Les attentats terroristes de ces derniers temps ont précipité l’écriture du projet de loi sur le renseignement concocté par le gouvernement français et discuté dans un hémicycle quasiment vide. De nombreux citoyens, dénoncent les graves atteintes aux libertés individuelles que cette loi entraînera.
Le 13 avril a débuté à l’Assemblée nationale l’examen d’un projet de loi sur le renseignement. Ce texte est justifié par le gouvernement, principalement par la nécessité de faire face à la “menace terroriste”, trois mois après les attentats de Paris. Alors que des sondages forts à propos donnent une majorité de Français favorables à une surveillance renforcée, le consensus politique autour du projet est très large. Plusieurs associations ont lancé l’alerte et tenté d’impulser une mobilisation mais, pour parer à toute éventualité, le gouvernement a choisi la procédure accélérée (une seule lecture dans chaque Assemblée). Mais derrière les discours et les coups de menton de Valls, d’autres enjeux se profilent.
Le projet prévoit le renforcement de la surveillance Internet par la collecte massive de données (qui appelle qui, ou qui se connecte à quoi, quand, combien de temps, où), la détection automatique de comportements spécifiques par des robots, les écoutes téléphoniques fax et mails y compris via une valise espionne faisant office d’antenne téléphonique (“Imsi catcher”), de nouveaux outils (ou légalisation de méthodes appliquée de manière illégales) comme la pose de micros, balises et autres mouchards sur les ordinateurs, véhicules, domiciles. A noter que plusieurs de ces méthodes ont déjà été amplement utilisées au Pays Basque depuis de nombreuses années.
Algorithmes miracles
Mais entre l’argument du gouvernement “lutte contre le terrorisme” et la réalité des choses il y a un sacré hiatus. Tout d’abord dans les objectifs visés qui ne laissent potentiellement la vie privée de personne hors d’atteinte d’une surveillance accrue.
La loi énumère la sécurité nationale (l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale, ainsi que la prévention de toute forme d’ingérence étrangère et des atteintes à la forme républicaine et à la stabilité des institutions), les intérêts essentiels de la politique étrangère et l’exécution des engagements européens et internationaux de la France, ses intérêts économiques et scientifiques essentiels enfin la prévention du terrorisme, de la reconstitution de groupement dissous, de la criminalité et de la délinquance organisées ou des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique. Avec une telle liste, qui n’a rien à se reprocher ? Par ailleurs, de nombreux spécialistes réfutent le discours gouvernemental sur les algorithmes miracles capables de détecter les “comportements suspects”. Pour deux raisons: d’une part ils fonctionnent à partir de modèles basés sur la répétition de critères clairement identifiés et ne peuvent donc repérer que des comportements identiques à ceux analysé dans le passé. D’autres parts ils ne peuvent qu’engendrer des milliers de fausses pistes totalement ingérables pour les services de renseignement. Aux États-Unis où la surveillance de masse s’est considérablement renforcée après le 11 septembre, de hauts responsables des agences de sécurité reconnaissent leur piètre efficacité dans la détection de menaces terroristes.
La collecte et l’étude des millions de données
produites quotidiennement par les NTCI (internet, téléphonie…)
sont devenues un enjeu économique et politique majeur.
Espionnage économique et contrôle social
Mais alors pourquoi une telle loi aujourd’hui en France ? Loin de toute vision paranoïaque ou complotiste, comme l’explique Edward Snowden : “il s’agit d’espionnage économique, de contrôle social et de manipulation diplomatique. C’est une question de pouvoir”. La collecte et l’étude des millions de données produites quotidiennement par les NTCI (internet, téléphonie…) sont devenues un enjeu économique et politique majeur. C’est le “big data”, la nouvelle frontière de l’industrie numérique dont les perspectives sont énormes : exploration et évaluation de l’information, analyse tendancielle et prospective, gestion des risques (commerciaux, assuranciels, industriels, naturels) et des phénomènes religieux, culturels, politiques.
Déjà des logiciels sont capables d’analyser la propagation d’une information, d’un comportement, d’une mode, d’une mobilisation. De quoi alimenter la mégalomanie inhérente à l’exercice du pouvoir… Le big data fait partie des sept ambitions stratégiques de la France déterminées par la Commission Innovation 2030 installée par le président de la République française le 19 avril 2013. On est bien loin de la réponse aux menaces d’attentats. Pour l’État, un nouvel arsenal de contrôle. Pour les citoyen-ne-s, une restriction des libertés.