La société de “vigilance”

Vigilance

Les mobilisations contre la loi sur la sécurité globale se poursuivent. Cette loi liberticide s’inscrit dans une tendance générale qui serait notamment celle d’un “capitalisme de surveillance”, mais elle doit se comprendre aussi au regard d’une certaine conception de la sécurité du pouvoir macronien.

Dans un livre qui vient de paraître (La société de vigilance, délation et haines sécuritaires, éditions Textuel), la politologue Vanessa Codaccioni nous en décortique une dimension qui se caractérise par le concept de société de “vigilance”.

En octobre 2019, à l’occasion d’un hommage aux agents de la préfecture de police de Paris tués à l’arme blanche par un de leurs collègues, Emmanuel Macron avait tenu mot pour mot ces propos : “Une société de vigilance, voilà ce qu’il nous revient de bâtir. La vigilance : savoir repérer à l’école, au travail, dans les lieux de cultes, près de chez soi, les relâchements, les déviations,…”.

On le comprend aisément, la “vigilance” sécuritaire telle que la définit Emmanuel Macron fait référence au “signalement”, à la dénonciation, à la délation…

Selon, Vanessa Codaccioni, la surveillance de l’État a un caractère vertical, dans le sens où ce dernier met en œuvre des moyens de contrôle et d’observation en se situant en quelque sorte au-dessus des citoyen·ne·s, un peu à l’image du “Big Brother” de Georges Orwell. La vigilance qu’Emmanuel Macron appelle de ses vœux, ne relève pas de la “surveillance”, mais plutôt d’une “sous-veillance”, c’est-à-dire d’une modalité de contrôle horizontal des citoyen-ne-s par eux/elles-mêmes.

Disons-le très clairement : la vigilance sécuritaire est une marque de fabrique des régimes autoritaires. En ce sens, ce concept n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est la puissance avec laquelle cette “sous-veillance” peut se déployer grâce aux moyens technologiques actuels, qui offrent de surcroît, des possibilités redoutables de connexion avec la “sur-veillance”.

Quelques exemples de “dispositifs” nous permettent de comprendre jusqu’où peut aller la logique sécuritaire prônée par Emmanuel Macron en ce XXIe siècle. Parmi eux, le programme “iWatch” à Dallas encourage les citoyen·ne·s à faire parvenir des photos, des géolocalisations de personnes jugées “suspectes” par le biais d’une application téléchargeable sur téléphone mobile. Au Texas, il est possible, grâce à une application, de visionner en direct les images des caméras vidéos qui filment la frontière avec le Mexique, et de signaler un comportement “suspect”. Mais le cas le plus paradigmatique est sûrement celui de la Chine. Le programme “yeux perçants” donne la possibilité (là encore au travers d’une application) de voir en direct les images filmées par les caméras de surveillance placées dans certaines agglomérations rurales, les habitant·e·s étant invités à procéder à tous les “signalements” qu’ils jugent opportuns. Ce programme de “sous-veillance” peut être couplé à un programme de “sur-veillance” qui est celui de la “notation sociale”. Lancé en 2014, ce programme consiste à attribuer une “note” aux citoyen·ne·s en fonction de leurs comportements. Différents niveaux d’incivilités et/ou d’infractions font diminuer la “note sociale” : des comportements “déviants”, des amendes, a fortiori, des condamnations de justice… Du fait d’une “note sociale” trop faible, quelqu’un peut par exemple se voir interdire l’accès aux transport publics, à certains types d’emplois, empêché d’inscrire ses enfants à l’Université… Notons que ce programme de notation sociale peut bénéficier d’un énorme réseau de caméras urbaines qui utilisent des techniques de reconnaissance faciale (programme “Skynet”). Cela permet par exemple d’identifier des piétons “indisciplinés” et de leur faire payer des amendes…

Alors beaucoup penseront qu’on est loin de ce type de procédés dans nos sociétés. Mais qui aurait pu prédire que la France légaliserait (cf la décision du Conseil d’État du 4 janvier) le fichage de données personnelles incluant l’origine ethnique, les opinions politiques, philosophiques, religieuses, l’appartenance syndicale, l’orientation sexuelle, des données liées à la santé ?…

À la vigilance sécuritaire défendue par Emmanuel Macron, il convient d’opposer une vigilance démocratique qui implique de se mobiliser contre la dégénérescence démocratique à laquelle nous assistons avec cette loi liberticide de la sécurité “globale”, et qui suppose également de ne pas considérer comme “normales” de petites choses “anodines”, comme le fait que nos villes soient couvertes de caméras de surveillance.

 

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