Lucien Etxezaharreta
La première fois que je vis Jakes c’était lors d’une réunion de bureau qui avait lieu rue des Lisses à Bayonne, dans l’Hôtel des Basques, qui était alors l’adresse du mouvement. Une pièce où résonna une de ces disputes homériques entre Jakes et Ximun Haran. J’y étais avec Jean-Louis Davant, venu d’Hasparren dans sa vieille 2CV poussive par la vieille route des Cimes en délégation de la section Enbata d’Hasparren. Il fallait toute la pondération et la sagesse de Jean-Louis pour nous convaincre de l’intérêt de cette joute mémorable ayant pour origine les choix stratégiques à adopter.
Sans formation politique, malgré un père ouvrier, à 18 ans, je plongeai dans ce monde où Jakes, en virtuose politicien, savait trouver une voie pour l’expression politique de l’identité basque. Identité que certains lui reprochaient, «n’étant pas bascophone et donc ne comprenant rien au monde basque de l’intérieur, cramponné dans sa dialectique eskualdun-fededun et respectueuse des notabilités et gendarmes». Jakes sut m’enlever la peur de cet Etat tout-puissant qu’incarnait alors De Gaulle.
Jakes sut bien manœuvrer les troupes, des centaines de jeunes, en proposant cette vague de peintures sur les murs dans la nuit du 13 juillet 1965 : « Euzkadi Europa » (encore avec Z) badigeonnions nous sur les ponts, murs et panneaux, avec aussi, plus facile à écrire « 4 + 3 = 1 » dont il reste encore quelques lambeaux aujourd’hui.
Sa figure me revient encore dans ce fameux « stage Enbata » de la Bergerie à Kanbo, l’été 1965, avec cette certitude inébranlable qui le caractérisait. Le fédéralisme européen, que Guy Héraud défendait en quasi solitaire, nous ouvrait un futur avec le nationalisme libérateur qu’affichait le mouvement.
Jakes a du avoir mal à cause d’une quantité de critiques féroces, soit par certains de l’extrême gauche qui voyaient en lui un fasciste, soi-disant formé par un père Croix-de-feu d’avant guerre, soit par certains intégristes de l’euskara qui lui niaient toute légitimité pour représenter les Basques. Il a su traverser ces périodes critiques de scissions en idéologies variables, avec ETA, PNV, EA, Herri Batasuna, ou tous les partis de gauche abertzale et tous les sarcasmes d’une droite impériale.
Jakes me donna confiance lors de ces premières confrontations avec la force publique, comme sur le pont d’Hendaye, l’été 1965, lors de la campagne pour soutenir Christiane Etchalus prisonnière à Pampelune « victime d’une machination ». Lors de nos interpellations et séjours dans le Commissariat, devant la haine de policiers « droit issus de l’Algérie » et qui avaient su détecter parmi nous le choix de la défense de la nation basque, choix qu’ils avaient bien reconnu, il les tançait, désignant leurs barrettes sur la poitrine comme des « certificats d’assassinat ». Ces premières violences, qui m’étaient inconnues jusqu’alors, étaient apaisées par cette certitude que donnait Jakes, ce « choix de nationalité basque » que lui-même professait et qu’il faisait notre.
Un grand frère protecteur, sans doute Jakes n’avait pas deviné ce sentiment que j’ai toujours. Un grand frère que je n’oublierai pas et qui me donne de l’assurance pour continuer dans les diverses batailles à venir.
Agur Jakes eta milesker.