Dimanche 10 juillet 2016. Je regarde les 5 dernières minutes de la finale de la coupe d’Europe de football opposant la France au Portugal. Je n’aime pas regarder le foot. Et le nationalisme qui va avec. Mais je ne voulais pas me coucher sans savoir. Du coup, Médiamétrie m’englobe dans les 20,8 millions de téléspectateurs/ trices, soit 73 % de parts d’audience. Bien fait pour moi ! Rappel pour les 27 % d’ignares, le Portugal gagne par 1 à 0. Et je suis content pour le Portugal, qui n’avait jamais gagné de finale, et pour les portugais d’origine, que j’ai côtoyés à Bayonne durant ma jeunesse. Emporté par, sûrement, mon manque d’empathie à l’endroit de tous ceux qui, en Pays Basque Nord aussi, adhèrent à un sentiment d’appartenance fort à cette France une et indivisible, j’envoie spontanément des SMS à une vingtaine de proches. Deux mots : “Gora Portugal !”. Les réponses reçues en retour légitiment ma brève joie d’un soir. Toutes ? Non. Car un irréductible bayonnais originaire de Garazi —que je ne connais finalement pas bien— résiste encore et toujours à mon sarcasme sportif d’un soir. Il est de gauche et pas abertzale. Et apparemment déçu que l’équipe de France ait perdu. On l’appellera Alex pour respecter son anonymat.
Va vivre en Minoritie !
“J’aime bien quand la pellicule du rassembleur se fendille pour laisser apparaître le caricatural abertzale”. Hola, j’ai fait mouche là ! Je lui réponds : “L’abertzale n’est pas nationaliste, il défend le petit qui n’était pas favori !”. Et lui du tac au tac : “A vrai dire, j’étais gustian chez moi, à regretter sans excès que cette équipe de France, que j’aimais bien, ait paumé. Et voilà que tombe ton commentaire que tu trouves sans doute rigolo, mais qui m’a foutu en colère. Va vivre en Minoritie, ou en Victimie, ou en Humblie. Un jour, je te parlerai de gauchisme”. Passée la surprise face à la véhémence du propos, l’idée d’un échange germe. Une quinzaine de jours plus tard, je lui montre ma chronique estivale (Enbata d’août) et lui propose une interview/discussion avec comme point de départ “Gora Portugal !”. En voilà les grandes lignes, en deux chroniques.
Du sentiment d’appartenance
Alex : Si j’ai réagi comme ça, c’est que sans en être supporter, cette équipe de France, je la trouvais sympathique. J’ai joué au foot mais j’ai conscience de la réalité du sport médiatisé, cet immense et lucratif support publicitaire.
Moi : Et son côté nationaliste ?
– Oui, mais j’avais quand même l’impression que le parcours de cette équipe provoquait quelque chose de positif. J’étais déçu qu’elle perde mais sans excès d’émotion. Et quand j’ai reçu ton texto, cela m’a mis en colère. Il symbolisait le fait de… se réjouir du malheur des autres ! J’ai trouvé ça négatif. J’ai lu dans un bouquin que c’est un acte médiocre que de tirer orgueil de ce que l’on n’aime pas. Et c’est ce qui m’agace chez un certain nombre d’abertzale : ceux-là ont une identité par opposition, en négatif, construite à partir d’un ennemi.
– Si l’on considère que les basques peuvent se définir comme une nation, n’est-ce pas légitime, à l’instar des Corses ou des kanaks, de se revendiquer peuple à part entière en lutte contre un état qui le colonise ?
– En ce moment, on a plus besoin de ce qui rassemble que de ce qui divise. L’autre jour, j’ai discuté avec une copine Bayonnaise qui me disait : “Mais qu’est ce qu’il font avec des drapeaux français ?”. Ça l’énervait. Mais quand il y a des ikurriña partout, là c’est génial, c’est positif ! Et le drapeau français, c’est méchant ! En vérité, je n’aime pas les drapeaux, mais pour une fois que le drapeau français est utilisé par d’autres que le FN ou l’armée, je trouvais ça sympa. C’était un symbole d’un rassemblement positif. Ma fille aînée, à Marseille, a vu des familles se promener : mère avec le hidjab et gamin avec le drapeau français. Cette équipe de France me semblait provoquer, chez des gens qui peuvent se sentir exclus par les représentations des élites nationales, un sentiment d’appartenance à ce pays.(…)
Je suis basque moi, tu es basque toi…
Moi : Ce qui me gonfle, c’est de voir des gens issus de milieux populaires se saigner pour aller acclamer des jeunes riches qui tapent dans un ballon ; de constater que le seul air chanté par des supporters français au foot comme au rugby, est la Marseillaise. Cela me renvoie à ce nationalisme d’État conquérant, qui n’est pas du tout le même que celui d’un mouvement abertzale qui revendique le droit d’exister, d’être à égalité avec d’autres nations… Moi je suis citoyen français par hasard. J’ai fait le choix de devenir basque : un basque de la première génération. Du coup, comme cela m’emmerdait que la France gagne, j’étais content pour le petit, le Portugal.
Alex : Cette expression “Gora Portugal !” pourrait être un sujet de philosophie. Déjà le premier mot est en basque. Pour toi la langue basque est ipso facto la langue des opprimés. Tu aurais pu dire “Vive le Portugal !”, ou “Viva Pourtougal”. J’ai trouvé que c’était du gauchisme, de l’abertzalisme caricatural. Une copine, à l’université de Bilbao, a eu un zéro parce qu’elle a rédigé son devoir en bizkaien et non en batua. La langue basque sait très bien opprimer quand on ne va pas dans le sens de son intérêt. (…) …Tout le monde ici, il est basque aussi !
– 20 millions de téléspectateurs pour cette finale, moi ça me fait peur. Je me suis construit ado avec la JOC : “ensemble, on est plus fort !», je comprends la communion, mais je me demande toujours comment une majorité du peuple allemand (les années 30 me passionnent) a pu se laisser embarquer dans le nazisme et suivre aveuglement un petit gars, plutôt inculte et fruste, en costume militaire avec une casquette et une moustache ridicules.
– Mais l’humain est condamné à l’individualité, et ça, il ne s’en remet pas ! Son shoot c’est la communion, l’unisson, se fondre dans un groupe, être une fourmi dans une fourmilière ! Tout lui est bon : les fêtes de Bayonne, la messe, les concerts, un match! J’assistai, naguère, à un meeting d’Herri Batasuna : tous ensemble scandaient “Gora Euskadi askatuta ! Gora !”, le poing levé ! Une vraie messe ! Et à propos des années 30, ce qui me déplaît chez certains abertzale, et qui apparaît dans ton sms, c’est l’idée de revanche : se considérer “victime de l’état colonial français” offre la légitimité de la vengeance. De toutes façons, pouvoir se considérer comme victime, c’est le Graal ! Plus rien n’est de ta faute, puisque le méchant c’est l’autre. Le top, c’est quand certains geignent de ce que leurs parents ont subi (le fameux bâton) dans les écoles françaises avec le basque : ils rêvent d’hériter du statut d’opprimés ! Vas- y, toi : parle en basque, toi tu peux ! Tu n’es pas une victime ! Construis, propose !
Très bon échange que j’ai eu personnellement X fois avec des abertzale hélas trop souvent caricaturaux. Tout est résumé dans cet échange, notamment l’incapacité des abertzale à s’assumer comme nationalistes comme le soulignait peio ainchart dans un autre article, avec tout ce qui en découle.
La posture de victime éternelle est facile en ce sens qu’elle déresponsabilise et rassure quand à sa propre médiocrité. En ciblant un ennemi particulier on évacue toute la complexité des sociétés humaines au profit de schéma simplistes, manichéens et parfois parfaitement démagogiques. Parler de « colonisation » francaise au pays basque est hélas le résumé de cette logique. À croire selon monsieur Abadie qu’avant l’arrivée des « français » (encore faut il pourvoir les définir….), le pays basque dans ses contours actuels étaient un océan de vertu et de prospérité, peuplé de peuples exclusivement bascophones dans une société égalitaire et respectueuse de tous les droits humains. En ce sens, un petit détour aux archives municipales de Bayonne pourrait être utile à l’auteur. En outre, les fidèles lecteurs d’enbata comme moi seraient ravis de connaître la position de monsieur Abadie sur la « colonisation »(?) du nouveau monde par des millions de Basques du XVIème au mlieu du XXème siècle , au détriment des populations amérindiennes locales. La colonisation serait elle uniquement le seul fait des français ou existerait il selon monsieur Abadie des niveaux de colonisation justifiant la mention nationaliste pour les uns et pas pour les autres?
Soyons clair, le délirium tremens de drapeaux et autres horripeaux nationalistes old-school m’agace au plus au point, mais reprocher aux uns ce qu’on chéri chez les autres est un aveu d’hypocrisie néfaste pour la crédibilité du mouvement abertzale qui peine encore à trouver une identité de construction positive autre que que le rejet confortable du démoniaque état français et de toute ses composante. C’est le message en substance d’Alex qui devrait être médité par toutes et tous.
Milesker
On trouve de tout et, surtout, n’importe quoi chez Alex et Pantxoa. Comparez la conduite impardonnable d’individus basques exilés en Amérique latineavec la colonisation institutionnelle et armée par un Etat, français ou autre, il faut oser! Le reste est à l’avenant!
Signé: Abertzale de gauche, internationaliste -mais pas nationaliste à la sauce franco-franchouillarde, chauvin-jacobin-suffisant-donneur de leçons-arrogant. Ex-appelé en Algérie… Alex, Pantxoa, vous voulez des détails? En avez-vous entendu parler au moins? 1 million et demi d’Algériens tués sur une population de 10 millions, ça vous touche? Le rouge du drapeau français est autant le sang des étrangers tués chez eux que celui des Français (morts pour des prunes!!)… Le rouge de l’ikurriña est à l’aube de présenter un tel « palmarès ». Pour le moment, il n’a pas même ouvert le score…
Mon commentaire à visiblement ciblé juste. Je préfère ne pas rentrer dans des argumentations historiques qui ne mèneront à rien sachant que chacun pourra renvoyer à l’autre leurs casseroles respectives, car oui mon cher etxezaharreta malgré votre relativisme idéologique qui fait que les notions de crime et de colonisation sont intimement liés à vos psaumes dogmatiques du moment, les basques ne sont pas eux non plus des êtres canonisables. Je pourrais vous narrer les turpitudes de lope de aguirre et de ses amis au nouveau monde avec son lot de massacres d’indigènes, exterminant au final non pas un million d’hommes et de femmes mais une civilisation entière!
Le probleme n’est pas d’où on part mais où on va, et là encore votre commentaire très intéressant reflète explicitement cette incapacité à s’assumer nationaliste tant le mot est péjorativement connoté depuis la première guerre mondiale. Pour preuve la juxtaposition immédiate du terme internationaliste après abertzale, comme pour se prémunir d’une accusation de nationalisme catégorie casque à pointe. Pourtant l’essence de l’abertzalisme est nationaliste, depuis sabino jusqu’à nos jours, ses bases idéologiques avec les notions de peuple, de terre aux frontières bien définies, de rejet quasi pavlovien de tout ce qui concerne ses génants voisins (du gros francais au petit béarnais) sont là pour en attester.
Loin de moi l’idée de rejeter l’abertzalisme en bloc, ce serait un raisonnement en miroir de ce que je condamne, mais il faudrait simplement gagner en crédibilité en assumant son passé, son devenir et surtout son présent, quand bien même il ne serait pas médiatiquement correct.
Bien à vous