L’Edito du mensuel Enbata
En plein processus de paix au Pays Basque, installer un Carlos beach aux abords de la plage de Lafitenia tient au mieux de l’inconscience, au pire de la provocation. Ce n’est pas tant pour le green washing forcené de ce petit paradis, où l’on coupe des arbres, on cimente un peu et on recrée une plage pour mieux vivre en harmonie avec une nature pourtant déjà protégée. Ni pour l’éternel bien-être yogi que l’on confond parfois avec protection de l’environnement. Ni même pour ces anglicismes pathétiques qui, sous couvert de branchitude, transforment un poteo au soleil couchant en “cocktail friendly à siroter au sunset”, avant que les dj’s ne déversent leurs décibels dans la nuit. Plutôt pour cette impunité tranquille des propriétaires qui, armés d’avocats et de boite de com’, n’ont que faire du procès verbal d’infraction au code de l’urbanisme déposé par la mairie de Saint-Jean-de-Luz.
Cette impunité devient palpable à mesure que les prix du foncier et de l’immobilier flambent et que par effet mécanique, la population locale est exclue de sa terre. “Ce sont les Basques qui vendent”, rétorquent immanquablement de fins analystes, comme si l’origine ethnique du vendeur avait quelque chose à voir avec cette évolution. D’autant que si des Basques vendent, c’est en général pour racheter au même prix du marché. Et qu’on est très loin d’un schéma simpliste entre Basque ou non Basque.
Alors que les loyers s’envolent un peu plus chaque mois, on constate que de nombreux appartements de bord de plage restent volets clos même au mois d’août. Entre nouveaux arrivants qui viennent recommencer d’en bas une vie au soleil, télétravailleurs qui s’accordent une maison au prix d’un appartement parisien, il y a aussi ceux qui peuvent s’offrir une résidence secondaire à un million d’euros au bas mot.
Ce sentiment de confiscation de biens pour un usage ponctuel n’est pas propre au Pays Basque. Mais il s’accompagne ici d’une conscience de la terre et d’une nécessité culturelle que la seule loi du marché ne peut contenir.
La visite ce mois d’août de la ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, a montré un décalage entre les réflexions de notre territoire et ses propres préconisations. Habitée d’une vision libérale, elle ne souhaite par exemple pas encadrer l’obtention de logements secondaires, ni limiter les loyers, au moins pour les huit prochaines années. Emmanuelle Wargon préfère plutôt assouplir les règles qui contraignent à construire des logements sociaux. On la rappellera quand on n’aura besoin de rien.
Dans cette attente et dans un environnement sans loi, digne du “Far West” déplorait l’élu luzien Peio Etcheverry-Ainchart dans Le Monde, les Basques gardent la foi. L’occupation du terrain Berroeta d’Arbonne, depuis le 23 juin dernier, devient une bataille emblématique et contient tous les germes des combats à mener. Une riche héritière s’offre une belle propriété de 15 hectares aux portes de Biarritz pour plus de trois millions d’euros, dont douze hectares de terres agricoles. La Safer ne peut préempter à cette hauteur et la loi est ainsi mal faite, qu’elle ne peut prétendre aux seules terres agricoles qui se vendraient alors quelques milliers d’euros l’hectare.
Impunité, encore, confiscation et réflexion plus large sur l’aménagement de notre territoire, sa pénurie de terre nourricière, la nécessité de circuits courts dans un monde qui se dérègle à pas de géant.
Obtenir des objectifs sans le concours de l’Etat, sans loi mais avec la foi militante, c’est déjà ce que l’on a appris à faire. Comme pour le combat d’une Chambre d’agriculture alternative, cette occupation prend les allures d’une manif en dur depuis que les paysans, portés par un collectif, s’organisent pour passer l’hiver à Arbonne. Surtout, cette occupation oppose la légitimité à la loi.
C’est tout le combat de notre société basque, qui voit par exemple son modèle triomphant d’enseignement immersif être déclaré anticonstitutionnel et désormais à la merci du plus obscur élu municipal qui voudra retoquer quelque subvention. La légitimité contre la loi est un combat populaire qui entraîne la raison citoyenne. En 2003, le ministre de l’Intérieur, un certain Nicolas Sarkozy, s’était étonné auprès des élus basques de son parti, que les ikastola, légitimes dans l’opinion, soient ainsi abandonnées au seul monde militant. Le message est passé, depuis et des élus de tous bords soutiennent déjà les paysans qui occupent la propriété d’Arbonne. En plein processus de paix, la riposte est d’ampleur.