L’Espagne ne l’a jamais honoré. Cet été, l’une des plus vieilles mémoires républicaines espagnoles a disparu à 102 ans. Virgilio Peña venait de recevoir la Légion d’honneur française. Voici son histoire, celle au demeurant trop souvent occultée, d’un demi million de combattants républicains espagnols chassés par la défaite de 39.
L’Espagne l’a “oublié”,
comme des centaines de milliers d’autres,
bien qu’une rue de son village natal
ait fini par porter son nom.
L’une des plus grandes
émotions de sa vie, disait-il. “
Virgilio ? Pas si facile à porter ce prénom évoquant la figure de Virgile, tenu pour le plus grand poète latin (70 av JC, l’auteur de l’Eneide). Virgilio Peña en était bien fier. Il est vrai qu’il avait appris à lire avec son père dont la bibliothèque fut brûlée sous ses yeux, à Espejo, village de la région de Cordoue où il aurait sans doute fait sa vie si la guerre civile de 36 ne l’avait pas happé corps et biens.
Son père, ouvrier agricole (lecteur assidu de Virgile) était l’un de ces farouches combattants acquis à la cause communiste, impliqués dans les luttes paysannes d’Andalousie, du début du XXe siècle.
A sa mort Virgilio avait 11 ans. A la proclamation de la République espagnole il en avait 17. Et 22 à l’éclatement de la guerre civile. Le 24 juin 2016, lorsque le général Yves Marinelli lui a remis les insignes de la Légion d’Honneur il affichait ses 102 ans!
80 années venaient de passer sans que l’Espagne ne lui rende le moindre des honneurs.
Mémoire perdue.
Au soir de sa vie à Billère
Elle l’a “oublié” comme des centaines de milliers d’autres, bien qu’une rue de son village natal ait fini par porter son nom. L’une des plus grandes émotions de sa vie disait-il.
Il est certes arrivé à Virgilio de retourner en Andalousie, mais il vivait en Béarn, à Billère, là-même où la République française lui a donc rendu hommage. Au grand soir de sa vie d’ailleurs puisque l’ancien combattant de l’armée républicaine espagnole, contraint à l’exil en 1939, au cours d’une sinistre Retirada de 500.000 vaincus allés se réfugier dans le sud-est de la France, est mort deux semaines plus tard.
Invité à la cérémonie, le consul d’Espagne à Pau n’avait rien trouvé de mieux, ultime outrage, que de dénoncer la présence du drapeau de la République espagnole au balcon de la mairie.
Le premier magistrat (socialiste) a préféré rester sourd aux attentes du diplomate. Les couleurs républicaines n’ont pas tremblé. En ce 24 juin 2016 il en aurait fallu beaucoup plus pour faire vaciller Virgilio, l’ancien Résistant français, déporté à Buchenwald (baraquement 40, numéro 40 843, compagnon de route de Georges Samprun connu au camp) sur dénonciation d’un compatriote torturé par la Gestapo.
A la Libération, les hasards de la vie l’avaient amené en Béarn où il construisit sa nouvelle vie de charpentier et de père de famille.
Sa mort passée sous silence en Espagne (excepté dans les médias de gauche, El Pais notamment) tout comme d’ailleurs le 80ème anniversaire du soulèvement franquiste contre la République, n’enlève évidemment rien à ses mérites d’homme debout.
Communiste depuis l’adolescence, il avait subi toutes les avanies sans perdre son sens de l’humour et sa mémoire.
Il fallait entendre son rire fuser le 17 décembre 2015 par exemple, lorsqu’il évoquait son parcours à l’occasion d’une commémoration de la Déportation à Saint- Jean-Pied-de-Port.
Admirable leçon de vie.
De Billère à Otxandio
Il aura fallu 80 ans pour que cet été soit l’occasion d’un évènement exceptionnel qui nous ramène aussi à la fin de la République espagnole, à ce mercredi 22 juillet 1936 où des bombes déversées par deux avions légers (des Breguet Aviation) plurent sur Otxandio, magnifique village de Biscaye voisin de Durango. Quelques mois avant le massacre dont Gernika allait être victime en 1937, 61 personnes y trouvèrent la mort. Des hommes, des femmes et des enfants.
Ironie de l’Histoire, les plus jeunes avaient cru qu’on allait leur distribuer des gourmandises et les plus âgés de la propagande, lorsque les appareils survolèrent la place Ondikona.
Depuis 2011, s’y dresse un mémorial émouvant dont la pièce maîtresse est la statue de Nestor Basterretxea baptisée “Heriotza zerutik etorri jakuen” (“La mort leur tomba du ciel”).
Le 23 juillet 2016, lors de la commémoration du bombardement, la municipalité d’Orduña/ Urduña (Bildu) s’est rendue à Otxandio (Bildu) pour demander un impressionnant “pardon” à ses habitants. En effet, le général Angel Salas Larrazabal qui ordonna le massacre (il pilotait l’un des deux appareils), originaire d’Urduña, reçut tous les honneurs de sa ville pour services rendus au franquisme durant la dictature. Nommé maire en 1959, après avoir été déclaré “hijo predilecto” en 1942. Le 11 juillet 2016 honneurs et décorations lui ont été officiellement retirés par le conseil municipal (Bildu/PNV). 80 ans avaient passé.