Txomin Heguy, Hasparren, 30 juin 2020
En mai 2019, lors de sa visite préparatoire au fameux G7 bunker de Biarritz, le président Macron, par l’une de ses envolées lyriques dont il a le secret,+ déclarait: “Le Pays basque est pour moi un exemple de résolution de conflit et de sortie des armes… Le devoir de l’Etat est d’accompagner le mouvement. Nous ne devons pas faire bégayer l’Histoire, il faut l’accompagner.”
Il paraît que, vu de Paris, on appelle cela de l’Information. Non seulement, les personnes qui se sont rassemblées à Saint Jean de Luz samedi 27 juin au matin et j’en faisais partie, étaient des sympathisants, voire militants d’une époque glorieuse dite terroriste, mais en plus de fieffés irresponsables, en pleine période de déconfinement sanitaire, ne respectant même pas la distanciation physique de base préconisée par les grands gestionnaires de la situation pandémique actuelle puisqu’elles se sont installées au centre ville de Saint Jean de Luz en se tenant la main…
Vous êtes journaliste sur Twitter monsieur Decamp ? Vous vous êtes renseigné sur les organisateurs et les critères d’organisation du rassemblement de samedi dernier ? Que je sache, ce n’est pas l’ex-ETA qui a organisé la dite manifestation mais le mouvement de la société civile Bake Bidea, (Le Chemin de la Paix)* en association avec les Artisans de la Paix*. Bake Bidea que vous avez tout de même daigné citer, monsieur Decamp, en toute fin de reportage, de manière tout à fait incompréhensible, puisque tout le lancement de votre information faisait croire à l’auditeur français ne connaissant rien à la situation basque qu’il s’agissait d’une réunion de nostalgiques de l’ETA. De plus, je dois vous préciser monsieur Decamp, que les consignes quant à l’organisation de cette chaîne humaine étaient on ne peut plus claire dans le contexte sanitaire actuel, je cite : “ 10:30 – 11:10 La chaîne humaine sera organisée dans le respect des normes sanitaires, donc 1m d’écart entre les participants, nous ne nous donnerons pas la main, et nous recommandons le port du masque.11:30 Après être resté un temps sur le pont, nous irons par groupe et toujours en gardant 1 m d’écart entre nous vers la place Louis XIV où se tiendra la prise de parole. Pendant la prise de parole, nous occuperons l’ensemble de la place Louis XIV toujours en gardant 1 m d’écart entre nous.” De fait, je le répète j’y étais, nous ne sommes jamais tenus la main. Les 4 personnes qui ont lu le communiqué en langue basque et française en fin de rassemblement depuis le kiosque circulaire de la place Louis XIV étaient disposées aux quatre points cardinaux du dit kiosque, à plus d’un mètre de distance. Les différents reportages filmés attestent de cela, mais je crois que vous ne les avez pas visionnés ou si oui, vous avez menti.
Quoiqu’il en soit, les milliers de citoyen-ne-s dont les six cents présent-e-s samedi à Saint Jean de Luz qui depuis plus de dix ans se sont engagé-e-s dans le processus de paix en Pays basque apprécieront d’être associé-e-s à des militant-e-s ou sympathisant-e-s de l’ex-ETA. Qu’ils-elles soient syndicalistes, responsables associatifs, ou la quasi totalité des élu-e-s du Pays basque de France, avec en tête, Jean-René Etxegaray, l’actuel président de la Communauté d’agglomération du Pays basque. Et puis les Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU (paix à son âme), Gerry Adams, Pierre Joxe (ancien ministre de l’intérieur français, je ne vous l’apprends pas sans doute…), Bertie Ahern, Jonathan Powell et autres… qui depuis le 17 octobre 2011 et la fameuse conférence d’Aiete à Donostia-Saint Sébastien dont vous semblez ignorer la moindre existence, se sont personnellement investis dans cette démarche de résolution du conflit armé en Pays basque. Je n’ose croire que vous ne sachiez point qu’il existe depuis longtemps un problème politique en Pays basque concernant deux Etats: l’ Etat français et l’Etat espagnol et ce, dans l’ordre qu’on veut. Si tel est le cas, je vous conseille vivement de prendre connaissance du documentaire de Thomas Lacoste “Pays basque et Liberté” qui a été diffusé très récemment en pleine période de confinement sur France3 Nouvelle Aquitaine (évidemment pas sur France3 national, cela aurait fait désordre). Certes ce film, présenté en janvier dernier au Fipadoc de Biarritz, a entraîné une vive polémique jusque dans des milieux intellectuels espagnols qui l’ont qualifié de propagande pro-ETA. Une raison de plus pour qu’en tant qu’éminent journaliste, vous le regardiez et que vous vous en fassiez votre propre opinion. Il est vrai aussi que la grande Espagne est un modèle de démocratie, elle qui confine en prison, sous le silence éloquent de l’Europe entière, des élus-e-s catalans démocratiquement choisi-e-s, elle qui, il y a quelques jours (cela n’a pas fait la une de France Inter…) refuse, vingt cinq ans après, d’ouvrir une enquête publique sur le terrorisme d’Etat que fut le GAL (Groupes Antiterroristes de Libération) et dont les mercenaires n’ont pas moisi trente ans en prison.
Mais, je m’égare. Revenons à l’objet premier de ma colère. A savoir cette désinformation obscène dont vous avez été l’auteur samedi 27 juin, à 19h au journal de France Inter. Car enfin, le fond du problème, on l’oublie vite, c’est que des prisonniers politiques basques croupissent depuis plus de trente ans dans des geôles françaises. Des personnes qui, quelques soient les actes pour lesquels elles ont été jugées, ont droit, depuis douze ans pour certain-e-s, à la liberté conditionnelle. Liberté conditionnelle qui depuis peu, leur est même accordée par les juges d’application des peines mais à chaque fois retoquée par le Parquet, le représentant de l’Etat. Or, récemment, en marge de l’affaire Fillon, Madame la Garde des Sceaux n’a-t-elle pas déclaré sur France 2: « Dans notre système français, c’est un système hiérarchisé pour les procureurs. Pourquoi? Tout simplement parce que le gouvernement détermine la politique de la nation donc la politique pénale. C’est moi qui détermine la politique pénale sous l’autorité du Premier ministre, nous sommes responsables politiquement devant le parlement, et donc je peux donner des instructions générales aux procureurs généraux qui ensuite les répercutent. » Il semblerait qu’il n’y ait pas d’instructions générales aux procureurs généraux en ce qui concerne la nouvelle situation en Pays basque depuis l’auto-dissolution de l’ETA en 2018 et non sa dissolution comme vous pourriez le laisser entendre dans la présentation abjecte de votre journal de 19h samedi 27 juin dernier. Cette attitude est-elle guidée par la volonté de pacification du Pays basque? Par le souci d’accompagner la résolution exemplaire du conflit en Pays basque affirmée par Monsieur Macron? J’en profite pour m’adresser à vous Monsieur le président lyrique, car je ne peux compter sur France Inter pour expliquer au citoyen français ce qu’est notamment, dans un processus de résolution de conflit violent, le concept de justice transitionnelle expérimenté par exemple en Afrique du sud, ou en Colombie (appuyé à l’époque par votre prédécesseur Monsieur Hollande). Car vous, monsieur le Président, vous savez ce qu’est la justice transitionnelle. Cela pourrait permettre de libérer les prisonniers et prisonnières basques, d’accompagner comme vous l’affirmez si lyriquement, la résolution du conflit chez nous. Ou alors dites-nous une fois pour toute que vous avez décidé, en plein accord et soumission au gouvernement espagnol, de laisser les prisonniers et prisonnières basques confiné-e-s jusqu’à la mort ou comme dans le cas de Mikel Barrios qui vient hier lundi 29 juin 2020 de rejoindre la prison de Mont de Marsan pour cinq ans, d’en repasser une couche au nom de la réinsertion et du vivre ensemble. Et je ne vous parle pas d’Urrutikotxea (l’une des chevilles ouvrières de la décision d’auto-dissolution d’ETA), Lorentxa Beyrie et bien d’autres…
Je suis atterré et révolté par tant d’irresponsabilité journalistique et politique. On voudrait inciter le Pays basque à retourner au monde d’avant qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Où sont les grands intellectuels français qui s’émeuvent à juste titre de la situation des incarcéré-e-s en Turquie ou de part le monde et dont on n’entend que le silence assourdissant sur la situation scandaleuse des prisonnier-e-s basques ou sur les pantalonnades d’un Balkany, foulant aux pieds dès sa sortie de prison pour soi-disant raison de santé et ce, d’une manière indigne, la justice française? Dans le grand pays universel des Droits de l’Homme, où sont les porte-voix d’une prise de position forte et juste sur la situation bloquée que nous subissons de la part des Etats français et espagnol en Pays basque? Je crains que cette parole ne soit définitivement confinée.
Monsieur Decamp, c’est embêtant, depuis 2011, il n’y a plus d’attentats d’ETA à se mettre sous la dent pour faire les unes de France Inter, des chaînes d’info en continu ou des grands quotidiens français. Le Covid 19, ce n’est pas mal mais en attendant une hypothétique deuxième vague, cela s’épuise. Et puis amalgamer la question basque à du populisme ou du communautarisme, cela n’est pas assez porteur. Enfin, ne croyez pas que cette fameuse question basque s’est dissoute avec l’auto-dissolution d’ETA. Soyez assuré que le Pays basque continuera à construire son émancipation. Mais de grâce, ne jetez pas de l’huile sur le feu, n’attisez pas les braises qui couvent sous la cendre, en tout cas pas celles qui détruisent et que nous avons mis tant de mal à éteindre.
*Voir les sites respectifs de Bake Bidea et des Artisans de la Paix.