J’avais consacré ma dernière chronique à la genèse du conflit qui a ravagé Gaza cet été. Fort heureusement, les armes se sont aujourd’hui tues et le cessez-le-feu signé le 26 août reste en vigueur. Mais pourquoi at-il fallu 50 jours de combats, pourquoi plus de 2100 Gazaouis ont-ils dû périr sous les bombes avant que cet accord ne soit signé ? Fallait- il que la situation sur le terrain s’y prête ou que les puissances régionales qui s’affrontent par procuration en Palestine parviennent à un semblant de compromis ?
Dès le dixième jour du conflit, l’Egypte avait proposé un accord de cessez-le-feu. Cette proposition, établie en concertation avec l’Arabie Saoudite, s’inscrivait dans la volonté des deux pays d’obtenir la démilitarisation du Hamas qu’ils abhorrent du fait de ses liens avec les Frères Musulmans.
Acceptée bien entendue par Israël, mais aussi par l’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas qui ne porte pas non plus le mouvement islamiste dans son coeur malgré la constitution récente d’un gouvernement d’unité nationale, cette proposition fut, sans surprise, immédiatement rejetée par le Hamas et le Jihad Islamique.
Dans les jours qui suivirent, les Palestiniens proposèrent plusieurs amendements portant notamment sur la levée du blocus et soutenus par le Qatar et la Turquie, les principaux soutiens des Frères Musulmans. Ces deux pays entendaient tirer un profit politique de la guerre à Gaza, rejoints en cela par la branche politique du Hamas dont l’un des dirigeants, Ismael Haniyeh, souhaitait “un suivi politique du travail de la Résistance, pour ramasser les fruits de ses efforts sur le champ de bataille”.
Leur objectif était clair : maintenir le Hamas au pouvoir à Gaza, rompre son isolement et redonner ainsi un second souffle à la mouvance des Frères Musulmans qui peine à se remettre du renversement en 2013 de Mohamed Morsi par le général Sissi à la tête de l’Egypte.
Pour Israël, ca ne serait pas forcément une mauvaise affaire puisque le Hamas prendrait fort probablement le dessus sur les autres factions armées de Gaza (le Jihad Islamique en particulier), et serait sous la dépendance directe du Qatar qui est fort peu susceptible de vouloir se lancer dans une confrontation directe avec Israël.
Beaucoup des amendements à la proposition de cessez-le-feu initiale s’inscrivent dans cette stratégie comme par exemple la construction d’une voie navigable avec l’aide de la Turquie, la possibilité d’effectuer des virements bancaires vers la bande de Gaza, ou la réouverture des points de passage.
L’Egypte s’est évidemment montrée très réticente à ces propositions et s’est en particulier opposée à ce que l’ouverture du point de passage de Rafah entre Gaza et l’Egypte figure dans l’accord final. De même, l’insistance de l’Egypte à vouloir négocier avec une représentation palestinienne unifiée (et pas uniquement avec les représentants des combattants) s’explique bien prosaïquement par sa crainte de voir la “Résistance” tirer seule les bénéfices politiques du cessez-le-feu ; en imposant que les points de passage soient contrôlés par l’Autorité Palestinienne, l’Egypte et Israël ont par ailleurs replacé Mahmoud Abbas au centre du jeu alors qu’il avait été complètement marginalisé durant le conflit.
Ce n’est qu’au terme de ces luttes d’influence qu’un accord de cessez-le-feu a pu être trouvé.
La joie a aussitôt éclaté à Gaza et le Hamas s’est empressé de revendiquer une “victoire” sur Israël. Pourtant, l’accord de cessez-le-feu est quasi-identique à celui de novembre 2012 qui avait mis un terme au précédent conflit ; il est même moins bon puisque l’accord de 2012 prévoyait l’ouverture du terminal de Rafah sans contrôle de l’Autorité Palestinienne.
Et il y a bien peu de chances que les négociations complémentaires qui doivent se tenir prochainement donnent lieu à d’importantes avancées. En d’autres termes, il est très peu probable que ce cessez-le-feu soit pérenne.
Ne reste-t-il donc à Gaza pour seule perspective que de rester une prison à ciel ouvert vivant dans la crainte d’une autre opération militaire israélienne ? C’est probable si la Palestine reste paralysée par la rivalité Hamas-Fatah. Mais les deux partis sont en proie à de sérieuses remises en cause internes qui pourraient déboucher sur une refondation du paysage politique palestinien. Le Fatah est complètement décrédibilisé par l’échec de sa stratégie de négociation avec Israël ; selon un sondage récent, si une élection présidentielle avait lieu aujourd’hui, Abbas s’inclinerait devant Haniyeh sur un score sans appel (31% contre 61%) et 72% des Palestiniens sont favorables à l’extension à la Cisjordanie de la stratégie armée du Hamas. Certains dirigeants du Fatah, comme Marwan Barghouti, estiment que leur parti est au bord de l’effondrement et l’exhortent à renouer avec une attitude offensive à l’égard d’Israël.
Au sein du Hamas on observe une césure profonde entre une direction politique exilée au Qatar et qui a pris ses distances avec l’axe Iran-Syrie-Hezbollah, et les combattants de la branche armée qui sont restés très proches de cet axe dit de la “Résistance”. De plus, le Jihad Islamique, qui s’est imposé comme un acteur incontournable lors du conflit, est lui aussi très proche de l’Iran. Il faut beaucoup d’imagination pour entrevoir une troisième voie impulsée par les contestataires du Fatah, la branche armée du Hamas et le Djihad Islamique, et encore plus pour savoir où elle pourrait mener. Mais la domination délétère du Hamas et du Fatah sur la Palestine semble être à bout de course et il n’y aura pas grand monde pour la regretter.