Beaucoup a été dit sur les paroles et moments forts de la conférence de Paris du 11 juin dernier. Sans conteste, une nouvelle étape à marquer d’une pierre blanche sur le difficile chemin vers le dépassement du conflit armé au Pays Basque. Parmi les nombreuses interventions riches en contenu ou émotions, celle de Pierre Joxe, ancien ministre de l’Intérieur et de la Défense et à ce titre le seul acteur du conflit à la tribune pour le camp des États, est à souligner.
Joxe ne dit en fait rien de nouveau ni d’original,
mais il le dit et remet en perspective le stéréotype
“ETA- 800 morts” cher aux médias,
formule de propagande idéologique
qui nie l’histoire, obscurcit la réalité
et dépolitise à dessein le conflit.
Pierre Joxe est un personnage difficile à cerner. Comme à Aiete, il est là, mais paraît peu impliqué. Qu’a-t-il fait d’ailleurs depuis octobre 2011 ? Quand il parle, c’est surtout de lui. Sur ses années “en première ligne” on ne saura pas grand-chose de nouveau. Le GAL ? Il dit tomber des nues alors, en apprenant que “ses amis socialistes Barrionuevo et Corcuera” en étaient à l’origine. L’implication de policiers français ? Une enquête interne peut-être ? Une aubaine pour désigner du doigt les réfugiés et une bonne préparation de l’opinion aux premières extraditions de septembre 84 ? Rien, Aucune allusion. Difficile à entendre sans grincer des dents. Joxe, à l’origine du statut de Collectivité spécifique pour la Corse ne dira rien non plus sur les dossiers propres au Pays Basque Nord qu’il a eu à gérer dans les années 80 alors qu’il introduit la présentation de la déclaration de Bayonne. Joxe ne se mouille pas.
Contre le révisionnisme historique
Pourtant son intervention, dont on a du mal à mesurer si elle est préparée au millimètre par un vieux briscard ou si tout ça lui échappe au gré des enchaînements d’idées comme un papy racontant ses souvenirs, amène d’autres éléments. Des éléments qui réintroduisent du politique dans une conférence dont la nature (elle est centrée sur les questions humanitaires) laisse forcément au second plan les causes et aspects politiques du conflit que d’aucuns voudraient résumer à la gestion des conséquences d’une situation de violence prolongée. Il parle de la guerre civile espagnole et de l’abandon des Républicains face au putsch franquiste notamment par la France. Il insiste sur Gernika, massacre délibéré de la population civile, devenu symbole mondial de la barbarie fasciste. Le contexte historique est posé et nous sort du discours a-historique et apolitique produit depuis plus d’une décennie par l’idéologie anti-terroriste. Quand il évoque les questions techniques du désarmement nécessaire de l’organisation armée, l’anecdote convoquée met en scène les résistant-e-s français, une analogie qui rappelle les déclarations du ministre de l’Intérieur Deferre en 1982, mais devenue totalement tabou depuis. Il reconnaît avoir applaudi à la mort de Carrero Blanco et plaisante même sur la prouesse technique réalisée par le commando d’ETA. De telles déclarations dans le royaume d’Espagne lui vaudrait illico une inculpation pour apologie du terrorisme. C’est la légitimité de la résistance armée, au moins jusqu’à la fin du franquisme, et son efficacité politique qu’il reconnaît implicitement. Il prend ainsi à rebrousse-poil le révisionnisme historique devenu la norme depuis longtemps dans les discours gouvernementaux, les sentences judiciaires ou la majorité des médias qui ramène ETA à un phénomène terroriste parmi tant d’autres oubliant que la gauche et même au-delà, en France, en Europe et dans le monde a célébré à une époque l’héroïsme de ses militant-e-s. Même si cette identification relevait le plus souvent de la dimension anti-franquiste et démocratique du combat et plus rarement de son côté lutte de libération nationale et sociale.
Construire le chemin collectivement
Joxe ne dit en fait rien de nouveau ni d’original, mais il le dit et remet en perspective le stéréotype “ETA-800 morts” cher aux médias, formule de propagande idéologique qui nie l’histoire, obscurcit la réalité et dépolitise à dessein le conflit.
Du point de vue des personnes qui les subissent toutes les souffrances étant égales quelle qu’en soit l’origine, il est vrai que la question des victimes, chapitre incontournable dans le dépassement de la phase violente du conflit, par l’émotion qu’elle suscite, l’appétence qu’elle provoque auprès des médias, est propice à des exercices de bien-pensance renvoyant tout le monde dos à dos, mettant sur le même pied des choses de nature différentes.
La phase ouverte par la conférence d’Aiete en plus d’être compliquée, est un peu terra incognita. Les différents aspects du conflit, tel un puzzle, sont disséminés dans des dynamiques, des plateformes des initiatives diverses, toutes nécessaires. L’assemblage des pièces, la logique d’ensemble échappe parfois au commun des mortels. Questionnement et frustrations sont légitimes. Mais le débat et la réflexion sont plus que jamais indispensables pour construire collectivement le chemin, en comprendre les méandres et en assumer les contradictions inévitables. Ce sera l’objet d’un atelier lors de l’université d’été d’EH Bai à la fin août.