La Corse en mutation

A la tribune de l’assemblée constitutive de Nazione, debout, Ghjuvan Filippu Antolini.

Deux nouvelles organisations politiques apparaissent dans une île gouvernée par les autonomistes et qui peine à « fabriquer des Corses ». L’arrivée annuelle de 4.000 habitants venus du continent inquiète beaucoup, et le FLNC donne de la voix. La notion de colonie de peuplement et l’abandon de la notion de communauté de destin sont mis en avant.

Nazione, ce mouvement

Ce mouvement entend relancer le courant souverainiste laminé après les dernières élections de l’assemblée corse. Il refuse que la Corse devienne colonie de peuplement et écarte la notion de communauté de destin, pilier du nationalisme insulaire depuis les années 80.

Toutes proportions gardées, en quelques années, il est arrivé au souverainisme corse ce qu’ont subi le PCF et les Radicaux de gauche alliés pour gouverner avec François Mitterrand qui les a étouffés. Il sort essoré des élections territoriales de 2021, la représentation de sa formation Corsica Libera passe de 13 à une seule élue. Elle était devenue inaudible. Alors, des militants du FLNC blanchis sous le harnois et en alliance avec d’autres, décident de renverser la vapeur. Après quelques mois de gestation au sein de Chjama Patriotta, le 28 janvier à Corte, six cents militants créent le nouveau mouvement politique Nazione. Le FLNC avait appelé à la création d’une plate-forme politique transcendant les partis et autres collectifs, y compris Patriotti, l’association des anciens prisonniers. « Corsica Libera cède la place à Nazione pour porter le combat de la lutte de libération nationale », affirme Petr’Antò Tomasi, un de ses leaders.

Colonisation de peuplement

Dès sa fondation, Nazione met l’accent sur un constat en mettant en avant une colonisation de peuplement sur l’île : « Nous étions 250.000 il y a vingt ans, nous sommes aujourd’hui 350.000. C’est exactement la même chose que si les USA avaient 130 millions d’habitants dans le même laps de temps et tous issus de l’immigration. Ce sont des éléments qui changent notre société et nous ne voulons pas disparaître », lance Ghjuvan Filippu Antolini, dirigeant de Nazione. « Les gens n’en peuvent plus de ne plus entendre parler corse, de voir se créer des associations pour interdire que les cloches sonnent dans nos villages, pour attaquer la langue corse… » Alors, c’est décidé, « plus personne n’est le bienvenu en Corse », clame G. F. Antolini, « nous disons que notre peuple est en train d’être noyé, nous ne l’accepterons pas […]. La machine extraordinaire à fabriquer des Corses qu’a été la Corse pendant des millénaires, n’est plus en capacité de le faire. L’État noie les autochtones sous une colonisation de peuplement, à un rythme effréné. Les Français débarquent de partout, on leur trouve des emplois dans la fonction publique. Si nous continuons à recevoir tout le monde, quelle que soit son origine, nous serons bientôt une minorité sur notre propre terre, une simple carte postale dans un livre d’histoire ». À croire que tout cela est dans l’air du temps… à l’heure où l’État français veut tirer un trait sur le droit du sol dans le département de l’île de Mayotte.

Abandon de la communauté de destin

Le concept de communauté de destin (1) a été défini par le FLNC en 1987 et pour le porte-parole de Nazione Ghjuvan Filippu Antolini, « nous ne parlons plus de communauté de destin », mais « c’est au FLNC qu’il appartiendra de revenir dessus. En vingt ans, 100.000 personnes de plus font partie de la communauté de destin… On ne peut accepter cela, il faut absolument restituer au peuple corse ses droits fondamentaux sur sa terre ». La motion d’orientation générale de Nazione approuvée le 28 janvier comprend quinze points qui reprennent les fondamentaux de la Lutte de libération nationale, avec l’accession à l’indépendance, la création d’une république corse et la solidarité politique avec le FLNC. Pour l’instant, Nazione reste peu structuré, son assemblée constitutive n’a pas élu de secrétaire général, seuls des secrétaires nationaux représenteront les différentes régions de l’île. Pas d’exécutif non plus, mais un fonctionnement collégial à travers une coordination, plus trois porte-parole qui seront élus à la prochaine assemblée.

A l’assemblée constitutive de Nazione, debout, Ghjuvan Filippu Antolini.

Officiellement, il s’agit de « remettre les militants au centre du débat ». D’autres suggèrent qu’en réalité, cela permettra aux militaires du FLNC de peser davantage dans la conduite du mouvement. Suivant un calendrier qui ne doit rien au hasard, la fondation de Nazione a été précédée d’une conférence de presse du FLNC(2) deux jours plus tôt, avec le décorum habituel : onze hommes en noir cagoulés, armes impressionnantes et déclaration à la voix déformée. Une nouveauté après l’adieu aux armes de 2014. Ce n’était qu’un simple au revoir. Nous sommes encore loin des nuits bleues à répétition, mais le FLNC a revendiqué 45 attentats commis de façon simultanée dans la nuit du 8 au 9 octobre 2023.

Rapport Hudson Institute de New York

Le porte-parole du FLNC affirme que l’autonomie en cours de négociation « ne sera absolument pas en mesure de préserver le peuple corse dans sa survie ». Et fustigeant la « colonisation dite de peuplement », il précise : « Sans aucune possibilité légale pour s’y opposer, des milliers de Français viennent s’installer chaque année en Corse […]. Entre 2015 et 2021, la Corse va connaître une augmentation de la population de 20.310 résidents. Pour la plupart des Français. Augmentation d’autant plus indiscutable que le solde naturel est déficitaire ». Le porte-parole de l’organisation armée cite un extrait du rapport Hudson Institute de New York demandé par l’administration française en 1970 pour la DATAR qui envisage plusieurs options de « solution possible pour la France », parmi lesquelles « accélérer l’érosion de l’identité culturelle corse, par exemple en encourageant une immigration massive en provenance de la métropole. Ainsi, la période de transition serait aussi courte que possible et la Corse atteindrait rapidement un niveau élevé de peuplement […] en majorité non corse ». D’où, pour le FLNC, le fait que la Corse « n’a pas de destin commun avec la France » et la nécessité de revenir aux fondamentaux de la lutte de libération nationale. Mais il ne dit mot sur la notion de communauté de destin, son abandon ou son maintien, et soutient longuement la cause palestinienne. Deux semaines après le lancement de Nazione, deux militants sont arrêtés. Le parquet national anti-terroriste les accuse d’avoir participé en 2022 à un attentat. L’un d’entre eux demeure incarcéré, l’autre, placé sous contrôle judiciaire, est contraint de demeurer sur le continent, à Marseille. Par ailleurs, Alain Ferrandi, membre du commando Erignac accusé d’avoir tué le préfet éponyme, est placé sous bracelet électronique depuis le 7 février, il peut dormir à son domicile. Après une longue bataille politique, il se trouvait en semi-liberté probatoire depuis mars 2023. Les prochaines élections municipales de 2026 et territoriales un an plus tard, auront valeur de test quant à l’avenir politique de Nazione et sa capacité ou non à peser sur le devenir institutionnel de l’île.

(1) La communauté de destin est un concept créé dans la lignée de l’indépendantisme algérien, pour affirmer que le peuple corse n’a ni couleur ni origines, mais un destin et une vocation commune à exister par la lutte. La formule associe deux sens du mot « destin », celui de génie propre d’une communauté et celui de projet, de décision à venir, de destination ouverte. Ceux qui s’attachent à l’affirmation de cette identité collective, fruit de l’histoire mais en construction permanente, attendent qu’elle renforce la cohésion sociale par le moyen d’un nouveau modèle de citoyenneté.

(2) Depuis juin 2021, le FLNC regroupe deux entités « Union des combattants » et « 22 octobre » auparavant séparées.

Mossa Palatina, nationalistes corses d’extrême droite

C’était dans les tuyaux depuis quelque temps avec l’association Palatinu. C’est désormais chose faite avec le parti politique Mossa Palatina. Son leader Nicolas Battini a annoncé son lancement le 8 février, un « grand rendez-vous populaire » aura lieu un mois plus tard au Palais des congrès d’Ajaccio. Il s’inscrit « dans une option autonomiste, modérée sur la question institutionnelle et exigeante sur la question culturelle et identitaire ». Pour autant, Nicolas Battini assure que la dimension économique ne sera pas en reste dans son programme. « Nous allons introduire dans le nationalisme corse […] une inclinaison libérale », annonce le doctorant qui brigue déjà la mairie de Bastia. Il veut réformer le nationalisme corse et combattre le tiers-mondisme des années 70, otage de la pensée de gauche, au profit d’un logiciel identitaire nouveau. Mossa Palatina définit trois piliers de l’identité corse : la famille, la langue corse, la catholicité. Il s’engage à promouvoir la famille par la lutte contre la subversion woke, contre l’idéologie LGBT+ ainsi que par la promotion du natalisme. Défendre la langue corse par le soutien à toutes les logiques immersives, associatives comme publiques, figurent parmi ses priorités. Soucieux de réaffirmer la primauté du catholicisme qui, en Corse, n’est pas seulement un culte, il soutient le principe d’une laïcité positive. « Mossa Palatina sera le porte-parole des Corses qui refusent de disparaître dans l’immigration de masse » et son porte-parole assume « une bienveillance » au niveau national français envers Marion Maréchal.

Connivence avec Marion Maréchal

Fin décembre dernier, Marion Maréchal, candidate aux prochaines élections européennes, est venue sur l’île. Dans ses déclarations, elle a repris quasiment mot pour mot l’argumentaire de Palatina concernant le « wokisme » de la ville de Bastia, et plus globalement contre le nationalisme de gauche. Elle se sent proche des idées portées par Nicolas Battini et ajoute à propos de l’autonomie : « Ce qui m’intéresse, c’est l’objectif de ce statut. S’il a vocation à défendre l’identité corse, je n’y suis pas opposée, loin de là. Je dis que l’identité de la Corse est une partie de l’identité française. J’ai envie que la France reste la France, que la Corse reste la Corse et que demain l’Europe reste l’Europe ».

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