Gabi Mouesca intervient dans la campagne électorale bayonnaise. Après avoir passé 17 années de sa vie en prison, l’ancien militant d’Iparretarrak a été responsable national du programme prison à la Croix Rouge Française, puis président de l’Observatoire International des Prisons (OIP – section française) et Chargé de mission à Emmaüs France. Il est aujourd’hui directeur d’une nouvelle structure oeuvrant dans le social, l’agro-écologie et l’insertion. Militant infatigable des droits fondamentaux, cette personnalité de la gauche abertzale défend l’élection du centriste Jean-René Etchegaray contre le candidat socialiste Henri Etcheto, en reconnaissant au maire sortant « un haut degré de responsabilité et d’humanisme » qui « transcende tout autre critère ». Pour Gabi Mouesca, M. Etchegaray dépasse « les considérations idéologiques au profit de l’intérêt commun » quand M. Etcheto « entretient un discours et pose des actes qui aujourd’hui encore sont de nature à humilier et à blesser une partie conséquente de la population vivant et travaillant au Pays Basque », alimentant ainsi « la logique du maintien de conflit. »
Quel intérêt porte le citoyen Gabi Mouesca aux élections municipales bayonnaises ?
Je dois tout d’abord vous dire que je ne récupérerai mon droit de vote qu’à l’âge de 71 ans. On m’a retiré mes droits civiques pour une période de 47 années. Je ne suis en quelque sorte qu’un sous citoyen. Cela ne m’a pas empêché d’avoir depuis ma remise en liberté en 2001, eu en permanence des engagements militants et citoyens. Y compris en présidant un organisme, l’OIP, qui a statut consultatif auprès de l’ONU, ou d’avoir des engagements professionnels qui m’ont amené à intervenir à bien des reprises au sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat par exemple. Concernant les élections municipales, je vis à Boucau mais je porte un intérêt tout particulier à Bayonne, où j’ai vécu une partie importante de ma jeunesse et où la majeure partie de ma famille vit encore.
Que vous inspirent cette campagne électorale bayonnaise et ses nombreux rebondissements ?
Tout d’abord, je dois dire ma peine de ne pas voir Jean-Claude Iriart en responsabilité lors du mandat prochain, à la Mairie de Bayonne. C’est un homme avec de grandes qualités humaines et qui s’inscrit dans la tradition de ces personnalités basques qui par leur travail et leurs convictions ont permis d’avancer collectivement, de contribuer à construire les bases d’un futur dans lequel les basques auront leur juste place. La complexité du micro-climat politique bayonnais n’a pas permis que Jean-Claude Iriart et ses colistiers puissent être présents au second tour. Dont acte. Je ne doute pas cependant que dans les six ans à venir, Jean-Claude Iriart et celles et ceux qui ont mené campagne à ses côtés, trouveront l’énergie et la détermination pour concourir au vivre ensemble à Bayonne et au développement de la Communauté d’agglomération Pays Basque, dans un esprit de progrès et de concorde. La politique à l’échelon municipal, voire communautaire, n’est plus l’apanage exclusif d’élu-e-s. Les citoyen-ne-s s’organisent, mettent leur nez dans ce qui les regarde, c’est-à-dire dans tout ce qui touche à leur quotidien, à leur légitimes aspirations à vivre décemment, dans un cadre respectueux de l’intérêt de toutes et tous. Les abertzale ont eu, ont et continueront de porter, à Bayonne comme ailleurs, cet engagement résolu et déterminé.
Comme jugez vous cet « engagement résolu » des abertzale de Bayonne —et au-delà— de refuser une alliance avec le candidat Etcheto, en le désignant comme « abertzale incompatible » ?
On peut reprocher beaucoup de choses à M. Etcheto, mais pas de manquer de constance dans un anti-abertzalisme forcené. Cet homme n’a eu de cesse de tenir des propos et de mener des actions s’opposant à tout ce qui constitue les éléments de dignité revendiqués par une partie importante de la population du Pays Basque nord. Cet homme —historien de formation— n’a cessé d’alimenter et d’entretenir ce qui, sur ce territoire, a été pendant des décennies le terreau de la négation institutionnelle et de la violence. Je suis de cette génération d’hommes et de femmes qui se sont engagés au tout début des années 1980, parce que se considérant trahis, maltraités, humiliés, par un homme, François Mitterrand et un parti, le Parti Socialiste Français. Un homme et un parti qui ont piétiné leur engagement vis à vis des basques, manqué à leur Parole, semé la terreur et la mort en laissant les membres du GAL agir à leur guise, organisé des extraditions, des expulsions et déportations qui ont jeté dans les bras de bourreaux espagnols des militant-e-s basques soumis à la torture. De ce passé récent, je ne fais pas table rase. Sur cette souffrance subie, je ne pose pas le linceul de l’oubli.
Doit on attribuer cette responsabilité à M. Etcheto ?
M. Etcheto est l’héritier direct de cette page dramatique de notre histoire. Héritier car membre du Parti Socialiste. Membre d’un Parti qui n’a à ce jour pas amorcé la moindre démarche de reconnaissance de ces faits incontestables. Et non seulement M. Etcheto ne s’inscrit pas dans une lecture critique de ce passé dont le Parti auquel il adhère est dramatiquement responsable, mais en plus, il entretient un discours et pose des actes qui aujourd’hui encore sont de nature à humilier et à blesser une partie conséquente de la population vivant et travaillant au Pays Basque.
Des abertzale de gauche ont pris position —comme vous le faites— contre le candidat Etcheto, mais n’appellent pas pour autant à voter Etchegaray car M. Etchegaray est un homme de droite. Le comprenez-vous ?
Je dois reconnaître que cette posture m’interpelle et m’interroge. Se positionner contre le candidat Etcheto en tant qu’abertzale n’est pas héroïque, il s’agit simplement d’être cohérent en considération du passé de notre territoire, de son Histoire, et de l’action menée par cet homme au Pays Basque nord. A l’heure du choix, à la veille du second tour, le sens des responsabilités —en particulier de la part des Partis politiques ou coalitions abertzale— devrait conduire à s’engager en faveur du candidat dont l’action témoigne d’un engagement au service de la population et de notre territoire.
Jusqu’à préférer la droite ?
M. Etchegaray, homme de droite ? Ne comptez pas sur moi pour rentrer dans ce jeu d’étiquetage. Je ne m’attache qu’aux actes posés. Seuls ceux-ci dimensionnent un individu, et permettent vraiment de mesurer ses qualités et défauts. En l’occurrence, je vous épargnerai le rappel de certaines actions majeures à mettre à l’actif de M. Etchegaray comme la défense de la Chambre d’agriculture du Pays Basque (Euskal Herriko Laborantxa Ganbara), l’action en faveur de la création de la Communauté d’agglomération Pays Basque, l’engagement dans le processus de paix au Pays Basque, la réaction à l’attentat contre la Mosquée de Bayonne ou encore l’organisation d’un accueil dans la dignité des personnes migrantes…
M. Etchegaray a fait montre d’une qualité que l’on pensait disparue chez les-dits responsables politiques, celle du courage ! Loin des logiques tactiques, des calculs machiavéliques et de l’action de basse politique, cet homme a démontré un haut degré de responsabilité et d’humanisme. Et pour moi, cette vertu est essentielle et transcende tout autre critère.
Loin de moi pourtant l’idée d’accorder toute confiance à M. Etchegaray. Son action à la tête de Bayonne et de la Communauté d’agglomération n’est pas uniquement pavée de réussites et d’actions vertueuses.
Comment s’est concrétisé ce « courage » que vous évoquez ?
J’évoquerai tout d’abord l’action décisive de M. Etchegaray en faveur de la création de la Communauté d’Agglomération Pays Basque. Deux cents ans de revendication qui enfin trouvent dans la création de la Communauté d’Agglomération un début de reconnaissance institutionnelle. Deux siècles de négation par l’Etat Français d’une spécificité basque qui trouvent réparation. Nous ne mesurons pas, je pense, suffisamment la puissance symbolique de cette mesure. Bien sûr que pour nous, Abertzale, cette Communauté d’Agglomération n’est à considérer que comme un premier pallier dans la dynamique historique de réappropriation de notre pleine autonomie. Il n’empêche, l’outil est là. Reste à y travailler, à transformer cet outil institutionnel en outil au service de la population, dans le respect des équilibres fondamentaux, qu’ils soient de nature sociale, écologique ou culturelle. M. Etchegaray a été sur cette question-là en phase avec le cours de l’Histoire, se débarrassant des considérations idéologiques ou de parti. Il a co-construit avec nombre de femmes et d’hommes de ce territoire un outil au service d’un avenir commun harmonieux.
Par ailleurs, comment ne pas souligner l’action majeure et déterminée de M. Etchegaray dans le processus de paix en cours au Pays Basque ? Son poids de maire de la ville-capitale du Pays Basque nord, et de président de la Communauté d’Agglomération Pays Basque a, à l’évidence, permis à la dynamique vertueuse du processus de se développer. Comment peut-on imaginer que le Pays Basque puisse se construire harmonieusement sans que ne soit dépassée la phase de conflit et de ses conséquences, et traitées les racines politiques du problème ? Comment peut-on penser que l’ensemble de la population puisse jouir des conditions d’un développement harmonieux alors que perdurent les conditions d’un conflit générant diverses formes de violence ?
Cette action est-elle suffisante ?
Nous avons dépassé diverses étapes fondamentales de ce processus de paix. D’autres étapes doivent être atteintes. Et le plus tôt sera le mieux. M. Etchegaray a concouru à ce travail avec dignité et détermination. Je pense que cet engagement sera dans son bilan politique, mais plus encore probablement, dans son bilan de vie, l’action dont il pourra tirer le plus de fierté. Car l’action suprême d’un responsable politique —tout comme pour tout(e) citoyen(ne)– n’est -il pas de mener une action résolue en faveur de la Paix ? Ici comme ailleurs ? Aujourd’hui comme de tout temps ? Sans paix effective, pas de développement équilibré, cohérent. Sans Paix effective, il est illusoire d’imaginer construire les bases d’un vivre ensemble fécond. M. Etchegaray l’a à l’évidence compris et a travaillé en ce sens. Son adversaire, M. Etcheto, reste étranger à cette question existentielle qui touche l’ensemble des hommes et femmes, toutes générations confondues, du territoire Pays Basque. Pire encore, il nourrit par son discours, ses postures et son action la logique du maintien de conflit.
Vous soutenez donc le candidat Etchegaray dans le duel Bayonnais ?
Considérant l’impact du choix du maire de Bayonne sur l’ensemble du territoire Pays Basque Nord, par l’intermédiaire de la Communauté d’Agglomération (qui rappelle l’insuffisance d’une institution qui ne passe pas par le suffrage direct), oui, le candidat Etchegaray me semble être celui qui parmi les deux candidats en lice incarne ce dont Bayonne et le Pays Basque ont besoin. Un homme courageux, dépassant les considérations idéologiques au profit de l’intérêt commun, un Basque respectueux de la diversité, à l’image de ce qu’est Bayonne et le Pays Basque. Lui accorder notre confiance ne nous exonérera pas, bien évidemment, de rester vigilant et de manifester nos désaccords lorsque nécessaire.
Biba zu, Gabi, azterketa bikaina, entzuten edo irakurtzen zaitudan aldi oro bezala.
Très bel article qui remet certains événements du passé et plus récents en perspective. Un grand merci.
Oui la politique des partis n’a pas de sens au Pays basque et a empêché tant de femmes et d’hommes de comprendre un tant soit peu le pays où ils vivaient parce que leurs filtres ne leur permettaient pas de regarder
Gabi
Abertzale libro gisa Etxeto bozkatuko dut.
Alexandre : en effet, vous êtes libre. Même de voter contre Euskal Herria, si tel est votre choix.
Barkatu Alexandre, euskaraz idatzi duzu eta nik frantsesez erantzun. Errespetuz, euskaraz egin behar dizut: Nahi duzuna bozkatzeko libro zira, bistan da, Euskal Herriaren kontra bozkaturik ere.