Les sept provinces basques produisent seulement 8% de l’énergie qu’elles consomment. Iparralde est particulièrement vulnérable dans la mesure où son taux d’auto-suffisance énergétique dépasse timidement le seuil de 1% (source : « VERS LA SOUVERAINETE ENERGETIQUE D’EUSKAL HERRIA », Xabier Zubialde Legarreta).I-ENER est née en octobre 2014 pour mutualiser l’épargne populaire et investir dans des unités de production d’énergie.Enbata donne la parole à Mathieu Iriart, un des initiateurs du projet.
I-ENER a été créée en octobre 2014… Peux-tu nous faire un point sur l’avancée de votre travail ?
L’activité se met en place, avec pour objectif deux premières installations photovoltaïques pour le 1er semestre 2016. Deux communes ont voté une délibération induisant la mise à disposition d’I-ENER d’un toit, pour une durée de 25 ans, en échange d’un loyer symbolique d’1 euro par an, encadré par convention. J’en profite pour remercier les élus d’Hendaia d’abord, qui ont été les premiers à s’engager dans l’aventure et ont donc créé un précédent ; les élus de Makea ensuite, qui se sont montrés particulièrement motivés pour mener sur leur village ce qui devrait être le second projet d’I-ENER.
Des études sont par ailleurs en cours sur d’autres communes, en Lapurdi et Baxe-Nafarroa. Nous espérons ainsi pouvoir planifier entre trois et cinq installations au total pour 2016.
La clef désormais, c’est de convaincre des centaines de nouveaux participants. Nous sommes déjà plus de 130 pour un capital dépassant les 62 000 euros. Chaque installation revenant à 150 000 euros, nous espérons récolter 100 000 euros supplémentaires le plus rapidement possible.
I-ENER est une entreprise dans laquelle chaque personne dispose d’une voix lors des assemblées générales, une coopérative en quelque sorte ?
Pour créer une Société Coopérative à Intérêt Collectif (SCIC), la loi impose le recrutement d’un salarié. Le temps de mettre les projets sur les rails, une telle perspective d’embauche était trop prématurée, surtout sans aide publique, nous avons donc trouvé une alternative permettant que l’activité se développe exclusivement grâce au bénévolat de plusieurs citoyens.
Le statut juridique choisi (SAS) répond donc à des considérations pratiques mais nous avons effectivement intégré dans les statuts la règle d’or qui caractérise chaque coopérative : une personne pèse une voix lors des assemblées générales, et ce, quelque soit le nombre d’actions qu’elle détient. I-ENER espère ainsi devenir un outil au service du territoire auquel chacun peut apporter sa contribution.
I-ENER favorise le développement des énergies renouvelables, mais on entend souvent des critiques concernant le solaire ou l’éolien… Peux-tu nous livrer tes impressions là-dessus ?
Il faut être très prudent avec les articles lus ou les vidéos visionnées. Beaucoup de désinformations circulent à ce sujet, dans la presse ou sur internet, et le lobby du nucléaire n’est certainement pas étranger à cette volonté manifeste de brouiller les esprits. A nous citoyens d’être vigilants.
I-ENER considère que l’éolien est une technique globalement vertueuse ; néanmoins, en Iparralde, il semblerait que les vents ne soient pas suffisamment constants (vitesse, direction) pour que la technologie actuelle soit rentable. Quoiqu’il en soit, une éolienne se chiffre à plusieurs millions d’euros, ce ne saurait être dans nos cordes aujourd’hui.
Venons-en au photovoltaïque. Près de 90% des panneaux photovoltaïques installés sur le sol français viendraient de Chine. C’est effectivement une aberration de parler d’énergie propre et locale quand on fait transiter les modules à travers le monde. I-ENER projette bien évidemment de ne travailler qu’avec des panneaux entièrement fabriqués en Europe ; actuellement, il semblerait que les modèles utilisables soient essentiellement allemands. Dans ce cas, l’énergie grise du système photovoltaïque, autrement dit l’énergie nécessaire pour le fabriquer, est compensée au bout de 3 ans seulement de production d’énergie.
Le recyclage des panneaux pose également question. Cependant, il faut savoir que la majorité des fabricants européens se sont engagés dans la démarche PV-cycle avec des engagements de collecte et de recyclage ambitieux, cette initiative est extrêmement encourageante.
Dans tous les cas, I-ENER rappelle dès que possible que la seule énergie vertueuse, propre, parfaitement renouvelable, est celle que l’on ne consomme pas. Si l’on désire malgré tout un minimum d’énergie, le choix des énergies renouvelables et locales s’impose.
Au-delà de la production d’énergie, peut-on s’attendre à d’autres actions émanant d’I-ENER ?
La priorité d’I-ENER est la réappropriation par les citoyens basques du secteur énergétique. Dans un territoire dépendant à près de 99%, on espère enclencher non seulement un processus permettant au territoire d’être moins vulnérable, avec en point de mire l’auto-suffisance, mais surtout que les citoyens en soient les acteurs, qu’ils deviennent souverains en la matière. Si la notion de relocalisation sur le territoire est importante, la notion de réappropriation citoyenne est essentielle.
Donc I-ENER entreprendra tout ce qui peut toucher le public, tout ce qui peut engendrer une prise de conscience à l’échelle de l’individu. Chaque citoyen doit se poser la question de l’impact de sa consommation énergétique sur le réchauffement climatique, les tensions géopolitiques ou son propre budget. La dépense énergétique par habitant est d’environ 3000 euros par an, soit près d’un milliard d’euros exportés chaque année en ce qui concerne Iparralde. Ne peut-on pas faire autre chose ici de cette manne financière ? Cet argent envoyé à l’extérieur enrichit-il d’autres peuples ou uniquement ses dirigeants et quelques industriels, aux dépends justement des populations ? Quid de la planète cédée aux générations futures ?
Très concrètement, et en parallèle aux projets d’investissements dans des unités de production d’énergie, nous réfléchissons, en collaboration étroite avec la coopérative GOIENER implantée en Hegoalde, à la mise en place à moyen terme d’actions permettant d’économiser de l’énergie à l’échelle des foyers, sans que les occupants n’aient recours au moindre investissement. Le but encore une fois est de créer la prise de conscience et de générer ensuite les bons réflexes. On pense par exemple que 20 à 30% de l’énergie peut être économisée sans altérer le confort des habitants.
Tu parles de souveraineté, pourrais-tu développer le concept ?
L’objectif d’I-ENER est la souveraineté énergétique des habitants du Pays Basque. Il s’agit que ces derniers produisent eux-mêmes l’énergie qu’ils consomment, ni plus ni moins, en respectant les disponibilités sur le long terme en ressources naturelles. C’est notre environnement naturel qui doit fixer la limite en termes de production et donc de consommation. Et pas le contraire…
L’équation paraît simple sur le papier, mais étant donné que la réussite passe d’une part par une diminution drastique de nos consommations et donc un changement important de nos habitudes, d’autre part par des investissements conséquents, la résoudre s’avère moins évident.
I-ENER propose aux citoyens d’enclencher puis de mener collectivement ce processus en Pays Basque.
Ne serait il pas intéressant de se pencher aussi sur les micros centrales hydroélectriques de nombreux moulins ne sont plus aujourd’hui en fonctionnement.
Egun on. Votre commentaire est pertinent puisque le potentiel hydraulique serait effectivement intéressant. Nous avons commencé à échanger avec des propriétaires de telles centrales. Bien qu’il semblerait que la « loi sur l’eau » ne facilite pas ce développement, nous projetons évidemment de nous y intéresser à moyen terme. Pour l’instant, l’énergie photovoltaïque est l’idéale (simple, technologie maîtrisée, investissement accessible) dans une phase de démarrage du projet I-ENER.