, et nous n’avons que peu de solutions à leur offrir, ils sont l’Oceano Nox de Victor Hugo. Ils voguent sur ces “Flots profonds redoutés des mères à genoux”.
C’est l’été, tellement identique aux précédents et pourtant tellement particulier car il peut être celui des rêves évanouis, celui d’un continent en train de se perdre, celui d’une Europe en voie politique de disparition.
Il y a quatre ans, lors des précédentes élections continentales, des signes avant-coureurs nous prévenaient déjà que quelque chose d’inquiétant était à l’œuvre, et nous avons eu droit au traditionnel ballet politico-médiatique, mais rien n’a changé !
Que ce soit face aux bouleversements climatiques, face à la captation des richesses par peu au détriment de beaucoup, face aux déséquilibres géopolitiques qui entraînent des phénomènes migratoires préoccupants. La solution a consisté en une absence de solution. “Coalitions des hypocrites” selon Cohn-Bendit, on voit où elle nous a mené.
La réponse à cette insoutenable légèreté ne s’est pas faite attendre, et nombre d’élections nationales ont traduit un repli sur soi, une perte de confiance, l’évolution lente mais irréversible d’un renoncement humanitaire, le sentiment diffus que nous allons vers des périodes encore plus sombres que rien ne pourra empêcher. Ce que charrie le bulletin d’informations quotidien aurait été impensable il y a seulement quelques années et même si nous revenons à d’autres dramatiques évènements comme par exemple celui des “boat people” dans les années 80, le contexte est effroyablement différent.
Ce que charrie le bulletin d’informations quotidien
aurait été impensable il y a seulement quelques années
et même si nous revenons à d’autres dramatiques évènements
comme par exemple celui des “boat people” dans les années 80,
le contexte est effroyablement différent.
D’abord parce que dans ces temps-là, l’accueil se fait dans un quasi consensus, de grandes voix s’élèvent, le bateau Ile de lumière est symbole de solidarité, aucun politique ne peut imaginer fermer un port, l’Europe est en construction et constitue un espoir. Touche pas à mon pote est plus en vogue que “pour que la France reste la France” qui est la version édulcorée et “moderne” de la France aux français.
En ce début d’été, le jeu consiste à déterminer qui est le plus grand méchant des pays européens, et on a un assez large choix plutôt que de s’atteler à une refonte profonde d’une Europe qui ne résistera que si elle se réforme rapidement. Le projet européen n’est pas partagé de la même façon par tous les pays membres, l’agrandissement trop rapide de l’Union a eu raison du postulat de départ et il est devenu impossible de songer à une Europe politique intégrée et fédérale. L’organisation, elle-même nécessitant des unanimités a créé avec un certain brio son impuissance totale, ne trouvant finalement d’accord que sur des stratégies ultralibérales. Il faut se reposer la question de l’adhésion à un projet commun qui ne doit plus être réduit à une simple logique de guichet où l’Europe vilipendée en permanence n’aurait que pour seul avantage ses fonds FEDER et ses multiples aides financières. Qui portera cette question dans moins d’un an lors du renouvellement du Parlement européen ?
Hier sur les hauteurs de la baie de Donibane Lohitzune, j’ai partagé un verre avec l’aumônier des bateaux et des marins. Écris sur la joie de vivre me disait-il, sans doute, comme moi en ressent-il le besoin! En laissant le regard se perdre dans le bleu profond que l’océan nous offre sous un soleil de plomb, en mesurant le chemin parcouru dans notre modeste territoire depuis presque deux ans, en se disant que parfois le politique croise l’Histoire, tout peut sembler moins vain et puis il faut savoir saisir chaque occasion de se réjouir. Mikel a raison. Et puis c’est vrai l’été est enfin arrivé.