Les samedi 7 et dimanche 8 octobre prochain, l’événement Euskal Herria Burujabe 2023animera pendant deux jours le centre-ville de Bayonne. Concerts, stands, expositions, conférences, projections, débats réuniront petits et grands pour s’emparer des solutions au dérèglement climatique et imaginer le Pays Basque qui relèvera ce défi sans précédent. Mathilde Etchélécou et Maël Thomas, membres de la Koordinaketa de Bizi! et impliqués dans l’organisation d’Euskal Herria Burujabe en expliquent les enjeux pour Enbata.
Qu’est-ce qu’Euskal Herria Burujabe 2023 ?
Mathilde Etchélécou : En 2018, le village Alternatiba marquait l’arrivée d’une mobilisation qui avait sillonné l’Hexagone à vélo pendant quatre mois et rassemblait 15.000 personnes à Bayonne autour du mot d’ordre « Changeons le système, pas le climat ! ». Cinq ans plus tard, le péril n’a pas disparu, il est au contraire de plus en plus palpable. Chaque dixième de degré de réchauffement supplémentaire nous plonge plus loin dans l’inconnu, au risque de basculements irréversibles et imprévisibles des mécanismes du climat, au Pays Basque comme dans le monde entier.
La conscience du dérèglement climatique et de ses causes sociales a progressé dans la population. Mais tout le monde est loin d’en tirer les conséquences urgentes et de s’engager dans la construction d’un territoire soutenable. L’organisation d’un grand événement fédérateur, proposant une quarantaine de conférences, associant plus de cent structures en grande majorité du Pays Basque, visant à rassembler 10.000 personnes dans une dynamique positive et conviviale, peut servir de déclencheur et susciter une vague d’engagements pour les prochaines années.
Pour mettre au premier plan l’importance d’agir et de penser à l’échelle du territoire, nous avons donné à l’événement le nom du projet de territoire soutenable, solidaire et souverain qui mûrit depuis 2018 : Euskal Herria Burujabe.
Pourquoi un mouvement comme Bizi! ressent-il le besoin de travailler un tel projet de territoire ?
Maël Thomas : C’était le constat que nous faisions il y a cinq ans : les gens bougent beaucoup plus pour leur territoire que pour le climat. Pour commencer, nous avons essayé de comprendre pourquoi : nous avons un attachement fort pour le territoire et son environnement, c’est pourquoi au Pays Basque il y a toujours eu des luttes contre des projets imposés, que ce soit le projet d’autoroute 2×2 en Basse Navarre, le projet d’extraction d’or, bien sûr le Train à Grande Vitesse, le parc touristique au sommet de La Rhune, la fracturation hydraulique pour la recherche de gaz de schiste en Alava, etc. Mais, en ce qui concerne le climat, nous ne ressentons pas la même chose, car le climat ne nous touche pas de si près (ou du moins, il ne nous touchait pas autant il y a cinq ans, mais cela aussi est en train de changer). Cependant, le changement climatique peut causer des dommages sur notre territoire, et d’une certaine manière, nous pouvons dire qu’il s’agit également d’un projet imposé : afin de promouvoir plus facilement l’utilisation des combustibles fossiles au niveau mondial, les dommages causés par celle-ci nous ont été cachés pendant plusieurs décennies.
Les dégâts causés sur notre territoire et leurs conséquences nous font mieux comprendre les dégâts subis dans d’autres territoires de la planète, et de la même manière, le relier à la question climatique ajoute une dimension universelle aux luttes locales, la dimension solidaire va dans ce sens. Et la souveraineté, avec la nécessité de se retirer des énergies fossiles, coïncide aussi avec cette reconnexion au territoire. Nous voulons pouvoir décider, localement et dans tous les domaines, quelles et combien de ressources nous devons utiliser, afin que nos descendants puissent faire de même, c’est-à-dire de manière soutenable.
Qu’est-ce que cela amène de plus aux combats menés par Bizi! ?
Mathilde Etchélécou : Une manière de combiner luttes territoriales et lutte pour le climat, à travers laquelle les membres de Bizi! peuvent mieux se connecter aux luttes locales et montrer comment ces luttes sont liées aux autres. Pour donner quelques exemples : l’agriculture paysanne, que défend EHLG, est moins dommageable pour le climat que l’agriculture industrielle, et est mieux préparée face aux effets du changement climatique. Donc, les luttes de l’agriculture paysanne coïncident avec la lutte pour le climat. Ou le problème du logement : d’une part, vous ne pouvez pas vous engager correctement si votre loyer vous prive d’argent et de sommeil. De plus, ce sont les plus vulnérables qui souffrent le plus lors des vagues de chaleur, car ils vivent dans de petites habitations mal isolées. La question du logement est donc une question qui conjugue pleinement urgence climatique et justice sociale, et c’est pourquoi plusieurs membres de Bizi! sont impliqués dans ce combat. Ou la monnaie locale, qui aide à relocaliser notre économie, est un outil efficace en faveur du climat et de la souveraineté.
Cinq ans après, qu’est-ce qui a changé dans le contexte global ?
Maël Thomas: Plusieurs choses. Le mois suivant Alternatiba 2018, le mouvement des Gilets Jaunes a commencé en France, et au début, il a été possible d’unir les préoccupations écologiques et les préoccupations sociales dans ce mouvement. Si vous vous souvenez en France, on évoquait «fin du monde, fin du mois, même combat». Mais ensuite, le récit simplificateur voire simpliste ou binaire l’a emporté, ce qui est un peu démobilisateur, car il offre une maigre explication du monde et peu d’espoir.
Plus tard, lorsque la pandémie a commencé, idem, les mêmes débuts pleins d’espoir, nous comprendrions peut-être enfin l’interdépendance et la nécessité de prendre soin les uns des autres. Mais là aussi, les récits individualistes ou de défiance générale vis-à- vis de toute parole perçue comme officielle ont prévalu. Nous devons imaginer et écrire d’autres récits, qui montrent que le système peut être changé, et qui mettent au centre la solidarité et la bienveillance. Le complot a aussi beaucoup été évoqué ces dernières années, et il faut rappeler quels sont les complots les plus graves au monde avec leurs conséquences : l’un est l’évasion fiscale qui vole l’argent de la métamorphose écologique, et l’autre encore plus grave, les fausses informations diffusées par l’industrie pétrolière concernant le climat afin de semer le doute et laisser les actions à plus tard. Ce sont ces complots qui méritent notre attention, ne nous trompons pas d’ennemi.
A cela s’ajoutent le changement de situation en matière d’énergie au niveau européen depuis l’année dernière, et les méga-projets de production d’électricité renouvelable qui émergent ça et là dans cette transition mal préparée. Nous devons également souligner que c’est à nous de décider de la quantité d’énergie nécessaire et comment la produire. Ce sujet ne doit pas être laissé aux grandes entreprises.
Enfin, l’année dernière en particulier, nous avons vu les effets les plus graves du changement climatique, avec plusieurs incendies et la sécheresse qui perdure à ce jour. Bien que cela reste insuffisant, la perception du problème augmente.
Compte tenu de ce changement de contexte, nous réactualisons le document « Euskal Herria Burujabe » que nous avions publié il y a cinq ans.
Que pourra-t-on découvrir les 7 et 8 octobre ?
Mathilde Etchélécou : Un tel événement a l’intérêt de remplir plusieurs objectifs : les habitant·e·s du territoire pourront rencontrer les acteurs et actrices du territoire, découvrir les leviers d’action collectifs à activer dans tous les domaines, et comprendre l’articulation entre les dimensions soutenable, solidaire et souveraine, pas seulement intellectuellement, mais par des ateliers, des jeux, par l’humour, par l’émotion dans les spectacles. La diversité des activités brassent de nombreux profils : des personnes sensibles à l’écologie, des personnes engagées sur un thème spécifique, des habitant·e·s du quartier attiré·e·s par la dimension conviviale.
Voir des rues entières remplies de stands, d’animations enchaînant témoignages et présentations, montrera le foisonnement et la vivacité des alternatives, habituellement dispersées sur le territoire : c’est une grande bouffée d’espoir. Ça dit qu’il est possible de relever le défi climatique et c’est une vraie motivation pour s’impliquer à son tour !
Pour les acteurs du territoire, ce sera un moment précieux pour aller au contact de nouveaux publics, pour trouver de nouveaux soutiens, pour faire émerger de nouvelles idées et des solutions créatives face aux défis qui nous attendent.
Euskal Herria Burujabe 2023 propose d’ores et déjà différentes façons de participer…
Maël Thomas : L’événement est pensé comme un processus participatif. Il y a eu les 7 Jauzi ou 7 sauts, où nous sommes allé·e·s à la rencontre des habitant·e·s et d’organisations dans les 7 provinces pour donner un avant-goût des 7 et 8 octobre. Il y a la préparation des 7 espaces thématiques qui rassembleront stands, ateliers, témoignages et prises de parole des acteurs du territoire : leur préparation est ouverte à toutes les bonnes volontés.
Mais surtout, la tenue de l’événement nécessite l’implication de 500 bénévoles : chacun·e est invité·e à participer en s’inscrivant sur le formulaire. Il y en a pour tous les goûts : bricolage, décoration, cuisine, photographie, accueil, etc. Nous cherchons aussi des hébergements à proximité de l’événement pour des intervenant·e·s et des bénévoles(*).
Enfin, nous avons lancé un appel à don(**), 5000 € sont à récolter pour garantir un événement à l’équilibre, qui soit accessible gratuitement et donc qui touche le plus largement possible.
(*) Bénévoles et hébergements : https://bit.ly/benevole-ehb
(**) Faire un don : https://bit.ly/don-ehb