A l’initiative de l’Espagne, une réforme du mandat d’arrêt européen protégera l’intégrité constitutionnelle des Etats. Catalans et Basques sont directement visés.
L’Europe verrouille. L’Espagne s’en sert pour couper l’herbe sous les pieds des peuples qui veulent remettre en cause le texte constitutionnel de leur État. Le 20 janvier, le parlement européen a approuvé à une très large majorité un rapport qui fait le bilan de 17 années de mise en œuvre du mandat d’arrêt européen et propose des «améliorations». L’une d’entre elles prévoit d’inclure les délits commis «contre l’intégrité constitutionnelle des Etats», correspondant aux délits de sédition et de rébellion. Ils entraîneront une extradition immédiate du prévenu, sans que les juges du pays où il s’est réfugié n’aient à statuer. Ce texte adressé à la Commission européenne, soit devra être avalisé par les chefs de gouvernement de l’Union, soit aboutira à une initiative législative.
L’Espagne n’a pas apprécié que l’ex-président catalan et député européen Carles Puigdemont puisse demeurer en Belgique parce que la justice de ce pays en a décidé ainsi. Et que précédemment, la justice allemande s’oppose elle aussi à la remise de Carles Puigdemont aux autorités espagnoles qui exigeaient son incarcération, comme pour un vulgaire malfrat. Idem pour l’ex-militante d’ETA Natividad Jauregi réfugiée en Belgique. Depuis des années et en vain, l’État espagnol s’acharne sur elle et, par dépit, la surnomme «l’intouchable». Certes le texte du parlement européen, lorsqu’il entrera dans les faits, ne sera pas rétroactif. Mais gare aux prochains leaders catalans ou basques qui voudront changer la Constitution, via la résistance civile. Les chefs d’accusation de sédition et de rébellion les guettent au coin du bois et les poursuivront dans toute l’Union européenne.
L’eurodéputé PP Javier Zarzalejos (1) qui porte ce projet, se rengorge: le but est d’abord de protéger les institutions: «Nous avons vu ce qui s’est passé récemment aux USA [avec l’envahissement du Capitole par les amis de Trump] et quelques années plus tôt, en Catalogne. Tout cela se situe hors la loi. La protection de l’intégrité constitutionnelle, ce n’est pas de la déco…».
Depuis l’époque du GAL, l’Espagne, en 1986 date de son entrée dans l’UE, n’a eu de cesse que d’investir les institutions européennes et de modifier le droit communautaire, dans le but de réduire la rébellion basque. L’indépendantisme catalan a changé la donne. Qu’à cela ne tienne! Madrid poursuit dans le même sens la construction de la prison juridique contre les peuples minoritaires qui secouent le joug en réclamant le droit à l’autodétermination. L’Europe soutient cette évolution.
(1) Aznar nomma Javier Zarzalejos pour diriger l’équipe de négociation qui rencontra ETA à Zurich en mai 1999.
La constitution d’un pays est un ensemble de dispositions qui régissent toute la vie collective et individuelle des citoyens. De ce fait, les détenteurs du pouvoir n’auront aucune peine à arguer que telle divergence de vue ou telle contestation du fonctionnement étatique est forcément une atteinte à la constitution, tombant ainsi automatiquement sous le coup des dispositions de cette réforme scélérate. Si cette réforme est adoptée, et elle le sera, il est certain que plus aucun juge ne pourra s’opposer à l’exécution immédiate d’un MAE lancé contre un citoyen contestataire pour quelque motif que ce soit. Ce dispositif répressif s’inscrit dans le cadre d’un grignotage pernicieux, constant depuis une dizaine d’années, des libertés publiques et individuelles en Europe comme dans le monde entier et contre lequel il est très difficile de réagir. Car, malheureusement, à mesure que nos sociétés vieillissent, les atteintes répétées à la liberté d’expression ne rencontrent que l’indifférence, ou pire, l’adhésion d’une très grande majorité de citoyens plus attachés à “l’ordre” et à l’uniformité de pensée qu’à la liberté d’opinion.