Est abertzale aujourd’hui celui qui désire que le Pays Basque cesse enfin d’être “un pays qui n’existe pas” pour avoir le droit d’exercer sa citoyenneté dans ce nouveau cadre.
Etre “abertzale” aujourd’hui, c’est vouloir élargir au maximum le cercle et l’amener aux limites qui nous séparent de ceux qui prétendent maintenir notre pays franco-français ou castillano-espagnol, (reconnaissant du même coup que cette prétention ne va pas de soi, en quelque sorte). Ce disant, on peut penser non seulement aux basco-euskelduns mais aussi aux divers basque-français, “charnegous” et basque-espagnols, ainsi qu’à ceux qui se réfugient ingénument[1] sous l’étiquette de citoyens du monde ou à ceux qui ne se sentent pas concernés par ces choix. Il revient, dans ces cas, aux convaincus de proposer aux “abertzale-compatibles” potentiels des alternatives viables et sereines, dans le cadre d’un Pays Basque en cours de gestation .
Je n’ai rien contre les réflexions théoriques mais, si j’ai du mal à aborder maintenant les concepts de nation, patrie, autonomie, ce n’est pas seulement pour éviter d’entendre grincer des dents et de prêter le flanc à d’interminables discussions byzantines. C’est aussi parce que je me suis laissée convaincre que l’application de ces concepts est peut être vouée à l’obsolescence. Néanmoins, tant qu’on ne trouvera pas de meilleure traduction à abertzale que patriote basque, j’accepte de porter cette étiquette sur mon chapeau, encore qu’elle fasse surgir sans tarder l’image des monuments aux morts de la guerre. De même que si l’on évoque la nation, je vois immanquablement apparaître le spectre imposant de l’Etat. Quant à l’autonomie, en Hegoalde et dans les autres nations sans Etat de la péninsule, je crois bien qu’elle se confond avec asservissement camouflé.
Est-ce avec ces mots que nous allons expliquer que nous aspirons à plus de reconnaissance de notre identité, plus de liberté individuelle et collective, plus de justice sociale, plus de respect à la nature, plus de participation citoyenne aux décisions qui mettent en question le développement d’une communauté dans son propre environnement?
Etre abertzale, en Iparralde, ça a toujours été oser se lancer, trouver de la solidarité pour résister et avoir confiance en l’avenir. Et nous sommes ainsi arrivés au seuil de la masse critique qui nous permet d’exister dans le panorama politique.
Nous sommes nombreux à prévoir que, au delà du blocage actuel, dès que sonneront les cloches annonçant la reconnaissance du conflit politique et du droit à l’autodétermination en Hegoalde par les autorités politiques de Madrid, la voie de la souveraineté du peuple basque sera ouverte et que cela nous permettra, en Iparralde, de prendre l’élan pour franchir le seuil sur lequel nous nous trouvons actuellement scotchés. Quelles formes institutionnelles prendront chacun des pays des Basques? Comment se coordonneront-ils pour former Euskal Herria? Je n’en sais rien. Ce sera le résultat du choix de ses électeurs.
Mais ce que je sais, c’est que c’est dès maintenant que cela s’imprime dans les cartes de nos disques durs collectifs et individuels, et que les hasards conflueront ensuite avec la nécessité pour inventer un Pays qui n’existait pas.
Rendez-vous avec les lecteurs d’Enbata à la prochaine étape… D’ici là, je les supplie de tenir bon sur l’euskara, l’éducation et la culture, et sur une revendication de souveraineté en matière d’aménagement du territoire et en matière fiscale. Cela suffira pour que notre communauté d’habitants d’Euskal Herria vive mieux et que soient définitivement écartés les risques d’acculturation et d’assimilation.
[1] : Sachant que ceux qui s’y réfugient habilement se mettent hors jeu.