Le parlement espagnol refuse d’accorder au premier ministre sortant, le socialiste Pedro Sanchez, une majorité relative. Podemos ainsi que le PNV, EH Bildu, et ERC se sont abstenus, ce qui a permis à la droite (PP, Ciudadanos et Vox) de totaliser plus de voix que le PSOE. Les partis ont jusqu’au 23 septembre pour trouver un accord de gouvernement. Sinon, de nouvelles élections législatives sont à prévoir début novembre.
Par deux fois, les 23 et 25 juillet, Pedro Sanchez a demandé au parlement espagnol de l’élire chef de l’exécutif. Selon la procédure, il devait d’abord obtenir une majorité absolue, et sinon, deux jours plus tard, une majorité relative. En vain. Seuls les 123 députés socialistes ont voté en sa faveur, ainsi que le député cantabre. La droite, c’est-à-dire le PP (66 élus), Ciudadanos (57), Vox (24), Navarra + (2), ainsi que les Catalans de JxCat (7 moins Oriol Junqueras incarcéré, donc 6), ont voté contre, soit un total de 155 voix. Podemos (42 députés), ERC (15), le PNV (6) EH bildu (4), au total 67, se sont abstenus. La droite étant incapable de présenter un candidat commun, seule la gauche a tenté l’aventure.
Depuis les élections du 28 avril, PSOE et Podemos n’ont cessé de négocier en vue d’un gouvernement s’appuyant au moins sur une majorité relative, susceptible d’être soutenue, selon les projets de loi, par les partis basques et catalans. Le bras de fer entre les deux principales formations de gauche a fait l’objet d’un feuilleton à rebondissements. La négociation a buté pour l’essentiel sur les ministères offerts par les socialistes, très secondaires, voire “décoratifs” (santé, affaires sociales, consommation, agriculture, pêche, égalité, etc.), en tous cas loin du prorata des 3,7 millions de voix obtenues par Podemos. Le PSOE a proposé des ministres “techniques” ou des personnalités indépendantes. Il a même exigé que Podemos s’aligne sur ses décisions quant à la gestion du dossier catalan : la gauche alternative ne soutiendra plus toute nouvelle demande de referendum, même du bout des lèvres et les ministres “ne devront plus parler de prisonniers politiques” pour désigner les leaders catalans incarcérés. Au dernier round, le leader de Podemos Pablo Iglesias, renonce à occuper personnellement un poste ministériel, mais demande pour sa formation une vice-présidence du gouvernement et trois ministères, dont aucun à caractère régalien. Il abandonne le porte-feuille du travail, tout en exigeant d’avoir la main sur les politiques d’aides à l’emploi. Quelques jours avant le vote parlementaire, pour montrer sa détermination, Podemos fait perdre au PSOE la gouvernance de la communauté autonome de la Rioja. Rien n’y a fait.
L’épouvantail de la droite
Lors de la précédente législature, les socialistes ont pris goût à l’exercice solitaire du pouvoir. Ils souhaitaient en mai un simple soutien de Podemos, sans participation au gouvernement. Du fait du nombre réduit de ses députés, Pedro Sanchez préfère se dégager de l’emprise future de ses partenaires —en particulier basques et catalans— et propose des strapontins à Podemos. Hormis quelques contact de courtoisie, il ne négocie rien, ni avec les Catalans, ni avec les Basques. Alors qu’il sait très bien qu’il aura besoin d’eux pour demain faire approuver son budget et des lois importantes. Les socialistes considèrent comme acquis le soutien de leurs alliés potentiels, tant à leurs yeux l’épouvantail d’un retour de la droite au pouvoir joue en leur faveur. Comble de cynisme, Pedro Sanchez fait des appels du pied aux partis de droite pour qu’ils s’abstiennent et évitent ainsi qu’un gouvernement espagnol subisse le joug des communistes ou des indépendantistes… Dans cette partie de poker menteur à deux, Basques et Catalans sont plutôt spectateurs. La plupart se sont donné le beau rôle de la porte ouverte au dialogue, en attendant l’accord des deux grands. Seuls les Catalans de JxCat demeurent dans le non de l’opposition. Même les indépendantistes d’ERC* et d’EH Bildu, comprennent les avantages qu’ils pourraient retirer d’un gouvernement espagnol de gauche affaibli, dont la majorité dépendra demain de leur appoint et donc obligé de négocier. Pour le PNV aussi, cela relève d’une pratique fort ancienne. Mais Aitor Esteban, son porte-parole aux Cortes, est lucide, il ne se gêne pas pour dénoncer à la tribune “le bluff des pactes d’Etat” qui peinent à se concrétiser.
Je te tiens, tu me tiens
Ce jeu du “je te tiens, tu me tiens par la barbichette” est susceptible de marcher dans les deux sens. Le gouvernement de Gasteiz dirigé par le PNV et soutenu par les socialistes, n’est pas parvenu à faire voter son budget pour 2019 et a dû se contenter de la reconduction administrative du budget précédent. Aussi le vote d’un seul député de Podemos serait bienvenu pour faire approuver le budget basque de 2020. En Navarre, une coalition de gauche dirigée par le PSOE avec le soutien de Podemos et Geroa Bai (proche du PNV), ne peut diriger le pays sans l’abstention des députés EH Bildu. En Catalogne, le président indépendantiste de la Generalitat Quim Torra en est réduit depuis deux ans à expédier les affaires courantes, faute de majorité au parlement régional. Le soutien au moins partiel des socialistes élargirait sa marge de manoeuvre et sa crédibilité.
Malgré tout, au pays des aveugles, les borgnes sont rois : Podemos demeure le parti espagnol le plus ouvert à une libération rapide des dirigeants catalans et à la formule fédérale de l’État central. D’où l’intérêt des abertzale à le voir siéger au gouvernement espagnol. Entre une droite espagnole sauvage et une gauche relativement civilisée, les Basques et les Catalans ont vite fait leur choix.
Podemos demeure le parti espagnol le plus ouvert
à une libération rapide des dirigeants catalans
et à la formule fédérale de l’État central.
D’où l’intérêt des abertzale à le voir siéger au gouvernement espagnol.
Entre une droite espagnole sauvage et une gauche relativement civilisée,
les Basques et les Catalans ont vite fait leur choix.
Les annonces et les projets de loi de la première vont tous dans le même sens : recentralisation de l’État, répression contre les indépendantistes, tirer profit de la victoire politico-militaire sur ETA, interdiction des hommages rendus aux preso libérés, renforcement de la langue espagnole dans l’enseignement, exaltation du nationalisme espagnol ou encore blocage de la loi sur la mémoire des crimes franquistes. N’en jetez plus, la cour est pleine !
Deux mois pour un accord
Les conséquences d’un échec pour constituer un gouvernement de gauche en Espagne sont donc importantes. Sans le dire très clairement, EH Bildu découvre, avec trente ans de retard, les possibilités offertes par le jeu parlementaire. Il a compris comment exister et peser dans cette partie de billard ou de mus, où l’accumulation des ttantto permet d’avancer, tant le hordago paraît hypothétique. Avec toutes les limites que cela suppose : comme chacun sait, la Constitution muselle les possibilités sérieuses d’engager des réformes institutionnelles majeures. Les partis de gauche espagnols disposent désormais de deux mois pour bâtir une coalition qui dirigera l’État espagnol. Passé le couperet du 23 septembre, le compte à rebours de nouvelles élections législatives sera lancé. Elles auraient lieu le 10 novembre. Pedro Sanchez annonce qu’il ne lâche pas l’affaire et reprend tout à zéro. Au PP, des sirènes évoquent une possible abstention des députés pour “défendre la Constitution”, elles entonnent à nouveau les mélopées de la séduction.
(*) Les dirigeants politiques d’ERC qui sont en prison ont, il y a plusieurs semaines, demandé que leur parti ne s’oppose pas à l’arrivée des socialistes au pouvoir à Madrid.
EH Bildu stoppe la droite en Navarre
Avec ses sept députés au parlement foral, la formation indépendantiste détient cette possibilité. Suite au scrutin du 26 mai, les socialistes navarrais ont bâti une alliance avec Geroa Bai et Podemos et constituer un gouvernement. Bien que dépourvue de majorité absolue, cet accord exclut les indépendantistes d’EH Bildu. Pour accéder au pouvoir face la droite, il lui faut compter au moins sur l’abstention d’EH Bildu. Situation complexe pour cette formation avec laquelle le PSOE refuse de négocier ouvertement. Comment contrecarrer le retour d’une droite rance, celle de Navarra+, qui regroupe les régionalises d’UPN, le PP, Ciudadanos et Vox ? Hier comme aujourd’hui, elle fait de l’anti-basquisme son principal fond de commerce(1). Dans le sillage d’ERC, les députés indépendantistes basques à Madrid ont accepté de s’abstenir en vue de faire élire un gouvernement de gauche. Sauf retournement de situation, il en sera de même en Navarre lorsque vous lirez ces lignes. Le 24 juillet, EH Bildu a décidé de consulter ses militants locaux pour savoir s’il convenait ou non de faire passer un gouvernement dirigée par une socialiste. Arnaldo Otegi en personne a donné le la, conforter le oui. Le choix courageux et lucide d’EH Bildu donne aux indépendantistes un pouvoir d’influence important, celui de faiseur de roi. La coalition qu’il feront élire par leur abstention dépendra de leur bon vouloir tout au long de la législature, pour l’approbation du budget annuel ou celle de toute loi importante.
(1) On peut voir actuellement deux remarquables expositions à la Commanderie d’Irisarri et à Donibane Garazi, consacrées à l’histoire de l’euskara en Navarre et à l’histoire de la Basse Navarre depuis le Moyen-Âge, au travers de documents d’archives que l’on découvre pour la première fois. Ces deux présentations sont le fait du gouvernement navarrais conduit pour la première fois par des abertzale. La démarche en soi et son contenu étaient impensables du temps du gouvernement UPN.