Vouloir ajouter une dimension transgénérationnelle à la démocratie, c’est favoriser le vote des jeunes. Plusieurs scénarios pourraient être envisagés pour inciter les jeunes à voter et briser le cercle vicieux.
La séquence électorale à venir laisse présager une forte abstention, notamment chez les plus jeunes électeurs. Pourtant dans le contexte actuel où les décisions d’aujourd’hui conditionnent de manière irréversible la vie de demain, la voix des plus jeunes ne peut rester aussi peu audible. L’impact politique du vieillissement sur la démocratie ne peut pas être un sujet tabou. Comment faire pour que les élections ne soient pas un acte de confiscation de l’avenir des générations futures, et que le système politique en général assure leurs intérêts ?
Pendant longtemps, ne pas aller voter a été considéré comme un signe de mauvaise citoyenneté ou d’indifférence de l’ordre d’un “je-m’en-foutisme”. Mais je pense qu’aujourd’hui cette lecture ne tient pas et que c’est un peu plus compliqué. L’abstention serait plutôt le symptôme d’une transformation du rapport à la politique en général et au vote en particulier.
La citoyenneté s’exprime aujourd’hui par d’autres moyens, un engagement plus personnel. Des choix de mode de vie, alimentaires, de mobilité, des carrières, mais aussi par des pétitions, campagnes en ligne et prises de position sur les réseaux sociaux, par des actions locales, des manifestations et des marches… Ici, le nouveau mouvement de jeunes abertzale Xuti Gazte, créé le mois dernier, montre bien que l’envie et le besoin de s’engager politiquement n’a pas disparu.
Le vote est un moyen de s’exprimer parmi d’autres et pour les plus jeunes, très souvent, ce n’est pas forcément le plus intéressant. Il n’est plus automatique mais est devenu intermittent, où si l’on ne voit pas l’enjeu d’un changement concret, l’action de voter apparaît comme inutile, et pour certain cela revient carrément à cautionner un système que l’on ne veut plus.
Seulement voilà, ne pas se déplacer aux urnes par insatisfaction, n’empêche pas les autres de le faire à notre place et cela aboutit à des déformations en termes d’équilibre politique. Lors des élections départementales et régionales, les plus de 65 ans qui représentent 19% de la population, ont pesé l’équivalent d’un tiers des votants (soit 1,4 fois leur poids dans la population), tandis que les moins de 35 ans pèsent en moyenne moins de 50% de leur poids démographique réel. L’âge médian des citoyens qui se rendent aux urnes se trouve être nettement supérieur à celui de la population générale.
Les sujets traités pendant la campagne des élections présidentielles sont conditionnés pour les mêmes raisons. Une enquête(1) publiée en février dernier, comparait les cinq préoccupations principales par tranche d’âge. La même étude créditait les plus de 70 ans de 80% d’intention de vote, alors que moins d’un jeune de 18-24 ans sur deux compte aller voter.
Cercle vicieux
En terme électoraliste, il est donc plus stratégique, mais aussi plus facile, de courtiser un électorat qui est sûr de se déplacer aux urnes. Un pari très court-termiste qui a pour conséquence un débat public biaisé, un désengagement chronique des citoyens les plus jeunes ce qui alimente donc le cercle vicieux de l’abstention.
Pourtant rien n’est inéluctable, comme en témoigne le cas du référendum de 2014 pour l’indépendance en Ecosse, qui avait suscité un vrai engouement chez les jeunes et où les 16-17 ans s’étaient vus accorder le droit de vote pour l’occasion. 75% d’entre eux s’étaient sentis concernés par le devenir de l’Ecosse et avaient participé au scrutin. Un taux de participation toujours en dessous de la frange la plus âgée, mais cette mobilisation a donné lieu à une dynamique démocratique pérenne dont le parti indépendantiste SNP est sorti grandi.
Abaisser l’âge légal du vote est peut-être une première étape pour laisser plus de place à la jeune génération, mais ne suffira sûrement pas à contrebalancer la tendance conservatrice bien assise sur le poids démographique d’une population vieillissante. Comment ne pas tomber dans la dérive “les plus vieux décident, et aux jeunes de payer les pots cassés?”
Faut-il alors rendre obligatoire le vote comme en Belgique, sous peine d’amende, pour contraindre l’expression de tous les inscrits ? Ou bien pondérer le vote des jeunes de 1,5 points voire deux points comme une sorte de prime à la jeunesse ? Ou bien encore accorder un droit de vote dès la naissance ? Les campagnes électorales prendraient une autre tournure.
L’enjeu est peut-être là : ajouter une dimension transgénérationnelle à la démocratie. Et cela doit commencer par la prise de conscience individuelle que chaque citoyen se doit de voter, moins pour ses propres intérêts que pour l’intérêt général le plus durable.
Un peu dans l’esprit de la Grande loi de Paix de la Confédération des six nations iroquoises qui imposait pendant des siècles aux dirigeants de “toujours avoir en vue non seulement le présent, mais aussi les générations à venir, même ceux dont les visages sont encore sous la surface de la terre – les enfants à naître de la future Nation”.
Des visionnaires !
(1) La cinquième vague de l’Enquête Électorale 2022 réalisée par Ipsos-Sopra Steria pour le Cevipof, la Fondation Jean Jaurès et Le Monde. ++ Pour aller plus loin : l’excellent magazine Usbek& Rica #33 Comment être de bons ancêtres?