Les députés de l’Etat espagnol ont débattu la 19 septembre d’un changement du règlement qui a fait du bruit : le droit pour les députés d’utiliser dans l’hémicycle une des quatre langues officielles du pays, comme cela se pratique dans plusieurs Etats, la Belgique, le Canada, la Suisse… A cela s’ajoute la publication des textes de loi en quatre langues, ils auront même force juridique. L’avancée va bien au-delà du symbolique.
Parmi les porte-paroles qui se sont succédé à la tribune, l’intervention du catalan Gabriel Rufián (ERC) était très attendue.
Récemment encore, il s’était fait sanctionner par la présidente pour avoir voulu s’exprimer dans sa langue, devant ses collègues. « Aujourd’hui, on ne bafoue les droits de quiconque, parce que ce sont les droits de tous qui sont reconnus», a déclaré celui qui se présente comme un « fils d’Andalou » immigré en Catalogne. C’est une erreur que de présenter le droit d’utiliser le catalan au parlement espagnol comme une « victoire historique», parce que l’Espagne n’a rien « perdu », a-t-il poursuivi. « Le castillan, j’en suis le parfait exemple, n’est ni persécuté ni menacé en Catalogne. Le catalan n’est pas le patrimoine exclusif des indépendantistes, le catalan appartient à tous les habitant(e)s de ce pays qui ont des opinions diverses et variées». Ceux qui s’opposent à l’usage du galicien, du catalan ou du basque dans cette enceinte, sont aveuglés par « un patriotisme aussi fragile que toxique », a ajouté Gabriel Rufián. Ce qui gêne tous les opposants à la réforme que nous allons voter « ne sont pas gênés par nos langues, mais par ce qu’elles représentent ».
« L’usage du catalan ne menace en rien la langue espagnole », a-t-il poursuivi. Alors qu’une autre menace pèse sur cette dernière. « Connaissez-vous ces mots : checking, coaching, mobbing, selfie, meme, follower, streaming, meeting, hardcore, low-cost, outfit, start-up, gap, tracking, breaking, outsourcing, partner, running, break, afterwork, target, frame, vending, softpower, brainstorming, briefing… Ces mots vous parlent ? Vous les utilisez ? Et ensuite, vous venez nous expliquer que c’est le catalan, le galicien, l’aranais ou l’euskara qui mettent en péril la langue espagnole? »
Autre argument des adversaires de l’usage des langues co-officielles au parlement, le coût de la mesure qui est de l’ordre d’environ 350.000 euros. Gabriel Rufián a rétorqué en rappelant le prix du drapeau de Christophe Colomb installé à Madrid (400.000 euros) ou le coût du nouveau voilier du roi (deux millions d’euros).
« Ce vote est un succès pour mon parti, Esquerra republicana catalana, pour sa lutte et pour mon pays. Mais ce n’est en rien une victoire, je nie cela en tant que citoyen indépendantiste catalan parce ma culture et ma langue n’ont nul besoin de perdants. Ici, il n’y a aucun perdant, il y a juste beaucoup d’ignorants », a-t-il conclu en citant quelques vers du chanteur et poète Raímon : « Je viens d’un silence ancien et très long. Je viens d’un silence que mon peuple va rompre parce qu’il se soulève depuis le fond des âges. Il veut être libre. Je viens d’une lutte sourde et constante » (1).
(1).« Jo vinc d’un silenci », https://www.youtube.com/watch?v=4skMnle8R1c