Une armoire Ikea trône dans mon salon. Depuis quelques mois, elle émet tranquillement ses composés volatiles entre un canapé de seconde main et des chaises branlantes accueillant les arrières train familiaux depuis 3 générations. Tout le monde est un peu surpris de la compagnie.
Difficile d’échapper au mode de consommation dominant
Grâce à elle, je peux ranger correctement des ouvrages dénonçant les méfaits de l’hyper-consommation sur l’homme et sur la planète, les stratégies de green-washing et l’impact de l’évasion fiscale pratiquée par les patrons de multinationales…
Grâce à elle, je fais maintenant partie de la grande famille Billy, nom de l’étagère la plus vendue au monde. Où que j’aille en Europe, en Chine, en Australie, aux Etats-Unis, je me sentirai un peu chez moi, parce que les gens seront meublés comme moi…
Si je fais aujourd’hui ce coming-out, cette confession publique, c’est pour témoigner d’un paradoxe. On a beau être consommateur averti, écologiste convaincu, en quête de cohérence, il est parfois difficile d’échapper au mode de consommation dominant, modèle destructeur tant au niveau social qu’au niveau environnemental.
De l’espionnage des salariés aux conditions de travail des sous-traitants…
Car Ikea est un modèle du genre… En achetant ma bibliothèque, j’ai permis à Ingvar Kamprad, fondateur d’Ikea, d’arrondir sa petite fortune de presque 4 milliards. Hélas, ses impôts ne permettront pas de construire de nouvelles écoles pour mes amis suédois, puisque cette somme rondelette réside en Suisse. J’ai peut être contribué à créer quelques emplois de vendeurs. Mais attention, ça file droit chez Ikea ! On s’en est d’ailleurs assuré grâce à un système généralisé d’espionnage des salariés. J’ai surtout fait travailler un chinois ou une indienne. Dans des conditions décentes j’espère. Impossible de le vérifier, puisque Ikea ne rend pas public la liste de ses sous-traitants…
Piège de l’achat d’impulsion
Lorsqu’au volant d’une grosse automobile (il faut transporter ces fameux cartons plats…) je me suis rendue au magasin, j’ai pu apprécier l’esthétique particulière dit de «l’entrée de ville». Ce concept, à mi chemin entre la friche industrielle et Las Vegas, qui transforme d’anciens espaces naturels ou terres agricoles en kilomètres de parkings et d’entrepôts de vente aux néons criards. Le tout ceinturé de rocades et d’autoroutes. Par contre, avec un peu de chance, le joli bois blond de mes étagères vient d’une forêt certifiée FSC. 10% de chance, c’est déjà ça…
A l’intérieur du magasin j’ai dû résister à une pression psychologique millimétrée, visant à me faire tomber dans le piège de l’achat d’impulsion. Argh ! non, je n’ai pas besoin de serviettes en papier, de bougies, de paniers, de magnets… Bon, ok pour les biscuits suédois au chocolat…
Comment en suis-je arrivée là…
C’est là la grande force d’Ikea. Cette colonisation de notre imaginaire, cette analyse extra fine des ressorts psychologiques qui fait qu’acheter s’impose à nous, au-delà de nos résistances. Ikea est parfaitement adapté au mode de vie de l’occidental du 21° siècle : accès rapide aux produits, simplicité d’utilisation, prix bas, solidité calibrée à l’envie de renouvellement du consommateur. Il a imposé la norme et à côté, tout semble plus compliqué : trop cheap, trop kitsch, trop moche, trop loin, et surtout, trop cher. Car j’ai cherché longtemps avant de me résigner à choisir Billy…
Ikea, acteur majeur d’une économie basée sur la recherche du profit à tout prix
Ikea profite surtout pleinement d’une économie mondialisée qui lui est parfaitement adaptée :
- des pays du sud dont la seule voie de développement est d’offrir une main d’œuvre bon marché aux consommateurs du nord (les organismes internationaux y veillent…)
- des transports non taxés à la hauteur des coûts environnementaux qu’ils génèrent
- des voies «d’optimisation fiscale» permettant aux multinationales d’échapper à l’impôt.
Face à cela, les artisans locaux ne pèsent pas lourd…
L’installation d’un Ikea à Bayonne n’est pas une bonne nouvelle pour de nombreuses raisons. Mais ce type de consommation continuera à avoir de beaux jours devant lui tant que nous accepterons collectivement une économie basée sur la recherche du profit à tout prix. Et ce, quelle que soit la bonne volonté individuelle dont nous pouvons faire preuve…