
de personnes dans les rues de Bilbo le 11 janvier 2025.
Le vote des différents budgets de la Communauté autonome d’Euskadi, le renouvellement des directions des deux formations abertzale, les situations bloquées en Espagne et en Catalogne, le hordago de Carles Puigdemont, témoignent d’une situation d’attente qui devrait déboucher demain sur de nouveaux équilibres politiques.
Bien qu’il ait fait jeu égal avec le PNV aux élections d’avril 2024, huit mois plus tard, le bilan est en demi-teinte pour EH Bildu qui reste en marge de la gestion des grandes institutions en Hegoalde. Les provinces d’Araba et Bizkaia voient fin décembre leurs budgets approuvés grâce à l’abstention des souverainistes qui n’ont obtenu que quelques modifications. Quant au gouvernement autonome et au Gipuzkoa, la coalition PNV-PSOE qui les dirige s’est passée de leurs propositions. Le budget du second a été voté fin novembre grâce à l’appoint des élus du PP. Les socialistes dirigent la Navarre avec la participation du PNV, et grâce à une abstention qu’EH Bildu négocie chaque année. La gouvernance du Pays Basque fonctionne donc à géométrie variable et tous avancent à pas comptés, pour ne pas oblitérer un avenir incertain. La culture de la négociation et du compromis a une longueur d’avance sur ce qui se passe au nord des Pyrénées.
Au milieu du gué
Durant ce qui constitue finalement un round d’observation de quelques mois, les souverainistes sortent du ghetto en se positionnant comme interlocuteur possible dans un contexte mouvant, celui de leur montée en puissance sur fond d’affaiblissement du PNV et de Podemos. Prochain objectif : faire craquer le plafond de verre et ouvrir les scénarios d’alliances. A l’oeuvre depuis les scrutins précédents, cette évolution se poursuit, alors que les deux formations abertzale vont prochainement renouveler leurs directions respectives. Les deux vieux briscards Arnaldo Otegi et Andoni Ortuzar resteront aux commandes de leurs partis respectifs, avec derrière eux une génération de quadras en charge d’écrire de nouvelles pages, et pour échéance les élections municipales et forales de 2027. Le bureau politique d’EH Bildu comprendra plus de femmes que d’hommes — une première — avec une moyenne d’âge de 45 ans.
« La gouvernance du Pays Basque fonctionne à géométrie variable, tous avancent à pas comptés pour ne pas oblitérer un avenir incertain. La culture du compromis a une longueur d’avance sur ce qui se passe au nord des Pyrénées. »
L’élargissement des 122 prisonniers politiques basques, via la simple application du droit commun et le retrait des régimes d’exception, demeure son dossier prioritaire. La mega manifestation à Bilbo le 11 janvier n’a pas résolu la question d’un coup de baguette magique. Bien que peu relayée ou minimisée dans la presse espagnole, elle a marqué le coup. Un petit groupe de preso, moins d’une dizaine, fait savoir qu’il demeure critique à l’égard de la ligne d’EH Bildu à ses yeux trop liée « au système politique espagnol« . Mais faute d’alternative politique sérieuse, son influence demeure marginale. Autre dossier majeur en vue, celui de la rénovation du statut d’autonomie. Où placer le curseur ? Simple toilettage technique, révision ou réforme, pas en avant vers une souveraineté-association, relations vraiment bilatérales dans un État confédéral, garantie pour les Basques de faire entendre leur voix à Bruxelles, interprétation plus ouverte de la Constitution, reconnaissance d’Euskadi en tant que nation et de son « droit de décider » ? Cela sera débattu en 2025 avec des partenaires dont les positions a minima sont bien connues.
Péril en la demeure
Le PNV se maintient au pouvoir grâce à sa « centralité » qui lui permet des accords tous azimuts. Il entend stopper son érosion électorale et procéder à la revitalisation d’un parti assoupi et vieillissant où les nécessités de la gestion ont éteint la flamme. Devenu un parti de cadres, l’absence de débats caractérise les batzokis, hier encore fleurons d’un parti de masse. Ceux qui dirigent la Communauté autonome veulent démontrer leur capacité à mieux gérer le pays, en réformant son système de santé très défaillant. L’insécurité croissante, la question du logement et l’octroi de nouveaux transferts de compétences sont sur la table. Applicable au 1er janvier, le PNV vient d’engranger la gestion du littoral et le fonds de soutien à l’activité cinématographique et audiovisuelle dans des langues autres que l’espagnol. Le lehendakari Imanol Pradales monte en épingle les négociations en cours avec Madrid pour le transfert du régime économique de la caisse de Sécurité sociale. Un vieux serpent de mer, s’il en est. Et également la possibilité d’accorder aux immigrés le droit de travailler dans trois provinces marquées par la pénurie de main-d’oeuvre et la dénatalité.
Mais de telles annonces ont un air de déjà-vu. D’autant que les députés jeltzale (PNV) ont joint leurs voix à celles de Junts, du PP et de Vox, pour s’opposer le 22 janvier au maintien d’un impôt exceptionnel sur les entreprises énergétiques largement bénéficiaires, telles que le pétrolier Repsol qui, pour défendre les intérêts de ses actionnaires, a mis en oeuvre un chantage éhonté. Résultat : un manque à gagner de 100 millions d’euros pour les institutions basques.
« Les députés PNV ont joint leurs voix à celles de Junts, du PP et de Vox, pour s’opposer à l’augmentation d’un impôt sur les entreprises énergétiques telles que le pétrolier Repsol qui, pour défendre les intérêts de ses actionnaires, a mis en oeuvre un chantage éhonté. »
Victoire symbolique qui réjouira tous les abertzale : après plus de 80 ans de combat acharné, le PNV a récupéré, par un décret paru le 24 décembre et grâce à l’application de la loi sur la Mémoire démocratique, un superbe hôtel particulier au 11 avenue Marceau dans le VIIIe arrondissement parisien, à deux pas du Pont de l’Alma. Via des prête-noms, le parti avait acquis cet immeuble en 1937, pour en faire le siège du gouvernement basque en exil, puis en avait été spolié. S’achève ainsi une saga politique et judiciaire aussi invraisemblable qu’ignoble.

Vers la paralysie
EH Bildu et PNV soutiennent le gouvernement socialiste espagnol, l’apport de leurs voix est indispensable pour son maintien au pouvoir. Ils tentent de tirer parti de sa faiblesse, mais celle-ci atteint des sommets qui débouchent sur une inaction confinant à la paralysie. Pedro Sanchez se débat dans une série d’affaires de corruption qui affectent sa propre famille — son épouse et son frère — ainsi que des dirigeants socialistes. Elles font les délices de la droite qui, elle aussi, a sur le dos son lot d’affaires de corruption. La guéguerre judiciaire touche même les juges entre eux, avec un recours du procureur général de l’État contre un magistrat de la Cour suprême.
Dans ce climat délétère, le gouvernement est bien en peine de faire approuver son budget 2025, d’autant qu’il n’est pas assuré du soutien des Catalans (1). Les relations entre le PSOE et Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) sont devenues glaciales. La promesse de l’instauration d’un pouvoir fiscal catalan inspiré du concierto económico et du cupo basques, a été revue à la baisse par le pouvoir et sa mise en oeuvre repoussée aux calendes grecques. Son seul effet a été de permettre l’élection du socialiste Salvador Illa à la tête de la Catalogne, grâce au soutien d’ERC qui refuse désormais d’approuver le budget régional. Acculé, le président de la Generalitat décide de réunir en février la commission bilatérale de suivi des relations politiques, en sommeil depuis deux ans. Selon les accords initiaux signés entre PSOE et ERC, elle devait se réunir tous les six mois.
Le 20 janvier, le couperet d’ERC tombe : « Faute de souveraineté fiscale, pas de budget 2025″. Salvador Illa est dans l’obligation de proroger le budget de 2024 proposé par l’ERC Pere Aragonès alors au pouvoir… qui avait déjà prorogé le budget 2023. Dépourvus de majorité homogène, Pedro Sanchez et Salvador Illa restent aux commandes, mais confrontés à leur propre impuissance. La situation est kafkaïenne. Le mur socialiste auquel se heurte ERC a un effet inédit : la reprise du dialogue avec Junts. Les deux frères ennemis du souverainisme catalan, Carles Puigdemont, Oriol Junqueras et leurs équipes se rencontrent le 16 janvier à Waterloo (Belgique), pour la première fois, après quatre années de dissensions. Ce dégel permet de mettre à l’ordre du jour des questions de fond : comment reconstruire une cohérence et une unité d’action pour redevenir majoritaires dans l’opinion du pays, comment faire plier Madrid ? Du côté de la société civile, l’ANC Assemblea Nacional Catalana), forte de ses 40 000 « collaborateurs volontaires » et moteur de la mobilisation abertzale, élabore une nouvelle feuille de route « sécessionniste ». L’ambiance est à la reprise.
Labyrinthe judiciaire
Junts qui avait annoncé qu’ERC allait se faire flouer sur le dossier fiscal, dialogue toujours avec les socialistes. Le contenu de ces rencontres est suspendu au calendrier judiciaire portant sur l’amnistie de Carles Puigdemont, Oriol Junqueras et d’autres dirigeants. La Cour suprême a décidé en septembre dernier que la loi d’amnistie, si âprement négociée, n’était pas applicable au délit de malversation. C’est maintenant au Tribunal constitutionnel d’accorder ou non une mesure de grâce. Et ça s’éternise. Le pouvoir judiciaire ignore le temps du politique ou plutôt utilise cette ignorance. Au Parlement espagnol, les députés PP font les yeux doux à leurs homologues de Junts : il s’agit de mettre au point des accords ponctuels sur des projets de lois liés à la « qualité de la vie » des citoyens. Et surtout, de fragiliser davantage un PSOE déjà sur le gril. Et ma foi, Junts ne se fait pas prier et joue les coquettes. Toutes les gazettes sont en émoi. Mais cela ne dure que ce que durent les roses, l’espace d’un matin.
En attendant, pour calmer les exigences de Carles Puigdemont, Pedro Sanchez rappelle benoîtement que la question de l’officialisation du catalan, du basque et du galicien par l’Union européenne demeure à ses yeux un dossier prioritaire en 2025. Cette décision, qui aurait des conséquences non négligeables en Iparralde, est enlisée depuis des mois dans les marécages bruxellois. Personne n’est dupe quant aux motivations réelles des députés européens pour la remettre sur le tapis.
Comme la corde tient le pendu
Tenu au collet par les Catalans, Pedro Sanchez va-t-il renoncer à faire approuver le budget 2025 ? Officieusement, il envisage la prorogation de celui de… 2023, comme en Catalogne. Depuis décembre, les députés de Junts demandent que Pedro Sanchez se soumette à une question de confiance du parlement. Si le désaveu l’emportait, la démission du chef de gouvernement serait immédiate. Après moult tergiversations, le 16 janvier, le bureau du Parlement décide de ne rien décider. Puigdemont voit rouge.
« Carles Puigdemont claque la porte au nez du PSOE : il refuse toute discussion partielle sur des questions sectorielles et exige une rencontre à Genève, sous le contrôle d’un diplomate chargé de vérifier si les engagements de Pedro Sanchez signés il y a 14 mois lors de son investiture, sont respectés. »
Pour se donner un peu d’air, les socialistes annoncent qu’ils le rencontrent le lendemain, à sa résidence de Waterloo. Il leur claque la porte au nez : il refuse toute discussion partielle sur des questions sectorielles et exige du PSOE une rencontre en bonne et due forme à Genève, sous le contrôle d’un diplomate chargé de vérifier si les engagements de Pedro Sanchez signés il y a 14 mois lors de son investiture, sont respectés. Seront à l’ordre du jour l’amnistie, l’officialisation du catalan en Europe, le transfert intégral de la compétence sur la politique d’immigration et… le vote du budget de l’État. La rencontre aura lieu très rapidement, mais Carles Puigdemont n’est pas pressé. Quant à l’offre d’une rencontre directe avec Pedro Sanchez, Puigdemont la qualifie de « symbolique, Junts peut très bien vivre sans cela… ». Le hordago catalan met en suspens plusieurs décrets gouvernementaux qui, faute de majorité, sont rejetés le 22 janvier : revalorisation des retraites, aide aux transports publics, blocage des expulsions de logements et des coupures d’électricité, restitution du 11 avenue Marceau… Carles Puigdemont tient Pedro Sanchez comme la corde tient le pendu, mais celui-ci résiste. L’entourage de ce dernier élude toute épée de Damoclès et affirme déjà que la négociation va aboutir. Ils ont provisoirement besoin l’un de l’autre. Étrange couple où l’un exige le maintien du contrat de mariage et l’autre veut divorcer. La situation politique demeure donc extraordinairement incertaine et volatile, du fait de l’hétérogénéité des formations dirigeantes qui tergiversent, et de l’interférence d’un pouvoir judiciaire qui fait de la politique. On le voit, dans cet imbroglio, l’ingouvernabilité du pays n’est pas une exclusivité française. En 1937, Sigmund Freud notait que trois métiers étaient « impossibles » : éduquer, psychanalyser et gouverner. Nous en avons l’illustration.
1. A gauche du PSOE, la rivalité entre Sumar et Podemos qui pratique la surenchère, contribue à faire de cette législature un enfer pour Pedro Sanchez.