La remise en liberté conditionnelle de Frédéric “Xistor” Haranburu est une victoire collective importante en faveur du processus de paix. Mais il faudra encore être “imaginatif” pour que Jakes Esnal et Ion Parot recouvrent à leur tour la liberté.
Ce mardi 27 octobre, la Chambre d’application des peines (la CHAP) de Paris a décidé de confirmer la décision en première instance d’accepter la demande de liberté conditionnelle de Xistor. La remise en liberté de Xistor, est une première victoire collective importante ; le “mur” auquel nous étions confrontés est maintenant lézardé.
Le 17 mai 2019, le Président de la République française, Emmanuel Macron, s’était, rappelons-le, rendu à Biarritz porteur de belles paroles. Il avait expliqué aux élus d’Ipar Euskal Herria, que le processus de paix était exemplaire et devait être accompagné.
Des mots significatifs, prononcés un an après la déclaration d’Arnaga, qui auraient pu être interprétés comme une reconnaissance de l’engagement de tout un territoire.
Des mots porteurs d’un petit espoir de ce qui aurait pu constituer les prémices de l’ouverture d’une nouvelle étape. Il n’en a rien été jusqu’à la récente acceptation de la requête de Xistor.
Dans la pratique, le gouvernement français et le Ministère de la Justice ont en effet, démontré le contraire.
Concrètement, le PNAT (Parquet national antiterroriste) créé en juillet 2019, allait être présidé par Jean-François Ricard nommé par le gouvernement, procureur bien connu dans le cadre des affaires basques. Celui-ci imposait immédiatement son positionnement contre le développement du processus de paix. Il s’est ainsi opposé systématiquement à toutes les décisions de première instance allant dans le sens de la défense des droits des prisonniers basques. Ses appels systématiques aboutiront aux rejets des demandes de libération conditionnelle de Jakes Esnal et Xistor Haranburu avec le soutien du Parquet Général et de la Cour d’appel de Paris.
Une hypothèse vide de sens
Le PNAT allait maintenir cette même position face aux demandes de suspensions de peine pour les prisonniers gravement malades, tout comme pour la moindre demande de remise de peine. Face à cet entêtement, le Tribunal d’appel des peines antiterroriste allait affiner son argumentaire validant les demandes de libération conditionnelle, en reprenant le principe de la non-répétition de l’Histoire, dans le cadre du processus de paix qui se déroule au Pays Basque. “S’agissant de l’éventuel risque de récidive, expliquait-il, il s’agit d’une hypothèse aujourd’hui vide de sens, l’ETA ayant cessé la lutte armée en 2011, s’étant engagée dans un processus de désarmement ayant donné lieu le 8 avril 2017 à la remise de son arsenal aux autorités françaises et ayant été dissoute le 3 mai 2018. Aucun élément objectif ne remet en cause l’authenticité de ce processus de paix.”
Malgré cet argumentaire plus que solide, le message envoyé par le PNAT aux partisans du processus de paix était clair : aucune perspective de paix autre que la prison jusqu’au dernier jour ou jusqu’à la mort.
Avec le décès du prisonnier Igor Gonzalez Sola en prison(1), la réalité a rattrapé notre actualité. Une mort peut en effet survenir à n’importe quel moment, y compris dans les prisons françaises. Dans le cas de “Xistor”, Jakes et Ion, ce message revenait à leur signifier purement et simplement, l’application de la peine de mort.
Un message incompréhensible en Iparralde, car nous travaillons tous ensemble à mettre en place une résolution globale de toutes les conséquences du conflit politique, de manière inclusive, loin de tout esprit de vengeance ou de guerre du récit.
Faut-il rappeler que la Conférence Internationale d’Aiete, du 17 octobre 2011, suivie de la décision de l’organisation armée ETA de renoncer à l’utilisation de la lutte armée, le 20 octobre 2011, ont représenté le point de départ d’une démarche commune autour d’une feuille route qui, pour la première fois, allait interpeller directement l’État français.
Faut-il rappeler aussi, que face à l’immobilisme des Etats, le 24 octobre 2014, le Groupe de dialogue du Pays Basque français, a proposé une feuille de route connue sous le nom de Déclaration de Bayonne. Elle a véritablement marqué l’acte de naissance de la voix commune exprimée par ce territoire, face au blocage de l’Etat français. Les signataires exigeaient (entre autres) l’implication active du gouvernement français pour la prise de mesures “dans le cadre juridique actuel et le respect des droits de l’homme”, de même que l’adoption de mesures sur la base “d’un consensus politique pour la définition d’un cadre juridique nouveau”.
Des messages inaudibles
L’on comprend qu’en 2020, les positionnements des “contre-pouvoirs” internes que constituent le PNAT et consorts, soient devenus totalement inaudibles pour la majorité politique et sociale d’Iparralde. Car aujourd’hui, la reconnaissance de toutes les victimes et des droits qui leur correspondent, de même que le retour des prisonniers politiques basques sont intériorisés, tout comme le fait que ces sujets se nourrissent mutuellement sans s’opposer. Le maintien des mesures d’exception, voire leur intensification, outre la remise en cause du processus lui-même, ne fait que maintenir ou approfondir les tranchées. Loin de refermer les plaies, cela ne fait que les approfondir. C’est dans ce contexte que, confrontés à la trentième année d’incarcération de Jakes, Xistor, Ion et Unai, nous avons pris l’engagement de construire une phase mobilisatrice, adaptée à la nécessité d’ouvrir une nouvelle étape représentant une bascule capitale.
Le 8 avril 2020 aurait dû être le point de départ de cette nouvelle impulsion. Mais l’activation de la nouvelle dynamique allait coïncider avec l’urgence sanitaire du Covid-19. Le gouvernement annonçait alors l’adoption de mesures urgentes pour faire face à la situation catastrophique qui aurait pu se produire dans les prisons, en raison de la surpopulation carcérale française. Toutefois, furent exclues de ces mesures les personnes condamnées ou emprisonnées en vertu de la législation antiterroriste et d’office, les prisonniers politiques basques. Josu, Jakes, Xistor, Ion, Ibon et Gurutz auraient pu en bénéficier.
Le “mur” du blocage
Encore une occasion perdue, encore un geste que le gouvernement n’a pas fait ! Comment analyser la remise en détention en juin de Mikel Barrios, l’arrestation d’Igor Uriarte en octobre ? Mais où était donc la réelle volonté du Président de la République et du gouvernement pour le “non- bégaiement” de l’Histoire ? Face à ce constat, le 19 septembre dernier, nous avons décidé d’enclencher une nouvelle phase de mobilisation par une action symbolique forte. Ce jour-là, nous avons dans notre plus grande pluralité, érigé le “mur” du blocage, aux portes de la sous-préfecture de Bayonne.
Le 7 octobre, la Cour d’Appel de Paris décidait la remise en liberté de Mikel Barrios, en attente de son procès en Appel le 12 novembre, après une mobilisation sans faille de la société civile, et l’engagement du Maire et des élus locaux, à Itsasu et au-delà. Mikel comparaissait libre, mais sous contrôle judiciaire. La pression mobilisatrice et le soutien populaire dans sa diversité manifestés à son égard, ont permis une avancée primordiale et fondamentale, dans ce bras de fer avec l’autorité judiciaire.
Le 17 octobre dernier, lors de l’assemblée extraordinaire des Artisans de la Paix, nous avons validé le fait que face à l’immobilisme de l’État français et à cette volonté de pourrissement de la situation, nous allions opposer l’engagement de ce territoire par des modes d’actions innovants et complémentaires, qui passeront donc par des actions de désobéissance civile, avec un premier rendez-vous le 19 décembre prochain.
Face à l’immobilisme de l’État français
et à cette volonté de pourrissement de la situation,
nous allons opposer l’engagement de ce territoire
par des modes d’actions innovants et complémentaires
avec un premier rendez-vous le 19 décembre prochain.
La liberté conditionnelle de Xistor a été acceptée, mais il nous faudra encore être imaginatifs pour que comme Xistor, Jakes et Ion recouvrent la liberté. Afin que définitivement, la force de la raison de ce territoire s’impose face à la raison de la force de l’antiterrorisme et que les conditions réelles d’une résolution globale se mettent en place.
(1) Igor Gonzalez Sola est décédé dans la prison de Martutene à Saint-Sébastien, le 5 septembre dernier.
Merci pour votre article et pour la courageuse et irréversible obstination démocratique des Artisans de la Paix.