Face au défi démographique

© César Tavernier
© César Tavernier

La chute constante de la natalité met en péril l’avenir économique des quatre provinces. Le gouvernement autonome basque prend une série de mesures sociales et fiscales pour tenter de freiner cette évolution dramatique pour l’avenir de notre peuple.

Les chiffres inquiètent, la chute des naissances est de 64,1 % en 45 ans, un “baby krach” qui dure. En 2017, sur les 28 pays de L’Union européenne, la Communauté autonome basque est avant dernière quant au taux de natalité : 7,8 naissances pour 1.000 habitants, seule l’Italie est derrière nous, avec 7,6 naissances. En 1975, nous en étions à 19 naissances toujours pour 1.000 hab et en 2007 à 9,9, un chiffre qui correspondait à la moyenne européenne aujourd’hui. L’Irlande et la France se situaient il y a deux ans dans le peloton de tête, avec respectivement 11,2 et 10,9 naissances pour 1.000 habitants. Le taux de natalité par femme basque est de 1,28 enfants, alors que la moyenne idéale que désirent les couples eux-mêmes est de 2,2. Elle correspond au chiffre qui permettrait selon les démographes un taux de remplacement normal.

Hegoalde comptait 2.834.490 habitants en juin 2021, en un an, il a perdu 12.087 hab. Depuis 20 ans, la Communauté autonome basque a perdu 92.000 personnes en âge de travailler, le chiffre atteindra 220.000 d’ici 2050, selon les prévisions. L’an dernier, 14.247 enfants sont nés, 492 de moins qu’en 2020 (-3,3%). En 2008, nous en étions à 21.000 naissances par an. Depuis 2016, la chute annuelle se situe entre 4,5% et 6,4% chaque année. 39% des naissances correspondent à un deuxième enfant et seulement 13% à un troisième. Au dernier trimestre 2020, 29,7% des femmes qui ont accouché étaient d’origine étrangère : leur nombre a augmenté de dix points en six ans. Celles-ci sont en moyenne âgées de 31,4 ans, alors que les femmes basques dans la même situation ont 34,5 ans. L’âge auquel les femmes procréent pour la première fois est tardif, 32,6 ans en moyenne (29,2 en Europe) ; alors qu’elles souhaiteraient avoir des enfants plus tôt, vers 25 ans. Les jeunes adultes ne souhaitant pas avoir d’enfant représentaient 4% de la population il y a six ans, ils sont passés à 15% aujourd’hui. En l’espace de deux décennies, le nombre des habitants en âge de travailler a baissé de 92.000 individus. L’arrivée de populations étrangères en Pays Basque (11%) n’a guère enrayé le phénomène de chute démographique. Les écoles basques ont vu depuis dix ans leurs effectifs fondre de 30% ; ces cinq dernières années, 257 classes de maternelle ont été fermées. On redoute que durant la prochaine décennie le nombre d’enfants inscrits en maternelle chute de 20%.

Poids des personnes âgées

Les conséquences de cette situation sont évidemment dramatiques. En 2050, la moitié de la population de Bizkaia, Araba et Gipuzkoa sera constituée de personnes âgées ou dépendantes, avec ce qui va avec, un arsenal d’aides et de soutiens coûteux pour les prendre en charge. Leur durée de vie s’allonge, alors qu’augmente la “pauvreté infantile” et le prix des logements. Le montant des retraites est l’un des plus élevés de l’État espagnol. Il manquera environ 400.000 salariés actifs permettant de faire face à ces frais de retraites et de soins. La population en âge de travailler diminue, les chefs d’entreprises basques se plaignent déjà du manque de main d’oeuvre pour de nombreux postes de travail. Demain, elle manquera encore davantage pour concrètement faire fonctionner la société. Quant aux conséquences linguistiques et culturelles, elles sont difficiles à chiffrer, mais sont dans tous les esprits.

Les raisons profondes de cette situation qui ne date pas d’hier, sont difficiles à définir précisément. On sait que le phénomène frappe toutes les sociétés développées qui s’urbanisent, voient l’émergence d’une classe moyenne et leur société traditionnelle marquée par les religions disparaître peu à peu. D’autres évoquent la succession de crises que nous connaissons : économiques, en particulier la crise financière de 2008, Covid, guerre, crise climatique qui perturbent ou remettent en cause la foi en l’avenir et inquiètent les populations.

L’âge auquel les jeunes gens en âge de procréer et quittant le giron familial pour s’émanciper et faire famille, est de plus en plus tardif. Il est en moyenne de 30,2 ans en Pays Basque. Selon une enquête d’opinion, il devrait se situer à 25 ans. Toujours d’après un sondage, voici les raisons avancées par les parents qui ont un nombre réduit d’enfants : 26% pour des raisons économiques, 17% pour des questions physiologiques ou de santé, enfin 14% du fait des difficultés à concilier vie professionnelle et vie familiale. 52% des personnes interrogées auraient aimé avoir plus d’enfants qu’elles n’en ont eus. Entre 18 et 29 ans, ce pourcentage grimpe à 81%, 54% espèrent procréer dans le futur.

Le gouvernement autonome connaît ces données suivies par Eustat (Euskal Estatistika Erakundea, Institut basque de statistique) et le Cabinet de recherche sociologique du Pays Basque. Les mesures mises en oeuvre lors de la précédente législature (Plan d’aide en matière de politique familiale) n’ont pas eu l’effet escompté, la tendance ne s’est pas modifiée. Répondre au défi démographique figure désormais parmi les dix objectifs prioritaires des autorités de Gasteiz. Le 9 mai, l’Académie Jakiunde organisait une journée consacrée au “défi démographique et aux nouveaux modèles familiaux”, sous l’égide de Jonan Fernandez. Il est secrétaire général d’un organisme dépendant du gouvernement autonome, Transition sociale et Agenda 2030, chargé de proposer des solutions en matière de développement durable et de défi démographique.

Le 18 mai, à partir d’une proposition d’EH Bildu, le parlement autonome planche sur cette dernière question. Le Lehendakari Iñigo Urkullu annonce la mise en place d’une prestation de 200 euros par mois qui sera versée à partir de 2023 aux familles, pour chaque enfant de moins de trois ans. Soit 2400 euros par an. Seules les familles ayant moins de 100.000 euros de revenus annuels en bénéficieront et la prestation sera cumulable avec d’autres aides sociales ou des déductions fiscales. Cette aide est en conformité avec les critères définis par l’UNICEF (Nations-Unies) qui demandent aux administrations publiques de concentrer leurs efforts sur les premiers 1000 jours de la vie de l’enfant. Depuis 2021, le congé des parents pour la naissance d’un enfant est de 16 semaines.

Ecosystème de conditions favorables

Lutter ainsi contre la chute démographique s’accompagne d’autres mesures. Il s’agit de construire “un écosystème de conditions favorables” pour faire évoluer la courbe démographique dans le bon sens. En faveur des jeunes, sont prévus des “programmes de prêts bonifiés ou sans intérêts” pour aider des projets liés à l’entreprenariat, à la formation et au logement. Le programme Gaztelagun augmentera l’allocation logement dévolue aux jeunes, à hauteur de 275 euros mensuels. La députation de Bizkaia a décidé le 18 mai d’exonérer les familles nombreuses —15.000 dans la province— de 90 % de l’impôt sur les biens immobiliers. La mesure sera appliquée rétroactivement à partir du 1er janvier de cette année. Cette exonération avait été supprimée en 2016, alors que les députations de Gipuzkoa et Araba l’avaient maintenue. Comment créer un contexte plus favorable à la natalité ? Faciliter l’accès des jeunes à un premier emploi, le sécuriser, revitaliser les zones rurales, augmenter la justice intergénérationnelle, travailler à l’égalité des sexes dans la vie quotidienne, font partie des mesures envisagées. Mais aucune n’est suffisante en soi. L’expérience a prouvé qu’elles doivent être mises en oeuvre de façon intelligente, afin d’éviter parfois des effets contre-productifs.

Une autre mesure est possible en matière démographique : favoriser l’accueil et l’intégration de populations étrangères. Venues d’Amérique du Sud ou d’Afrique, leur présence se remarque depuis quelques années. Deux mille Ukrainiens ont été accueillis récemment, le gouvernement basque envisage d’en recevoir un millier de plus. Mais resteront-ils sur place ? Les quatre provinces d’Hegoalde ont l’habitude de recevoir en été et à la Noël des dizaines, parfois des centaines d’enfants venus de Tchernobyl. Des liens déjà anciens ont été tissés grâce à Txernobil elkartea.

Quant à imaginer un retour possible de nos milliers d’exilés, inutile de rêver. On estime entre 12 et 14 millions le nombre de descendants de Basques dispersés à travers le monde, les trois quarts sont installés en Amérique(1). La perte démographique, économique, linguistique et culturelle est colossale, irréparable. Il s’agit d’un des grands drames de notre peuple, il n’est guère souligné et il est même masqué sous le goût bien connu des Basques pour les voyages, leur atavisme à l’égard de l’inconnu, la confiance qu’ils suscitent à l’étranger, etc. Cette hémorragie en réalité est liée aux différentes guerres depuis le XIXe siècle, à nos difficultés économiques et à l’absence d’institutions propres susceptibles d’endiguer le phénomène ou d’organiser le maintien des populations sur place. Aujourd’hui, proposer une version basque de l’alya (le retour des Juifs en Israël) n’est même pas pensable.

Le point de vue d’EH Bildu

EH Bildu estime que les prestations envisagées par le gouvernement de Gasteiz demeurent insuffisantes. Pour la formation politique, il convient de changer en profondeur le logiciel des politiques publiques, avec une prestation universelle de 150 euros par enfant jusqu’à 18 ans. A cela devrait s’ajouter un projet pilote de revenu pour jeunes de 18 à 23 ans, la gratuité des transports et des soins médicaux jusqu’à 12 ans, la limitation du montant des loyers et enfin la réduction de la durée du travail à 32 heures ou quatre jours par semaine. Pour la parlementaire EH Bildu Nerea Kortajarena, il manque en Pays Basque une institution garantissant les droits sociaux pour tous, un peu comme Osakidetza en manière de santé. La proposition semble s’inspirer de la “société du care”, une idée lancée en 2010 en France par Martine Aubry. Elle doit aussi intégrer les questions de la grande pauvreté, de l’insécurité, de la précarité, de l’instabilité professionnelle et du travail domestique qu’assument d’abord les femmes.

Iñigo Urkullu répond que le cumul de toutes les prestations directes, en tenant compte des déductions fiscales, pour une famille de deux enfants de moins de trois ans, peut s’élever à 6900 euros par an. Sans compter les allocations logement, la gratuité des garderies et les aides pour concilier vie familiale et vie professionnelle. Mais il demeure prudent et reconnaît que pour modifier une courbe démographique, “il n’y a pas de mesure produisant des résultats miraculeux”.

Ce débat prend un singulier relief en Pays Basque où la question nationale se pose avec l’acuité que l’on sait. La garantie de survie de notre peuple, de sa langue, de sa culture, de son identité n’est toujours pas assurée. La situation de domination perdure malgré nos efforts. En la matière, l’enjeu démographique est essentiel. En Irlande du Nord, l’augmentation du nombre des Irlandais catholiques bientôt majoritaires change la donne électorale, face aux Anglais protestants. Il en est de même en Israël avec l’augmentation croissante des Palestiniens. Seuls les intégristes religieux hébraïques favorisent la natalité, mais leur nombre demeure insuffisant.

(1) Pour Iparralde de 1832 à 1914, le nombre des départs est évalué à 150.000 personnes, alors qu’en 1900 les trois provinces comptent à peine 185.000 habitants. Le phénomène se poursuivra jusqu’à la fin des années 60 au XXe siècle : environ 2000 jeunes quittent chaque année Iparralde, après la deuxième guerre mondiale.

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Une réflexion sur « Face au défi démographique »

  1. Cette analyse omet ceci dit un élément d’une ampleur colossale : nous ne sommes plus dans un monde en croissance. Renchérissement et pénuries de ressources vont désormais de pair avec les effets de plus en plus durs du changement climatique. Si on envisage qu’une population active plus importante soit mieux à même de prendre en charge le soin aux anciens, c’est en supposant que le coût de la vie ne va pas entre temps changer notablement. Or le coût de la vie sera en 2050 nettement plus élevé et imprévisible qu’aujourd’hui, les chocs énergétiques et alimentaires ne font que commencer. Sans politique du logement très volontariste et sans redistribution tout aussi volontariste des richesses, le couple en CDD précaire n’arrivant pas à se loger correctement à 35 ans ne va probablement pas se lancer à faire 3 gosses.

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