Sur la sellette en Colombie où le volet “justice” de l’accord de paix gouvernement/FARC a suscité de vives oppositions, la justice transitionnelle devient un thème récurrent au Pays Basque autour du thème des prisonniers. Voici le caractère incontournable de cette étape dans tout processus de paix.
Ce jour-là, en guise de drapeau blanc, deux délégations en présence portaient des chemises immaculées. C’était le 26 septembre 2016 à Cartagena de Indias au nordouest de la Colombie. Un cessez-le-feu bilatéral et définitif y fut conclu entre le gouvernement du président Juan Manuel Santos et le chef des FARC (Forces armées révolutionnaires colombiennes), “Timochenko” de son nom de guerre.
Fin de 52 ans de guerrilla (FARC/armée et groupes para-militaires), grand moment d’euphorie. Avec la conviction (nourrie par les observateurs) que le référendum du 2 octobre 2016 serait une formalité…
En l’absence de “plan B”, le “Non” l’a emporté (50,21%) sur fond d’abstention après quatre ans de négociations menées à Cuba sous l’égide du gouvernement cubain et de la Norvège(1).
L’accord Gouvernement/ FARC reposait pour beaucoup sur la mise en route d’une “justice transitionnelle” ou de “transition” (plus d’un an de négociations sur ce seul volet) à l’origine de lourdes incompréhensions et critiques dont s’est emparée l’opposition au président Santos nourrie par son rival, l’ex-président Uribe.
Sa défaite admise Juan Manuel Santos renforcé par un prix Nobel de la paix, a déclaré qu’en tout état de cause “les Colombiens voulaient la paix”, qu’“une justice parfaite ne permet pas la paix” et qu’un consensus serait recherché de toute urgence.
Un thème récurrent au Pays basque
Comme l’a souligné le diplomate français Jean Arnault représentant de l’ONU (chargée de la vérification du cessez-le-feu) aux accords de La Havane, “les tensions entre désirs de paix et de justice se retrouvent dans tous les processus de paix”. C’est un fait dans le cas basque où la question de la “justice transitionnelle” devient récurrente.
Rencontres universitaires, cours d’été, séminaires…C’est ainsi que trois parlementaires de Bildu participant pour la première fois à la réouverture de l’année judiciaire à Bilbao, en ont formulé la demande expresse le 24 octobre dernier, devant le Tribunal supérieur de justice du Pays Basque, “afin d’en terminer avec le régime d’exception en vigueur”.
Quelques jours auparavant (14 octobre, Faculté de philosophie de l’Université du Pays Basque de Saint-Sébastien) les anciens lehendakari Garaikoetxea et Ibarretxe, l’ex-président d’EAJ-PNV Xabier Arzallus apparaissaient comme cosignataires d’un manifeste allant dans le même sens, exigeant de plus, la remise en liberté immédiate de l’ex-dirigeant syndical Rafa Diez emprisonné depuis 7 ans.
En Espagne, les freins restent néanmoins considérables notamment dans le monde judiciaire où l’on considère que le contexte basque est différent des exemples projetés à l’international.
Ni guerre, ni conflit, ni disparition de l’état de droit la Transition espagnole remontant à la fin des années 70. Ces arguments souvent invoqués pourraient aussi se résumer à cette formule : “On n’est pas en Afrique du sud ou en Colombie !”
Le “père” de la Justice transitionnelle
Reste que Louis Joinet considéré comme le “père” de la justice transitionnelle suit de très près le processus basque. Il fut l’un des invités du mouvement Bake Bidea (lancé peu après la Déclaration d’Aiete du 17 octobre 2011 et le cessez–le-feu unilatéral définitif d’ETA) lors de la Conférence pour la Paix tenue à Paris, dans des locaux de l’Assemblée Nationale le 11 juin 2015.
Un an plus tard à Bayonne, le magistrat participait à la mise en place d’un groupe de juristes de la région se sentant concernés par le processus de paix basque, à l’initiative de Bake Bidea et du barreau bayonnais, sous le toit de la Maison de l’avocat.
Louis Joinet (ex-conseiller à la justice de cinq premiers ministres du président Mitterrand, co-fondateur du syndicat de la magistrature) fut l’un des principaux artisans des accords de Matignon pour la Nouvelle-Calédonie.
Il reconnaît à ce propos avoir dû prendre plusieurs décisions “inconstitutionnelles” car “si on avait fait du légalisme on n’aurait jamais eu la paix”.
Ceci explique qu’au final tous les auteurs de crimes de sang ne furent pas jugés. En Colombie où les chiffres parlent d’eux-mêmes (220.000 morts, 45.000 disparus, plus de 6 millions de déplacés, des dizaines de milliers d’armes lourdes dans la nature) l’accord passé prévoyait entre autres la mise en place de tribunaux spéciaux pour les guerrilleros, des agents de l’Etat et autres groupuscules poursuivis pour exactions et crimes divers.
Il était prévu que la plupart des FARC seraient amnistiés et que certains dirigeants passibles de crimes contre l’humanité pourraient se voir condamnés à des “restrictions de liberté” de quelques années.
Il était aussi prévu qu’une dizaine de dirigeants pouvaient entrer en politique dès 2018.
En Espagne, les freins restent considérables
notamment dans le monde judiciaire
où l’on considère que le contexte basque
est différent des exemples
projetés à l’international.
L’exigence du “ plus jamais ça”
On l’a compris, la Justice transitionnelle -qui est aussi une justice de “transaction”- est un concept à manier avec précaution.
La théorie Louis Joinet s’appuie sur cinq exigences au moins :
- droit de savoir (mémoire historique),
- droit à la vérité,
- droit à la justice,
- droit à la réparation dans l’objectif du “plus jamais ça”.
Sa mise en place présuppose la prise d’importantes décisions politiques et une large participation de la société civile.
Jean-Pierre Massias, professeur de droit public à la Faculté de Pau et des Pays de l’Adour, le sait mieux que quiconque. L’universitaire spécialisé dans ce domaine (il travaille actuellement sur le Burundi) explique que “la justice transitionnelle a été appliquée et éventuellement théorisée sans être devenue un concept juridique en soi”.
Pratiquée en Bosnie, au Cambodge, Chili, Mozambique, en Argentine, Afrique du sud, au Timor, au Burundi et l’on en passe, elle s’évertue en quelque sorte “à rattraper le temps judiciaire perdu” en particulier dans le cas de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocides imprescriptibles.
S’étant appuyée au fil du temps sur des tribunaux internationaux (tel Nuremberg en 1945) et sur des grandes conventions internationales comme celles de Genève, elle paraît cheminer entre le souhaitable et le possible.
(1) Question posée : “Soutenez-vous l’accord final d’achèvement du conflit et la construction d’une paix stable et durable ?”
Comment les espagnols peuvent ils continuer à entraver le processus de paix au Pays Basque, alors que les exactions de franquisme n’ont jamais été ni jugées ni apurées?
Comment l’état français peut il collaborer à ce point avec son voisin espagnol, alors que les basques ont démontré leur volonté de paix et de fin du conflit?
Les dernières arrestations à Ascain démontrent parfaitement la collusion entre les deux états pour retarder ou même annuler les solutions pacifiques au conflit.
Que cherchent -ils??