L’accord de Nouméa, signé le 5 mai 1998, prévoyait des transferts de compétences de la France vers la Kanaky dans de nombreux domaines à l’exception de ceux de la défense, de la sécurité, de la justice et de la monnaie, et l’organisation d’un scrutin d’autodétermination entre 2014 et 2018. Voici un point sur l’état des lieux actuel.
Au grand dam des manifestants venus manifester à Nouméa contre la tenue d’un référendum d’autodétermination, François Hollande a réaffirmé lors de sa première visite en Nouvelle-Calédonie que “cette consultation aura lieu à la date choisie par le congrès, et s’il ne la décide pas, au plus tard en 2018”.
Plus qu’une prise de position, la déclaration de François Hollande est un simple rappel de la Constitution française qui intègre les Accords de Nouméa (AdN) signés en 1998. Un rappel utile puisque le processus d’auto-détermination de la Nouvelle-Calédonie (ou Kanaky) est entré dans sa phase finale.
C’est en effet l’actuel Congrès de Nouvelle-Calédonie, issu des élections provinciales du 11 mai 2014, qui doit terminer d’implémenter les AdN, à commencer par le transfert des dernières compétences non régaliennes. Mais surtout, il devra organiser le premier référendum d’autodétermination portant sur le transfert éventuel des compétences régaliennes (affaires extérieures, ordre public, monnaie, justice, défense). Mais il faut pour cela que le transfert des compétences régaliennes ait été achevé, et que la date du référendum soit approuvée à une majorité des 3/5 par le Congrès, ce qui ne va pas être facile…
Absence de consensus sur le référendum
Le camp indépendantiste souhaite en rester à la lettre des AdN qui prévoient jusqu’à trois référendums en cas de réponses négatives comme le résume l’un de ses dirigeants : “l’histoire de la colonisation nous a appris que tout ce qui s’appelle ‘alternative’, pour nous, c’est des concessions”. Le camp loyaliste est quant à lui divisé en plusieurs tendance : la formation de centre-droit Calédonie Ensemble (CE) souhaite proposer un “référendum éclairé” et non un “référendum couperet”, alors que le Front pour l’Unité (FPU), proche de l’UMP, s’oppose à la tenue d’un référendum.
En faisant obstruction aux transferts des compétences, le camp loyaliste rend peu probable la perspective d’un consensus sur le référendum. En vertu des AdN, et comme l’a rappelé François Hollande, ce sera à Paris de l’organiser si ce statu quo perdure jusqu’en 2018.
Au vu de la situation politique actuelle, le camp loyaliste remporterait la consultation puisqu’il compte 29 des 54 élus du Congrès. Cette majorité arithmétique ne reflète toutefois pas la complexité de la scène politique calédonienne.
En premier lieu, ce rapport de force est plus favorable aux indépendantistes que celui qui prévalait lors de la mandature précédente (31/23). De plus, le camp loyaliste est profondément divisé depuis la mort de Jacques Lafleur en 2010, à tel point que le gouvernement de coalition CE/FPU vient de s’effondrer et que le camp indépendantiste se prend à rêver d’accéder au pouvoir, ce qui serait une première depuis le gouvernement de Jean-Marie Tjibaou en 1982.
Par ailleurs, le corps électoral pour les référendums est plus restreint que celui des élections provinciales ; seules pourront participer au référendum les personnes résidant en Nouvelle-Calédonie depuis une date antérieure au 8 novembre 1998.
Grâce à ce gel du corps électoral, les Kanak représentent à peu près 50% du corps électoral référendaire, contre seulement 44% pour les élections provinciales. Ce n’est pas sans importance au vu du très fort clivage ethnique des votes : 80% des Kanaks seraient ainsi pour l’indépendance alors que 90% des non Kanaks (Européens, Wallisiens, asiatiques, etc.) seraient contre.
Enfin, à ce clivage ethnique s’ajoutent de très fortes disparités régionales. Dans la province Sud où se trouve Nouméa et où réside près de 75% de la population, le score indépendantiste est très faible (19,88%) alors qu’il est écrasant dans les deux autres circonscriptions de la province nord et des îles Loyautés qui sont par contre très peu peuplées.
Les Kanaks ont su mobiliser leurs forces
pour mener à bien un projet
qui rende leur indépendance viable.
Ils méritent que, pour une fois,
la France gère correctement
un processus de décolonisation.
Début de rééquilibrage économique
Les AdN entendaient également combattre un fort déséquilibre économique: “Le passé a été le temps de la colonisation. Le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage”. Pour mener à bien ce rééquilibrage, les indépendantistes ont oeuvré pour la construction d’une immense usine de nickel dans la province Nord dont ils sont les propriétaires majoritaires à hauteur de 51% ; la multinationale Glencore, qui a investi 5,7 milliards d’euros dans le projet, en possède les 49% restants. En terme de rééquilibrage économique, l’implantation de cette usine a eu un effet radical. Glencore estime en effet à 1,9 milliards d’euros les bénéfices directs de la seule phase de construction pour la Nouvelle Calédonie (et en premier chef la province Nord). L’usine affiche de plus sa volonté de privilégier l’emploi local et annonce la création de 3.500 emplois directs et indirects, ce dont les Kanaks se félicitent (leur taux d’emploi était en 2009 de 45% contre 70% pour la population européenne). Paul Néaoutyine, le président indépendantiste de la province Nord, et l’un des principaux artisans du projet, jubile : “Nous sommes passés du système dominant-dominé […] avec des populations locales qui voient les retombées leur passer sous le nez, à un système gagnant-gagnant”.
Bien sûr, “l’usine du Nord” amène avec elle son lot d’inquiétudes: l’impact écologique, la gestion des relations avec Glencore, une grande dépendance aux cours du nickel dans un contexte marqué par l’arrivée probable du nickel cubain sur le marché, etc. Mais malgré ses défauts et ses faiblesses, il faut surtout retenir de ce projet que c’est un véritable “accomplissement politique”, comme l’a souligné Hollande. Les Kanaks ont su mobiliser leurs forces pour mener à bien un projet qui rende leur indépendance viable. Ils méritent que, pour une fois, la France gère correctement un processus de décolonisation.
Le mérite du processus de décolonisation revient aux indépendantistes plutôt qu’à sa « bonne gestion » par la France. Il ne faudrait pas confondre la résistance légitime et originelle qu’il y a à libérer la nation, avec la « philanthropie » d’un processus contraint et contraignant.
La Nouvelle-Calédonie restera française car la province Sud, qui regroupe 75% de la population néo-calédonienne, est massivement anti-indépendantiste. De plus, rompre les liens avec la France desservirait gravement les intérêts des Néo-Calédoniens ainsi que de la France elle-même. C’est pourquoi une forte majorité de ces derniers est opposée à l’indépendance, qui ne servirait que les intérêts des pays anglo-saxons voisins, qui rêvent de bouter la France hors du Pacifique. L’indépendance du Caillou nuirait gravement aux intérêts des Néo-Calédoniens, qui verraient leur niveau de vie chuter considérablement (il suffit de regarder les États insulaires environnants). Elle nuirait aussi aux intérêts de la France car elle constituerait un recul géopolitique de notre pays dans le Pacifique. Pour conclure, la rupture des liens entre la métropole et la Nouvelle-Calédonie serait une mauvaise nouvelle pour les deux entités. Les seuls gagnants seraient les pays anglo-saxons.