En exigeant l’unanimité des groupes politiques sur le projet d’autonomie en Corse, la République française tend un piège à Gilles Simeoni.
En demandant que le projet institutionnel, dans le cadre du processus d’autonomie engagé, fasse l’objet d’un accord des groupes de l’Assemblée de Corse, le chef de l’État met le patron de l’exécutif insulaire dans une position compliquée. Comment Gilles Simeoni peut-il se sortir de ce casse-tête dès lors qu’un consensus semble, en l’état, impossible ? Les indépendantistes ont, ces derniers jours, affiché la couleur. Le compte n’y est pas, ont clamé en écho Core in Fronte et Corsica Libera. Ensuite, parce que se dresse face au président de l’exécutif le spectre d’un bis repetita du scénario qui s’est joué le 5 juillet dernier, lorsque le camp abertzale réconcilié a voté le rapport Autunumia sans les seize conseillers de droite, forts de leur propre motion. Emmanuel Macron met la droite française en position de force, soit pour obtenir un texte final vidé d’une bonne part de son contenu, soit pour bloquer le résultat de la négociation et au final de l’évolution statutaire de l’île.
Paul Quastana, vieux briscard de la lutte de libération nationale et élu à l’assemblée pour Core in Fronte, ne s’y trompe pas : « Nous avons 73 % des voix sur une délibération adossée aux 70 % des nationalistes, et on nous demande l’unanimité. Jean-Martin Mondoloni [co-président du groupe de droite Un Soffiu novu] reste sur ses positions, nous restons sur les nôtres », continue-t-il, « nous avons pris le temps de travailler un texte, mais s’il faut recommencer et arriver à l’unanimité, ce n’est pas possible ».
Soit s’aliéner la droite, soit s’aliéner les indépendantistes
Un piège pervers qui rappelle la décision de Gaston Defferre confiant en 1982 le dossier de la création du département Pays Basque à Franz Duboscq, président RPR du conseil général et principal adversaire du projet. Celui-ci l’enterra immédiatement et fit même voter par l’assemblée départementale une motion contre la création du conseil de développement culturel et économique pour le Pays Basque qui constituait les prémices d’un nouveau département. Emmanuel Macron ne manque pas d’air. Il a le culot de demander que tous les groupes politiques de l’assemblée de Corse soient d’accord sur le contenu de l’autonomie demandée. L’unanimité est nécessaire entre les élus de l’île, alors que lui-même est en minorité au parlement et dirige l’État français à coup d’article 49-3, en soumettant au chantage la majorité des députés.
Gilles Simeoni a deux options : soit son texte se rapproche de la délibération du 5 juillet et il s’aliène la droite, soit il fait un pas vers cette dernière et il s’aliène les indépendantistes. Si Gilles Simeoni n’embarque pas la droite avec lui, alors même que le projet institutionnel appelle l’assentiment de celle-ci au niveau local et national, il y a peu de chances d’aboutir. Le chef de l’État n’en fait pas mystère.