En contrepartie de l’amnistie de 1.400 élus et responsables politiques catalans, le vote des sept députés de Junts permet à Pedro Sanchez de se maintenir au pouvoir à la tête d’une « majorité de progrès ».
Quel est le contenu de cet accord de moins de trois pages signé le 9 novembre, après trois mois de négociations, et qui déclenche la furie de la droite, de l’extrême droite et des corps constitués espagnols, police et justice ?
Il se décompose en trois parties.
Tout d’abord, celui des origines historiques du conflit entre la Catalogne et l’Espagne depuis le XVIIIe siècle, en passant par la sentence du Tribunal constitutionnel de 2010 qui a laminé le nouveau statut d’autonomie et généralisé le souverainisme catalan en marginalisant l’autonomisme, pour aboutir aux deux référendums d’autodétermination interdits et à la déclaration d’indépendance de 2017. Durant ces années, le gouvernement espagnol n’a tenu aucun compte des décisions votées démocratiquement par les Catalans et leurs institutions légales, il n’a répondu que par la répression. Le texte précise qu’à l’inverse, le PSOE nie la légalité et la valeur du référendum et de la déclaration d’indépendance, il rejette toute démarche unilatérale. Mais cette première partie portant sur le récit rappelle la dimension d’abord politique et démocratique du conflit, aux antipodes de la thèse du « coup d’État » que ressasse une partie de l’opinion espagnole.
Les deux formations conviennent ensuite que, malgré leurs divergences sur les solutions permettant de résoudre définitivement le conflit, et bien que demeure un manque de confiance mutuelle, parvenir à un accord provisoire est possible. Junts et PSOE sont d’accord pour créer un « mécanisme » à caractère « international » qui aura pour rôle « d’accompagner, de vérifier et de suivre tout le processus de négociation des accords » jusqu’à leur aboutissement. On saura par la suite qu’un organisme suisse jouera ce rôle, au grand dam de l’État espagnol. Cette intervention extérieure neutre fait sortir le débat des affaires intérieures de l’Espagne, du pré carré mortifère hispano-hispanique. Il s’agit pour Junts d’éviter un enterrement de première classe, comme ce fut hier le cas avec ERC qui tenta en vain de négocier avec les socialistes dans le cadre d’une commission qui s’est très rarement réunie.
Obtenir un référendum négocié dont le PSOE ne veut pas
Puis l’accord du 9 novembre définit le contenu de la négociation à venir. Il prend sa source dans les « aspirations de la société catalane et les demandes [exprimées par] ses institutions » : la reconnaissance nationale de la Catalogne, le rejet des limites opposées à son autogouvernement et la réduction de son déficit fiscal et budgétaire. La première réunion de l’instance de négociation aura lieu dès le mois de novembre. Déjà, demandes et divergences sont précisées par chacun des deux partis : référendum d’autodétermination sur la base de l’article 92 de la Constitution pour l’un, large développement du statut d’autonomie de 2006 pour l’autre, assorti du « respect des institutions auto-gouvernementales et de la singularité institutionnelle, culturelle et linguistique de la Catalogne ».
Junts précise ses desiderata : la loi organique de financement des communautés autonomes (LOFCA) reconnaîtra la singularité de la Catalogne, en facilitant la gestion de 100% des impôts collectés par Barcelone. Le PSOE propose au contraire de simples mesures en faveur de l’autonomie financière et un dialogue particulier sur l’actuel mode de financement. Un plan de retour des sièges sociaux des grandes entreprises qui ont quitté la Catalogne vers Madrid sera abordé. Rappelons que cette évasion avait été encouragée par l’Espagne au moment de la déclaration d’indépendance, pour affaiblir la revendication catalaniste en effrayant les milieux patronaux.
Amnistie et lawfare
Arrive le plat principal de l’accord. Avec la loi d’amnistie, nous entrons dans le dur. Elle « apportera une pleine normalisation politique, institutionnelle et sociale. Il s’agit d’une condition requise indispensable pour aborder les défis de l’avenir immédiat. Cette loi doit concerner les responsables et les simples citoyens qui, avant et après la consultation de 2014 et le référendum de 2017, ont été l’objet de décisions et de procédures judiciaires liées à ces évènements. En ce sens, les conclusions des enquêtes de cette législature prendront en compte l’application de la loi d’amnistie. [Elle s’appliquera aux] situations relevant du concept de lawfare(1) ou de judiciarisation de la vie politique qui pourraient advenir et aboutiraient par conséquent à des mises en cause ou à des modifications législatives ».
Cette notion anglo-saxonne en a surpris plus d’un outre-Pyrénées et a déclenché une levée de boucliers de la part des plus hautes instances du pouvoir judiciaire. Le lawfare verrouille les possibilités de guérilla judiciaire que les magistrats espagnols mettent déjà en oeuvre pour contourner la future loi d’amnistie, en requalifiant certains faits afin de générer de nouvelles inculpations. Selon Junts, un peu plus de 1.400 Catalans bénéficieront de l’amnistie, au premier rang desquels trois ex-présidents de la Generalitat.
Un dernier point concerne la participation directe de la Catalogne dans les institutions européennes et les organismes internationaux, en particulier sur les dossiers ayant une incidence sur son territoire. Et il conclut sur le vote de tous les députés de Junts en faveur de l’investiture de Pedro Sanchez, en précisant que la stabilité de la législature dépendra de l’avancée de la négociation future sur les thèmes évoqués plus haut.
Bien que cela ne figure pas dans le texte signé, un de ses premiers effets a été l’annonce d’une mesure par le ministre du Budget : l’État révisera le système de financement des communautés autonomes et pendra en charge plusieurs dizaines de milliards d’euros de dettes cumulées depuis une décennie, dont quinze pour la Catalogne.
(1) Lawfare vient de law (loi en anglais) et de warfare (guerre). Selon le dictionnaire de langue anglaise d’Oxford, le terme désigne les « actions judiciaires ouvertes dans le cadre d’une campagne à l’encontre d’un pays ou d’un groupe ». La fondation Fundeu indique que ce mot est utilisé sur le plan militaire pour décrire une méthode de guerre. Dans le domaine politique, il désigne « l’usage de procédés judiciaires ayant pour but la persécution politique, le discrédit, la destruction de l’image publique et la mise à l’écart d’un adversaire politique ».