La gestion de la crise sanitaire en cours ne tient pas compte d’un principe économique qui en augmente de fait le coût. À la différence de la biosphère et du climat, la gifle que nous infligera la pandémie à la suite de ce déni n’attendra pas des décennies pour se manifester. Mais, comme pour la biosphère et le climat, celles et ceux qui souffriront le plus des conséquences du déni et du manque de volonté d’agir à temps sont matériellement les moins bien lotis pour y faire face.
Une externalité négative, nous disent les économistes, se produit lorsqu’un agent économique, par son activité, génère vis-à-vis d’autrui une nuisance non reconnue et dont le coût n’est pas compensé. Typiquement, c’est la situation que Bizi! dénonçait l’hiver 2013-2014, au cours de la campagne pour la pollutaxe : le fret routier génère une longue liste de dommages collatéraux (pollution de l’air et maladies respiratoires qui en découlent, GES supplémentaires qui aggravent le réchauffement du climat, pollution sonore, usure des routes, saturation du trafic…), que l’instauration d’une pollutaxe aurait pu contribuer à compenser. Et au-delà du fret routier, c’est la plupart des grandes industries qui fonctionne en générant de telles externalités, qui si elles étaient réellement compensées annuleraient largement les bénéfices de ces industries. Pourtant, on continue à faire comme si ces externalités n’existaient pas[1], tant que des écosystèmes et/ou des personnes en paient le prix, de leur santé ou de leur vie, présentes ou à venir. En d’autres termes, on cache la poussière sous le tapis.
Remonter le PIB, coûte que coûte
C’est cette même approche qu’on voit à l’œuvre dans les atermoiements et esquives de cet automne quant aux mesures visant à endiguer la propagation du SARS-CoV-2. Il s’agit de faire remonter le PIB, et on voudrait le faire comme d’habitude, sans en payer les externalités négatives. Du coup, toujours pas de prise en charge à 100% des soins COVID (qui entraîne un renoncement aux soins, un risque de contagion accru et un sous-dépistage des séquelles), toujours pas de gratuité des masques (quid de ceux qui ne peuvent s’en offrir en qualité et quantité suffisantes), toujours pas d’augmentation de l’offre de transports en commun pour permettre de ne pas s’y entasser, un allègement du protocole sanitaire des écoles françaises visant à limiter les quatorzaines (permettant de ne pas rendre trop visible l’épidémie tout en maintenant les parents au travail), une restriction des conditions de reconnaissance du COVID comme maladie professionnelle pour les soignants infectés en France, désormais la possibilité de licencier le personnel hospitalier (on s’étonnera ensuite de manquer de volontaires), et un décret (heureusement annulé suite à la bataille lancée par Olivier Berruyer) qui visait à restreindre les conditions de reconnaissance du statut de personne vulnérable.
Nier les dégâts humains
La parodie que Pierre-Emmanuel Barré faisait de la précédente ministre du travail explicite et résume le fil conducteur de toutes ces mesures (ou absences de mesures). Le temps éphémère où la priorité était la santé, « quoi qu’il en coûte« , n’a pas fait long feu. On est revenu depuis mai au « monde d’avant« , celui qui force le passage pour la production et la consommation et en nie les dégâts humains.
À la différence de la biosphère et du climat, la gifle que nous infligera la pandémie à la suite de ce déni n’attendra pas des décennies pour se manifester. Mais, comme pour la biosphère et le climat, celles et ceux qui souffriront le plus des conséquences du déni et du manque de volonté d’agir à temps sont matériellement les moins bien lotis pour y faire face.
Communautés de destin
A l’heure où s’annonce un deuxième confinement (le présent texte est écrit le 27 octobre), après la gestion publique erratique de la pandémie et la confusion informationnelle[2] entretenue par certains médias (où se font mousser les egos de ceux qui sont à l’épidémiologie ce que Claude Allègre est à la climatologie) il va être difficile d’appeler à l’unité, dans une société qui s’atomise de plus en plus.
Nous avons plus que jamais besoin de ressentir une appartenance à une communauté de destin, à échelle humaine, et par extension à échelle mondiale. L’échelle la plus locale, palpable, est peut-être la mieux à même de nous faire percevoir concrètement ce que signifie l’interdépendance, pour ensuite la comprendre par extrapolation à l’échelle globale.
[1] Duterme R., De Ruest E. (2014) La dette cachée de l’économie, le scandale planétaire. Les liens qui libèrent.
[2] Sans parler des théories autour de « l’Etat profond« , tandis que les Snowden, Manning, Assange et autres qui en ont révélé des ressorts concrets sombrent peu à peu dans l’oubli.