Nouveau procès contre 35 abertzale qui ont voulu reconstituer Batasuna interdit depuis 2003, arrestation d’une douzaine d’avocats, refus du cumul dans le calcul de la durée des peines entre la France et l’Espagne, rejet de tout rapprochement des prisonniers, refus de toute négociation politique ou de la moindre “justice transitionnelle” inhérente à un véritable “processus de paix”, trois ans après l’arrêt définitif de la lutte armée par ETA, le gouvernement espagnol durcit encore la pression pour que l’organisation armée basque annonce sa dissolution. La gauche abertzale, s’arc-boute, s’obstine face à un mur, alors qu’un sondage prédit son affaiblissement aux prochaines élections.
Il est de l’intérêt du gouvernement espagnol de demeurer égal à lui-même sur la voie de la fermeté contre les indépendantistes basques. Alors qu’il maintient toujours en prison les deux principaux leaders politiques de la gauche abertzale, Arnaldo Otegi et le syndicaliste Rafa Diez, il poursuit de ses foudres judiciaires 35 militants et cadres connus de l’ex-Batasuna, accusés d’avoir voulu reconstituer à partir d’octobre 2007 leur formation politique interdite. Pire, le 12 janvier, jour de l’ouverture à l’Audiencia nacional d’un procès qui doit durer 6 mois, la garde civile arrête trois des avocats qui devaient assurer la défense des accusés, ainsi que 9 autres avocats et 4 membres de Herrira, association en faveur des prisonniers dont l’activité est suspendue depuis septembre 2013. Ce mega-procès est reporté. La raison officielle de ces arrestations: fraude au trésor public. La police saisit au siège du syndicat LAB 90.000 euros recueillis lors de la manifestation du 10 janvier à Bilbao. Quelques jours plus tard, plusieurs avocats sont libérés, mais ils ne pourront plus rendre visite comme ils le souhaitent à leurs clients militants basques ou participer à des manifestations de solidarité. Désormais, ce sont les juges espagnols qui définissent qui sont les avocats à même de défendre certains justiciables et en excluent d’autres. Le 13 janvier, la Cour suprême espagnole enfonce le clou. Elle décide de s’opposer au recours présenté par le preso Kepa Pikabea qui demandait que ses années passées dans les prisons françaises soient décomptées de sa durée de peine en Espagne, comme le prévoit une directive européenne de 2008 intégrée dans le droit interne espagnol depuis décembre 2014. Une soixantaine d’autres prisonniers basques espéraient bénéficier de ce texte. Il n’en sera rien. L’ex-dirigeant d’ETA Santiago Arrospide vient d’en faire les frais : libéré le 4 décembre 2014 après 13 ans dans les prisons françaises, il vient d’être réincarcéré le 20 janvier 2015.
Nième manifestation en faveur des preso
L’Espagne reste évidemment sourde à toutes les demandes de rapprochement des prisonniers politiques basques, voire d’amnistie, même si cette revendication hier très présente, est aujourd’hui laissée de côté. La manifestation de 80.000 personnes qui a submergé les rues de Bilbao le 10 janvier n’y changera rien. Dans un communiqué paru le 9 janvier, EPPK, collectif des prisonniers politiques basques a à nouveau rejeté ce qu’exige Madrid: une démarche « sincère » de repentir et la dénonciation de leurs camarades de combat. Ce qui semble un durcissement n’est que le maintien d’une pression sur la gauche abertzale qui dure depuis des années. Celle-ci a cru que l’étau pouvait se desserrer avec l’arrêt définitif de la lutte armée en octobre 2011.
Mais le gouvernement espagnol demande plus: il exige la dissolution d’ETA et le repentir individuel de chacun de ses militants incarcérés, selon une procédure longue et humiliante dont nous nous sommes en détail déjà fait l’écho.
La gauche abertzale poursuit une chimère dans le droit fil de ce qu’elle a recherché précédemment. Hier, elle espérait obtenir la reconnaissance du droit à l’autodétermination et une ouverture en faveur de la réunification, en échange de l’arrêt de la lutte armée. On sait ce qu’il en est advenu. Aujourd’hui, elle s’obstine à vouloir obtenir de Madrid le rapprochement des preso, voire une justice transitionnelle, en échange de la remise des armes par ETA, la dissolution étant le point d’orgue de la démarche. Elle croit que la présence de quelques observateurs internationaux non reconnus par les Espagnols sera de quelque secours pour convaincre et faire pencher la balance dans son sens.
Circonscrire le foyer résiduel
Sortu et ses satellites se trompent lourdement en continuant ainsi à se confronter à un mur. Pourquoi? Parce que l’intérêt de son adversaire est de voir la situation actuelle perdurer. Pour le gouvernement, l’absence d’attentats signifie que la question basque est réglée. L’ensemble des lois et des pratiques judiciaires d’exception qu’il a mis en oeuvre en Espagne et en Europe, la doctrine judiciaire de l’amalgame “todo es ETA” font qu’il maintient en liberté surveillée, sous contrôle strict, une gauche abertzale dont il joue comme le chat avec une souris blessée.
Madrid n’a aucun intérêt à négocier quoi que ce soit avec les indépendantistes basques. Au contraire, toute concession aurait pour effet de réveiller les critiques d’une opinion publique avide de fermeté absolue à l’égard des “terroristes”. Les vaincus n’ont qu’un droit, celui de se taire et de pourrir en prison. Ils n’ont rien à monnayer avec leur adversaire en échange d’un quelconque assouplissement de leur statut. Ils sont circonscrits à la tête de la seule province de Gipuzkoa qu’ils dirigent difficilement car dépourvus de majorité, l’Espagne tolère un mini foyer de contestation, en somme un os à ronger laissé aux indépendantistes, dans un conflit qui de « basse intensité », est devenu inexistant. Le moindre graffiti, un message sur Twitter fait aujourd’hui l’objet d’un procès. C’est dire où nous en sommes. La lutte armée a disparu, mais l’Espagne va continuer à l’utiliser demain et après-demain contre les Basques, forte du capital politique et juridique qu’elle a mis tant d’années à mettre au point depuis la mise en place du plan ZEN. Les plus grandes manifestations à Bilbao ou ailleurs peuvent continuer ad vitam aeternam, cela ne fera pas changer Madrid d’un ïota. Les bonnes âmes éprises d’équité et des droits de l’homme ou des peuples peuvent élever la voix, elles prêcheront longtemps dans l’indifférence majoritaire.
Les Espagnols enferment les indépendantistes
dans le scénario qu’ils ont choisi
en les faisant se focaliser
sur les conséquences d’un conflit armé qui a disparu,
en les obligeant à répondre
à une répression qui perdure.
Pourvu que ça dure
Les Espagnols enferment les indépendantistes dans la logique, le scénario qu’ils ont choisis en les faisant se focaliser sur les conséquences d’un conflit armé qui lui-même a disparu, en les obligeant à répondre à une répression qui perdure et où le dominant, maître de toutes les règles du jeu, gagne du temps et gagne à tous les coups.
Le fonds de commerce traditionnel du combat des indépendantistes basques continue de fonctionner, malgré un échec patent en termes de résultats. Pendant ce temps, la gauche abertzale ne s’occupe guère d’inventer un processus de construction qu’Arnaldo Otegi lui-même appelle de ses voeux du fond de sa prison (cf son interview dans la n° 2292 d’Enbata).
Le massacre du 7 janvier à Paris, l’union sacrée qui s’en est suivie vient, bien entendu, conforter l’intransigeance espagnole. “L’esprit du 11 janvier” ressemble comme un frère à “l’esprit d’Ermua”, socle de l’union sacrée espagnole contre le “terrorisme basque”. Le “Patriot Act” réclamé aujourd’hui en France par certains, a été réalisé depuis longtemps outre-Pyrénées. Contre le terrorisme, tout est justifié. Un juge américain peut décider de la libération d’un prisonnier de Guantanamo, le gouvernement refuse de procéder à sa libération du bagne. Personne ne trouve rien à redire.
Le constat est terrible, mais la gauche abertzale a-t-elle perçu tout cela? Après s’être beaucoup aveuglée et avoir longtemps pratiqué la méthode Coué, a-t-elle aujourd’hui la capacité de sécréter du neuf, une autre façon d’agir, une refondation? Elle semble aujourd’hui enfermée dans la même logique, le même logiciel qu’hier: mobiliser ses troupes, “capitaliser ses forces” et faire croire qu’ainsi Madrid va lâcher du lest, négocier. On voit mal comment ce qui a échoué hier marcherait demain. La gauche abertzale a du mal à tourner la page, à passer à autre chose. Elle est cruellement en panne d’une nouvelle orientation stratégique crédible. C’est son drame.
Planche de salut refusée
Pour tenter de sortir au moins partiellement d’une impasse qui affecte l’ensemble du Pays Basque, le gouvernement autonome basque a fait le 22 décembre une proposition en matière de désarmement. La Commission internationale de Vérification (CIV) poursuit la mise sous scellées des armes et des explosifs d’ETA, Mais cette commission est seulement reconnue par ETA et les partis abertzale. Pour donner à la démarche une dimension institutionnelle effective et davantage de crédibilité, Gasteiz propose la création d’un comité de désarmement composé de représentants de la CIV, de personnalités de la société civile et de délégués du gouvernement basque. Ils définiront un certain nombre de sites sécurisés où seront déposés les armes et les explosifs, puis le gouvernement autonome agira en fonction de la légalité en vigueur. Du fait que le gouvernement espagnol refuse de reconnaître le rôle de la CIV, il s’agit en somme d’une porte de sortie, d’une planche de salut forcément insatisfaisante, mais qui a le mérite d’exister. Sortu a aussitôt rejeté la proposition en disant qu’elle anéantissait le rôle de la CIV et faisait le jeu du gouvernement espagnol. A l’inverse, le PP a déclaré que cette proposition faisait le jeu d’ETA. Un récent sondage réalisé par Euskobarometro montre qu’aux prochaines élections régionales de mai 2015, le nouveau parti espagnol Podemos issu du mouvement des Indignés, ferait une entrée fracassante au parlement de Gasteiz en détrônant EH Bildu de la seconde place. Le nombre des députés indépendantistes passerait à 12-13 contre 21 actuellement. Tous les partis subissent une forte érosion, celle d’EH Bildu est la plus forte. Podemos arrive presque à égalité avec le PNV avec 21-22 sièges. Certes, un sondage n’est qu’un sondage, mais ce résultat signifie peut-être qu’une partie de l’électorat de la gauche abertzale que l’on croyait stable, perçoit l’impasse dans laquelle se trouve plongée ce courant politique. Et se rapproche d’autres formations, de type espagnol. Il y a urgence.
C’est bien beau de constater les dégâts… mais quelle est la solution proposée?
– Se mettre sous la bannière du PNV, régionaliste et espagnoliste? « No proponemos independencia ni otras barbaridades », avait dit à peu près Ibarretxe.
– Se ranger derrière Podemos, le nouveau fer au feu de l’espagnolisme buté incarné jusqu’à présent par les deux partis classiques?
– Se dissoudre?
– Autre??????
Txakal tu as en effet décrit toutes les issues qui restent:
1- abandonner l’indépendentisme, manifestement l’autonomisme est plus efficace;
2- accepter les questionnements politiques portés par Podemos: quelle société, quelles solidarités, avec quelles opinions (nous sommes tous Charlie, Syriza, Podemos…);
3- qu’ETA se disolve en effet, et sans contreparties, est incontournable;
4- autres: travailler avec ceux qui sont ici et maintenant, sans attendre l’hypothétique victoire…
Moi qui trouve, assez souvent les articles d’ Enbata trop manichéens, je vous l’ai écrit quelquefois, celui-ci
par contre met les »pieds dans le plat ».
Vous dites: »La gauche abertzale est cruellement en panne d’une nouvelle orientation stratégique crédible. C’est son drame. »
Avez-vous des pistes à leur proposer?